15.

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Leyti reprit conscience peu à peu, malgré le mal de tête horrible qui semblait lui fendre la tête. Elle se redressa avec difficulté et constata aussitôt que ses poignets étaient enchaînés sur un panneau de bois derrière elle. Son intense douleur crânienne lui indiquait qu'elle avait probablement reçu un mauvais coup sur la tête.

En regardant autour d'elle, elle constata qu'elle se trouvait dans ce qui semblait être la cale d'une gigantesque embarcation. De petites ouvertures, donnant sur l'extérieur, éclairaient faiblement les lieux avec les dernières lueurs du jour.

Une femme se trouvait à quelques mètres face à elle et Leyti reconnut aussitôt Adama, sa voisine qui aimait délaisser sa fille à Akachawé, pour aller s'amuser avec des hommes peu vertueux. Elle avait les genoux relevés et la tête baissée. Son visage ainsi que ses longs cheveux noirs étaient sales et encrassés par endroits, avec des particules de sable fin. Ses chevilles étaient entravées dans des chaînes massives, ce qui lui avait occasionné des écorchures assez graves.

Leyti se rendit compte aussitôt que sa sœur n'était pas sur place.

  • Ils vont nous vendre, c'est ça ?

Leyti se tourna vers Adama, qui venait de poser cette question assez pessimiste.

  • C'est bien dans leurs intentions, mais il ne faudra pas se laisser faire, lui répondit-elle avec détermination.
  • La dernière fois que tu as tenté quelque chose, ça t'a valu un coup de bâton sur le crâne.

Leyti plissa les yeux.

Elle se rappela vaguement de l'arrivée de ces brigands venus attaquer le village. Mais aussi et surtout de cette musique hypnotique, jouée par ce jeune akawoussi. Par chance, elle avait su résister à ce son maléfique, mais les brigands avaient certainement compris par la même occasion qu'elle était une awoularé. Elle avait tenté d'utiliser ses pouvoirs pour les neutraliser, mais l'un des pillards lui avait asséné un coup assez brutal sur la tête. Après, plus rien. Elle avait certainement dû perdre connaissance.

  • Adama, où est ma sœur ? Et les autres captives ?

Son interlocutrice lui jeta un regard appuyé, qui devint progressivement mélancolique.

  • Elles sont mortes. Toutes mortes, je suis désolée, Leyti.
  • Quoi ? Que dis-tu ?
  • Je... j'ai entendu les brigands jeter des corps à l'eau tout à l'heure. Et j'ai cru comprendre que ta sœur faisait partie du lot.

Elle dévisagea Adama, le cœur lourd, ne sachant pas s'il fallait prendre en compte ce qu'elle racontait. Elle devait absolument avoir la preuve qu'Aïda était encore en vie.

  • Tu as cru comprendre ou tu l'as vu de tes yeux ? insista Leyti.

Au même moment, un homme massif avec un visage bardé de cicatrices entra dans la cale, suivi de près par deux individus du même acabit et habillés comme des brigands. Celui qui semblait être leur chef s'approcha dangereusement du visage de Leyti, qui soutint son regard mauvais. Il lui prit ensuite le menton dans sa main, comme il l'aurait fait avec une jument en furie.

  • J'aime les femmes dans ton genre, belles et sauvages, finit-il par lui dire avec un sourire.
  • Et moi, je ne t'aime pas, rétorqua courageusement Leyti, qui ne cachait pas son dégoût.
  • Il faudra t'y habituer, continua son sinistre interlocuteur avec une certaine excitation.
    Il se tourna vers les brigands et leur hurla :
  • Celle-là, je la garde pour moi ! C'est compris ?

Ils aquiesçèrent avec un air goguenard et l'un deux lui lança :

  • Oui, Koroma, mais après tu pourrais nous la passer aussi !
  • Tu devrais me prendre avec toi ! s'écria Adama, qui semblait mécontente. Cette sale awoularé ne saura rien t'apporter, alors que moi si !
  • Et qu'est-ce que tu pourrais me rapporter, toi ? l'interrogea le dénommé Koroma, en se tournant vers la jeune prostituée.
  • Délivre-moi et tu verras, lui dit Adama avec un sourire qui en disait long. Je ferais ce que tu veux et je pourrai être ta femme ! Et t'aimer !

Leyti porta un regard de commisération sur la jeune femme, qui était prête à vendre son âme au diable et la sienne, afin de se tirer de ce mauvais pas. Néanmoins, cela pouvait lui apporter un nouvel espoir quant à Aïda, étant donné qu'elle accordait désormais peu de crédit à ce que lui avait raconté Adama.

  • Tu devrais avoir honte, lui lança-t-elle, furieuse. Tu ne te demandes même pas ce que devient Ajané. Tout ce qui t'intéresse, c'est de t'enrichir et prendre du plaisir avec des hommes malodorants et sans aucune vertu !

Koroma lui donna une gifle magistrale, en lui éraflant la lèvre accidentellement. Elle accusa le coup et cracha légèrement sur le côté, avant de fixer à nouveau son oppresseur.

  • Encore un mot, un seul, et je te coupe la langue, la menaça-t-il. Quant à toi...

Il se tourna à nouveau vers Adama.

  • Koroma, l'interrompit-elle d'une voix suave. Tu devrais la tuer dès à présent ! C'est une awoularé et elle pourrait te nuir avec ses pouvoirs ! Moi, je suis sincère et je sais que je pourrais t'aimer comme jamais une femme ne l'a fait avant moi !

Koroma s'approcha d'elle avec un sourire et s'accroupit auprès d'elle.

  • Tu penses ? lui demanda-t-il d'une voix douce.
  • Oui, lui assura-t-elle. Laisse-moi te séduire. Détache-moi.

Koroma la regarda avec compassion. Il lui caressa le visage et le cou puis soudain, lui brisa la nuque d'un coup sec.

Leyti contint in extremis le cri d'horreur qui allait sortir de sa gorge.

  • Sortez-moi ça, ordonna-t-il à ses hommes, en désignant de la tête le corps sans vie d'Adama.

Leyti eut du mal à détacher ses yeux du visage de la jeune femme, tandis que les deux brigands emmenaient son corps sans vie à l'extérieur. La lourde porte grinça, avant de se refermer à nouveau.

  • Maintenant, y'a que toi et moi, dit Koroma, avec une certaine satisfaction dans la voix.
  • Tu aurais dû écouter Adama lorsqu'elle te mettait en garde contre mes pouvoirs, l'avertit Leyti, qui avait de plus en plus mal à la tête.

Au même moment, un homme avec des scarifications complexes sur le visage et sur le corps fit son apparition. Leyti comprit aussitôt qu'il s'agissait d'un guerrier akissian.

  • Ma chère, sais-tu quelles sont les particularités des Akissians ? lui demanda Koroma, avec un sourire en coin.
  • Cela ne m'intéresse pas.
  • Tu devrais. Vois-tu, Amath ici présent est comme tous ceux de son clan. Des voleurs de pouvoirs, mais aussi des effaceurs de mémoire. Ils ont cette capacité de transformer les awoularés en akawoussis convaincus. C'est de cette manière qu'on a pu embrigader ce jeune musicien awoularé, afin qu'il nous serve dans nos pillages. Et beaucoup d'autres avant lui.

Koroma s'accroupit près d'elle et Leyti continuait à le dévisager silencieusement.

  • Je n'ai vraiment pas envie de te tuer, ce serait du gâchis, déclara-t-il. Le seul problème avec toi, c'est que tu n'es pas docile. Ni obéissante. Mais dès qu'Amath en aura fini avec toi, c'est toi qui me supplieras de rester ici. Comme ta sœur.

Cette fois-ci, Leyti ne put masquer sa surprise.

  • Aïda n'est pas morte ?
  • Non, car comme toi, je l'ai trouvé belle et si intelligente. Mais Amath a su lui effacer la mémoire et désormais, elle est comme nous.
  • Je ne te crois pas, sale...

Son interlocuteur lui empoigna subitement le visage et des gouttes de transpiration perlèrent sur le front de Leyti.

  • Tais-toi ! lui intima Koroma en raffermissant sa prise.
  • Laisse-moi avec elle, Koroma, lui dit Amath, avec un visage impassible qui n'augurait rien de bon.
  • Bien.

Il se releva et jeta un dernier regard à Leyti.

  • Ne t'en fais pas, ça fait un peu mal au début, mais après tu auras tout oublié. Amath, dès que tu auras terminé la transition, fais-le moi savoir immédiatement.

Le guerrier Akissian acquiesça et Koroma sortit.

Elle vit avec une certaine appréhension Amath s'approcher d'elle. Il se pencha légèrement puis soudain, posa sa main sur le front de Leyti qui ressentit une douleur indescriptible.

  • Je vais juste effacer ta mémoire, mais tu garderas tes pouvoirs. Reste tranquille.

Leyti n'en fit rien et se débattit comme elle put, en tentant de se libérer de ses chaînes. Son assaillant semblait lui envoyer des ondes de choc à l'intérieur de son crâne, comme pour écraser les souvenirs qui s'y trouvaient.

Soudain, la porte s'envola de l'autre côté de la cale et Amath fut propulsé violemment contre le sol.

  • Meylani ! Ama ! s'exclama Leyti.

L'ancien chef des armées projeta des étincelles sur ses chaînes qui fondirent aussitôt. Meylani aida son épouse à se relever.

  • Je... je ne pensais ne plus jamais te revoir !

Elle se jeta dans ses bras et Meylani ne put contenir son émotion. Des larmes se mirent à couler sur les joues de Leyti.

  • Tu es blessée ?
  • Je vais bien, ne t'en fais pas.
  • Je suis si heureux de te revoir, lui murmura-t-il. Et sans Ama, ça n'aurait pas été possible.

Leyti se tourna vers l'interessé, et son visage exprima une reconnaissance sans nom.

  • Je ne sais comment te remercier Ama, lui dit-elle en lui serrant les mains. Tu es l'homme le plus loyal qui soit sur cette terre.

L'intéressé, malgré le visage impassible qu'il arborait habituellement, semblait touché par ces paroles. Il tourna la tête et immédiatement, reconnut le jeune guerrier Akissian étendu sur le sol.

  • Ama, que se passe-t-il ? s'enquit Meylani.
  • Cet homme... C'est lui qui m'avait volé mes pouvoirs il y a des années, répondit-il en se penchant sur Amath.

Meylani s'approcha de lui, ainsi que Leyti.

  • Je peux analyser son esprit, même s'il est inconscient, lui proposa Meylani. Il peut peut-être nous donner des pistes pour retrouver ta famille !

Le prince posa sa main sur le front d'Amath, qui fit un soubresaut, avant de rester immobile. Ama fixa son compagnon de route en éprouvant, pour la première fois de sa vie, une certaine anxiété. Quelques secondes plus tard, la voix d'Ajané retentit comme un écho dans l'esprit de Meylani :

SORTEZ-VITE ! ILS ARRIVENT ! ILS ARRIVENT ! ...ARRIVENT.... arrivent...

  • On doit quitter les lieux... Immédiatement ! s'écria-t-il.
  • Attends ! rugit Ama, en le prenant par le bras. Qu'as-tu vu dans son esprit ?
  • Suffisamment pour retrouver ta femme et ta fille !
  • Et mon fils aîné ?

Meylani le dévisagea avant de faire un non de la tête.

  • Je suis désolé, Ama. Mais il faut garder espoir. Et surtout partir d'ici ! Ajané m'a fait comprendre, comme je le lui avais exigé si ça devait arriver, que les brigands sont en train de s'agiter là-haut.
  • Ajané ? Elle est là ? s'étonna Leyti.
  • Oui, cachée dans une pirogue non loin. Elle m'a chargé de te donner ça.

Il sortit de nulle part une bourse en cuir comprenant les plantes de Leyti.

  • Ajané..., murmura-t-elle avec un sourire.

Au même moment, trois pirates akawoussis s'introduisirent dans la cale, chacun tenant une machette aiguisée. Instinctivement, Meylani tendit la main. Deux des brigands se tournèrent chacun vers son voisin et ils se livrèrent bataille entre eux, sans en prendre conscience. Ama, quant à lui, désarma sans difficulté le troisième pirate, avant de lui porter un coup de poing, ce qui le rendit inconscient.

  • Vite, sortons d'ici ! s'écria Ama.

Ils aboutirent dans un long couloir assez large pour faire passer cinq personnes, ce qui laissait deviner la taille gigantesque de l'embarcation.

  • On peut remonter par...

Meylani s'interrompit en voyant quatre brigands, avec une carrure impressionnante, leur barrer le chemin. Leyti sortit aussitôt de sa bourse une bonne poignée de feuilles et de lianes sèches, avant de les projeter violemment sur le sol. Ses yeux s'illuminèrent d'un éclat mordoré et elle fit bouger ses doigts. Les lianes semblèrent prendre vie, avant de prendre racine et de faire craqueler le bois aux alentours. Les brigands virent trop tard les plantes leur enserrer les chevilles.

Ils poussèrent un cri d'horreur. Leyti, l'air concentré, continuait à exercer son pouvoir sur les plantes, qui triplèrent de volume et grimpèrent le long des corps des brigands terrifiés, jusqu'à les immobiliser complètement.

Les yeux de Leyti reprirent une apparence normale et elle se mit à haleter légèrement. Ama, qui n'avait jamais su qu'elle possédait un tel pouvoir, la regardait avec une admiration non dissimulée.

  • Ton pouvoir est... terrifiant, Leyti. Mais très efficace.

Elle lui sourit légèrement.

  • Quittons cette embarcation au plus vite ! les pressa Meylani.
  • Je dois... je dois tout d'abord retrouver Aïda ! Ma sœur doit être...
  • Où est-elle ?
  • Sûrement avec les autres captives !
  • Meylani et Ama se jetèrent un regard appuyé et Leyti sentit que quelque chose n'allait pas. Ama finit par lui expliquer :
  • Leyti, nous sommes arrivés au port d'Akiseba tôt ce matin. Fort heureusement, les brigands n'ont pas pris la mer à ce moment-là, car d'après ce que j'ai cru comprendre, ils attendaient le restant de leur troupe restée à Akachawé pour appareiller. Meylani a su les neutraliser sur place et grâce à mon pouvoir de vitesse extrême, nous avons pu venir ici à temps, avec Ajané et un jeune musicien akawoussi. De notre pirogue, nous avons vu de loin ces assassins se débarrasser de toutes les captives, en les jetant par-dessus bord. C'est ce qui nous a poussé à intervenir. Mais en plongeant pour tenter de les sauver, j'ai constaté que c'était trop tard. Elles étaient probablement mortes depuis la veille. Et Aïda, telle que je me la rappelle, n'en faisait pas partie.

Leyti parut désemparée. Meylani lui prit l'épaule, en la dévisageant :

On va la retrouver. Mais il faut qu'on sauve nos vies afin de sauver la sienne.

Malgré son inquiétude, elle acquiesça et ils remontèrent aussitôt sur le pont de l'embarcation. En face d'eux, se tenait l'ensemble des brigands. Ils étaient armés jusqu'aux dents, avec à leur tête, Koroma.

Et Aïda.

Celle-ci arbora un sourire mauvais et ses yeux s'illuminèrent. Des éclairs entourés d'un halo sortirent de ses mains.

  • Aïda !... C'est moi, Leyti ! Ouvre ton esprit et...
  • Inutile de perdre ton temps, l'interrompit Koroma, avec un sourire carnassier. Elle ne sait plus qui elle est. Et vu l'étendue de ses pouvoirs et la force de ma petite armée, vous ne quitterez pas ce bateau vivants.

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