11.

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Le quartier général des Akatys se situait dans une gigantesque annexe du palais royal. Dans son espace privé, Okusso était assis sur un siège et semblait être en pleine réflexion, l'air mécontent.

Le jeune chef des armées venait d'entrer dans sa quarantième année. Fils de bonne famille, il avait assisté à l'âge de six ans à l'assassinat de ses parents. Cela s'était passé lors d'une attaque menée dans leur village par les Akissians, une tribu rebelle du nord du royaume. Le cœur endurci par cette terrible épreuve, il avait par la suite intégré l'armée de Dachekassi. Il avait eu deux mentors durant sa formation intensive : un chef de groupe nommé Bako et le chef des armées de l'époque, Ama. La mauvaise influence de Bako avait fini par déteindre sur Okusso, Alkiley et bien d'autres jeunes recrues.

Au fil du temps, il avait lutté vigoureusement pour arriver lui-même au rang de chef de groupe. La brusque ascension au pouvoir d'Akissambo lui avait permis d'accéder au poste qu'il avait toujours espéré occuper. Il instaura dès le départ le respect parmi ses guerriers, mais aussi une certaine crainte. Okusso était également reconnu pour faire souffrir ses ennemis et ses victimes sur une longue durée et avec une certaine délectation, par nécessité ou par plaisir.

Il n'en menait pas large cependant depuis la fuite du prince Meylani, avec la complicité d'Ama. Il admit intérieurement qu'il y avait eu beaucoup trop de négligences à leur niveau. Raison pour laquelle il comptait bien satisfaire les désirs du roi, en ramenant morts ou vifs les deux fugitifs et ces maudites awoularés de Mawolo.

Okusso n'avait jamais subi une seule défaite, ni manqué aucune mission. Il comptait faire en sorte que cela restât ainsi.

Un de ses chefs de groupe, nommé Reko, demanda à entrer.

  • Général, dit-il en passant sous le voile tissé qui servait d'entrée, le roi demande à te voir dans l'Espace stratégique.

Okusso se leva aussitôt.

  • As-tu prévenu tous les chefs de groupe et les géographes ?
  • Oui, Général. Ils sont tous présents et sont déjà dans l'Espace stratégique.
  • Très bien. Fais savoir au roi que je viens immédiatement.
  • À tes ordres, Général.

Okusso attendit que Reko s'en aille pour soupirer sombrement. Il savait généralement anticiper les colères d'Akissambo, mais pour la première fois il ressentit une certaine crainte. Il avait espéré avoir au cours de la journée des nouvelles optimistes de la part de ses hommes partis sur le terrain, ce qui était loin d'être le cas. D'autant plus qu'il n'avait absolument pas prévu que le roi le convoquât si prématurément.

Après une forte inspiration, il sortit de son espace privé pour se rendre directement et d'un pas vif vers l'Espace stratégique.

Il s'agissait d'une salle gigantesque et d'une importance capitale, car c'était là que se déroulait en général la planification des expéditions, ainsi que des missions menées dans le royaume et dans les territoires alentours. C'était également dans cette salle que se prenaient des mesures immédiates et inédites dans le cas de situations graves et exceptionnelles, comme c'était le cas présentement.

Sur place, Okusso y trouva la majorité des hommes dont il avait requis la présence, debout et immobiles comme des statues, ainsi que Reko. Akissambo, quant à lui, trônait sur un siège en or massif tandis que la reine était assise non loin et de manière discrète, sur une natte brodée de fils d'or.

Okusso, malgré son visage impassible, fut intérieurement interloqué. Qu'est-ce que la reine Ourys faisait là ? se dit-il. Ces réunions étaient exclusivement réservées aux hommes et de surcroît, aux guerriers !

  • Okusso, où en es-tu par rapport à tes recherches ? lui demanda Akissambo sur un ton calme, ce qui n'augurait rien de bon.
  • Ô roi, j'ai envoyé en début d'après-midi une nouvelle expédition en vue de retrouver nos hommes et...
  • Mais tu m'avais bien dit ce matin que tu avais envoyé tes équipes afin d'appréhender les fugitifs et l'awoularé ? le coupa Akissambo, l'air mécontent. Où sont tes hommes ? Ne sont-ils pas encore revenus ?

Okusso s'abstint de déglutir et répondit avec son sang-froid habituel:

  • Non, ô roi. Amabé ici présent, ajouta-t-il en désignant de la tête l'intéressé, est le chef de l'expédition que jai envoyé en renfort au groupe du Lieutenant Alkiley. Il est revenu en début de soirée et il se trouve qu'il s'est passé... quelque chose à Akassoru.
  • Quelque chose ?

Akissambo darda son regard sur son chef des armées d'une telle manière que ce dernier sentit des gouttes de transpiration couler le long de son dos.

  • Amabé, nous t'écoutons, dit Okusso au chef d'expédition.

L'interessé se leva et prit la parole :

  • Ô roi, il se pourrait que...que le lieutenant Alkiley soit le seul survivant de l'expédition partie à la recherches des fugitifs à Akassoru.
  • Quoi ? s'exclama Akissambo. Que s'est-il passé ?
  • Le lieutenant Alkiley a été acheminé tout à l'heure chez les tradipraticiens du palais. Il souffre de brulûres très graves ainsi que de multiples fractures, dont une à la mâchoire. Après que Dousso l'ait analysé mentalement, il semble qu'ils soient tous tombés dans un guet-apens tendu par nos ennemis. D'autre part, des pertes sont à déplorer, à savoir dix morts. Deux chevaux manquent aussi à l'appel ainsi qu'une bonne partie de leur équipement, qui demeure introuvable. L’épée du lieutenant Alkiley a été retrouvée brisée.
  • Quoi ? Que dis-tu ?

Tout le monde se tourna vers la reine Ourys, qui venait de s'exprimer sans y avoir été invitée. Elle semblait troublée et surprise à la fois.

  • C'est impossible ! reprit-elle, sans se soucier des regards furibonds que lui lançaient Okusso et la plupart des guerriers. Seul un pouvoir d'une extrême puissance peut détruire les épées enchantées !

Akissambo lui jeta un regard qui en disait long et elle se retint de poursuivre sur sa lancée.

  • Ô roi, les nouvelles ne sont également pas très bonnes du côté de nos hommes partis en expédition à Mawolo, précisa Okusso.

Akissambo fixa le jeune général sans mot dire, en espérant qu'il s'agissait d'une très mauvaise plaisanterie.

Bien évidemment, le mot plaisanterie et ses usages ne faisaient pas partie du vocabulaire standard des Akatys.

  • Le seul rescapé de leur groupe, Dassobé, est présent. Dassobé, nous t'écoutons, lui dit Okusso.

Dassobé leur narra brièvement le fil des évènements qui avaient conduit l'awoularé à s'échapper, grâce à ses pouvoirs qui, selon lui, dépassaient l'entendement. Également, il ne savait absolument pas de quelle manière la tante de l'awoularé avait réussi à tuer Argesso.

  • Il semble qu'elle ait des pouvoirs elle aussi, ô roi, dit Dassobé. Elle a tué Arguesso d'une manière assez... On a retrouvé son cadavre sans sa peau et sanguinolent de partout. Elle a ensuite réussi à s'enfuir et nous ne savons pas encore où elle a pu aller, ainsi que sa nièce, conclut-il.

Akissambo dévisagea la jeune recrue un court instant avant de lui demander, le visage dur :

  • Si je comprends bien, vous étiez quatre guerriers, des Akatys de haut niveau et vous avez été incapables de capturer deux femmes ?
  • Ô roi, permets-moi de m'expliquer. Nous n'étions pas préparés à combattre une telle magie ! lui rétorqua courageusement Dassobé. Lorsqu'elle a saisi mon épaule, c'était comme si elle avait absorbé toute mon énergie ! Elle a de cette manière retourné les flèches d'Akoussan contre lui et...
  • Tu oses me contredire ? vociféra Akissambo, l'air menaçant.

Le jeune guerrier s'humecta longuement les lèvres. Le regard d'aigle du souverain se porta sur Okusso.

  • Si je comprends bien et pour résumer, une équipe de quinze Akatys expérimentés n'ont rien pu faire contre quatre fugitifs ?
  • Ô roi, si je puis me permettre, se hasarda à dire Okusso, comme l'a déclaré tantôt Dassobé, nous n'étions pas prépar...
  • À quoi donc peuvent vous servir les épées enchantées ? rugit soudainement le souverain, les sourcils froncés.
  • Ô roi, nos épées et nos armes actuelles ne sont pas suffisamment puissantes pour contrer une telle magie.

Ourys se leva brusquement.

  • Qu'entends-tu par là, Okusso ? lui demanda-t-elle abruptement, avec un sourire forcé.

Okusso croisa les bras, une posture inhabituelle pour un chef de son rang et regarda la jeune reine. Cette impertinente commençait sérieusement à l'agacer.

  • Avec tout le respect que je te dois, ma Reine, ce ne sont pas tes affaires. Il s'agit d'une réunion militaire où tu n'as pas à donner ton avis !
  • Ah oui ? lui rétorqua Ourys, l'air amusé. Tu es aussi brave que je le pensais.

Akissambo lui intima le silence d'un signe de la main avant de se tourner vers Okusso.

  • Sais-tu que tu te mets en danger rien que pour ton comportement actuel ? Et pour oser répondre ainsi à ta reine ?
  • J'en ai conscience, ô Roi, lui répondit bravement le chef des armées. Mais je persiste à dire que nous ne sommes pas suffisamment équipés face à ces magiciens. Ils ne sont pas seulement quatre, ils sont une bonne centaine à travers le royaume et les environs. Même si j'envoyais une armée entière, la plupart de ces awoularés, comme celles de Mawolo, pourraient nous balayer d'un revers de main.
  • De nouveaux prototypes d'armes sont disponibles, l'informa Akissambo, avec un sourire en coin.
  • Ô roi, posséder des armes, certes, est crucial pour la bonne réussite de nos opérations. Mais nous devons au préalable revoir notre stratégie de combat pour être plus efficaces sur le terrain. Privilégier l'effet de surprise pour mieux contrer ces magiciens avant qu'ils agissent.

Akissambo sembla regarder Okusso avec une certaine admiration. Ce dernier finit par mettre un genou à terre et baissa la tête.

  • Bien. Akatys, saisissez-vous de cet homme ! ordonna-t-il en désignant de la main Dassobé. Exécutez-le.

Ce dernier, choqué et surpris, tenta de se débattre mais en vain, tandis que six guerriers l'emmenaient hors de la salle. Okusso tourna lentement la tête vers le roi, furieux.

  • Qu'a-t-il donc fait pour mériter un tel sort ? s'insurgea-t-il. Il s'est vaillamment battu sur le terrain et il a eu le courage de tuer un lion afin de sauver son supérieur ! Il a fait tout ce qu'il a pu pour remplir sa mission !

Akissambo ne bougea pas d'un cil.

  • Okusso, je te condamne à une peine de dix ans de privation de liberté pour insubordination. Par conséquent, tu perds ton rang de chef des armées, ainsi que les privilèges qui y sont liés. Emmenez-le.

Le jeune guerrier garda son calme, bien qu'intérieurement il refrénait une envie impulsive de saisir son épée et de l'enfoncer dans l'abdomen du souverain, assis en face de lui. Il garda fièrement la tête haute et vit le regard malheureux de la plupart de ses anciens subordonnés, tandis qu'ils s'approchaient de lui pour lui retirer ses armes.

  • Avant qu'on ne m'emmène, puis-je savoir qui va prendre ma place ? demanda Okusso sur un ton posé.

Ourys se leva et alla se tenir auprès d'Akissambo.

  • Moi, annonça-t-elle.
  • Quoi ? Comment...
  • Ourys est une kamassienne de haut rang et elle connaît mieux que quiconque l'art du combat et des armes, dit Akissambo sur un ton satisfait. C'est elle qui met au point depuis toutes ces années votre équipement de base, dont les épées enchantées.

Un brouhaha se fit entendre dans la salle. Les chefs d'expéditions se regardèrent entre eux, surpris par cette révélation.

  • Cela veut dire qu'elle est... qu'elle est une awoularé ? demanda Okusso, effaré.

La jeune reine émit un petit rire en se rapprochant de lui.

  • Dis-le encore une fois et je te ferai couper la langue, le menaça-t-elle en rapprochant son visage du sien. Je suis une akawoussi et nous sommes les magiciens censés combattre les awoularés depuis des millénaires. Et contrairement à ce que tu penses, je sais me battre et manier les armes.

D'un revers de la main, Akissambo donna l'ordre à ses hommes d'escorter l'ancien chef des armées. Ce dernier jeta un dernier regard noir sur le couple royal, avant d'être acheminé hors de la salle. Ourys se tint devant les chefs d'expédition et les lieutenants, qui mirent aussitôt un genou à terre, la tête légèrement baissée.

  • Redressez-vous, braves guerriers ! Vous avez perdu des frères d'armes en moins de deux jours, déclara-t-elle d'une voix forte. Nous ne pouvons pas nous permettre d'en perdre davantage ! Il est temps de mettre en place un plan d'action unilatéral que nous allons élaborer ensemble et qui va mobiliser toute notre armée ! Et avec les nouvelles armes dévastatrices que je viens d'élaborer, même l'awoularé le plus puissant ne pourra y échapper !

Une clameur enthousiaste accueillit ce discours. Akissambo se leva et prit la parole à son tour, majestueux mais tout aussi terrifiant :

  • Nous allons gagner cette guerre et inspirer la crainte et la terreur partout où nous irons ! Et nous ferons disparaître ces awoularés de la surface de la terre. Sans exception.

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