7.

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La reine Ourys se rendit discrètement comme chaque matin vers une des parties les plus anciennes du palais.

Elle retourna un faux pan de mur en terre cuite qui donnait accès à son atelier secret. Une fois à l'intérieur, elle effectua un geste circulaire de la main et aussitôt l'ensemble des torches murales s'enflammèrent et illuminèrent la gigantesque pièce.

Dans l'atelier étaient entreposés des chaudrons de différentes tailles et divers objets étranges, avec trois tables de grande dimension en pierre brute, disposées non loin. Sur l'une d'entre elles étaient disposés d'innombrables monticules de minerais. Ils avaient été extraits des mines d'argent et de cuivre du royaume et elle savait les faire déplacer mentalement sur place, sans attirer l'attention. Sur la seconde, se trouvaient les derniers prototypes d'armes destinés aux Akatys, que la reine comptait perfectionner à sa manière.

Elle s'approcha de la première table et leva les mains, l'air concentré. Les monticules s'illuminèrent et une légère poudre blanche sembla flotter dans l'air, tourbillonna un court instant avant de s'évaporer. Une cinquantaine d'épées forgées par l'esprit de la jeune reine venaient d'apparaître sur la table. Les yeux d'Ourys brillèrent d'un éclat particulier et elle ne put contenir un sourire mauvais.

Les nouvelles épées enchantées étaient prêtes à servir. Et à causer davantage de dégâts.

Elle avait ce don particulier de pouvoir imaginer, créer et manipuler de manière intuitive les métaux et les armes, en les rendant plus destructeurs que jamais. Un pouvoir qu'elle avait probablement hérité de son père, Sako Gabega.

Ourys descendait en réalité d'une longue et ancienne lignée de chefs, d'un clan du nord du royaume appelé Kamass. Depuis des siècles, ils étaient reconnus pour leur savoir-faire et leur technologie avancée en matière d'armement, mais également dans l'art de préparer des poisons, ainsi que leurs antidotes. Cela leur avait permis au cours de l'histoire de remporter de nombreuses victoires lors de batailles particulièrement rudes. L'une d'elles fut cependant fatale à Sako, qui perdit la vie lors d'un affrontement avec le clan des guerriers Adabéré.

Le frère aîné d'Ourys, Maski, régissait depuis lors les affaires du clan d'une main de fer, en tentant d'étendre son influence sur toute la province. Dans une stratégie purement politique, il avait eu l'intelligence de prêter allégeance à Akissambo, afin que ce dernier ne pût saisir son territoire, et en contrepartie renflouer Awalassi en sel et en armement. Par la suite, Akissambo demanda en mariage Ourys, avec l'accord de Maski et du clan tout entier. Elle devint ainsi la nouvelle reine d'Awalassi. Pour sa plus grande satisfaction.

Ourys se glorifiait d'avoir suggéré des années auparavant à Akissambo de changer les techniques de guerre caractéristiques des guerriers awalassiens par celles des Akatys. Les guerriers loyaux à Dachekassi - qui avaient refusé de s'enrôler dans ce qu'ils jugeaient être contraire à leurs valeurs - avaient été purement et simplement emprisonnés depuis lors ou exécutés. Ourys avait eu par la suite l'idée de rendre invincible la nouvelle armée avec les armes qu'elle imaginait, mais personne excepté le roi ne le savait.

Ce jour-là cependant, l'évasion du prince Meylani avait été un imprévu majeur dans les ambitions de la jeune reine. Également, le fait que ces maudits awoularés commençaient à se révéler un peu partout, dont celle qui se trouvait à Mawolo. Ourys savait mieux que quiconque qu'Akissambo avait besoin de capturer cette awoularé dans un but bien précis.

Cette dernière possédait des pouvoirs fabuleux, selon les termes de ce vieux fou, Dousso, qui croyait tout savoir mieux que quiconque. Ourys ne comprenait toujours pas pourquoi Akissambo ne s'était pas encore débarrassé de lui, malgré ses demandes répétées. C'était à n'y rien comprendre.

Ourys sortit de ses pensées et décida de se replonger dans la fabrication de nouvelles flèches en cristal et d'imaginer par la même occasion un nouveau prototype d'arme. Il s'agissait de grands bracelets en cuivre, qui avaient la particularité de diffuser des ondes de choc dévastatrices.

Nos ennemis n'auront aucune chance face à ces nouvelles armes magiques, se dit-elle avec un air satisfait. Ses yeux brillèrent de contentement à la lueur des torches.

  • Bonjour, ma reine.

La jeune femme se tourna avec un large sourire. Akissambo était le seul à connaitre l'existence de cet endroit.

  • Regarde, Aki, lui dit-elle avec une certaine excitation tandis que le roi se rapprochait à ses côtés. Ce sont les nouvelles flèches en cristal dont je t'avais parlé ! Il y a aussi les nouveaux bracelets déstabilisateurs.
  • Elles sont magnifiques, murmura le roi en saisissant délicatement une des flèches entre ses doigts. Mais le verre ne va-t-il pas les rendre moins résistantes ?
  • Elles sont plus dures que la pierre, rassure-toi ! Fais attention tout de même en les manipulant, Aki ! Leurs pointes sont empoisonnées.

Akissambo reposa prudemment la flèche qu'il tenait à l'instant et alla s'installer sur un siège non loin, tout en prenant la main d'Ourys.

  • Tu as l'air fatigué, Aki.
  • C'est mon bras, admit-il, avec un visage légèrement crispé. La douleur semble s'intensifier au fil du temps.
  • Je t'ai préparé à l'avance le remède habituel.
  • Je ne sais pas si cela s'avère finalement efficace. Cela fait dix années de traitement et aucun résultat, bien au contraire ! se plaignit-il avec un certain agacement. Tu as bien suivi toutes les indications que je t'avais donné, par rapport à la recette de ma mère ? De son vivant, quand j'avais des douleurs de ce genre, son breuvage me soulageait immédiatement.

Ourys fut outrée que son époux puisse douter de ses compétences.

  • Oui, Aki. C'est exactement le même traitement et les mêmes plantes ! Je n'ai rien oublié ! ajouta-t-elle un peu vivement en se levant.

Elle fit quelques pas, tout en tournant le dos à Akissambo.

Celui-ci se rendit compte qu'il avait blessé sa femme et alla la rejoindre, puis lui prit doucement les épaules.

  • Excuse-moi, Ourys, lui murmura-t-il. Je suis un peu dans tous mes états avec l'évasion de mon frère.

Ourys sourit intérieurement. Elle savait pertinemment que le fait d'être capricieuse adoucissait Akissambo et encore une fois, son stratagème avait marché. Elle se retourna et elle mit ses bras autour de sa taille.

  • Les Akatys sont bien à la poursuite de ton frère, n'est-ce pas ?
  • Oui. Mais ces incapables ne m'ont toujours donné aucune nouvelle, ce qui n'est pas pour me plaire, déclara-t-il en regardant son épouse dans les yeux. Tu sais bien que Meylani a des pouvoirs qui dépassent l'entendement et lui et ma mère pensaient que je ne le savais pas.
  • Je sais, dit Ourys en le fixant du regard tout en caressant du doigt la balafre qui parcourait le visage d'Akissambo. Ce n'est pas pour rien qu'après la mort de ton père, j'avais tout mis en oeuvre, avec l'aide de mes potions, pour endormir l'esprit de ton frère et ses pouvoirs latents, avant notre union. Ceci afin que tu prennes le pouvoir. Et que nos rêves de conquêtes deviennent réalité.

Akissambo dévisagea Ourys d'un air étrange, mais curieusement doux. Il devait reconnaître que, sans son épouse et ses talents particuliers, il n'aurait certainement pas acquis toute cette puissance, ainsi que les nombreuses terres et richesses qu'Awalassi possédait actuellement.

  • J'avoue que tu es une reine digne de ce nom, lui dit Akissambo avec un léger sourire - qu'il arborait rarement très rarement et uniquement envers Ourys.

Il dévisagea brièvement son épouse et reprit, l'air grave :

  • Mais étant donné que Meylani est dans la nature avec le meilleur guerrier de mon père, qui lui-même est un awoularé, le royaume est en danger. Ils sont parfaitement capables de recruter les troupes nécessaires pour revenir nous prendre ce qu'on a mis des années à acquérir.
  • Viens, lui dit simplement Ourys en lui prenant la main, tout en l'entraînant vers un coin de la vaste pièce.

Une grosse tasse en terre cuite, comportant une mixture verdâtre, était posée sur la troisième table en pierre.

  • Bois ton remède, lui dit Ourys en lui tendant la tasse.

Akissambo s'exécuta et Ourys en profita pour tendre la main vers un énorme monticule de sable disposé sur la table et qui s'étala comme par magie. D'un geste circulaire, elle fit apparaître la carte du royaume ainsi que des provinces et territoires voisins, comme si elle avait été dessinée à l'encre.

  • Regarde, Aki ! lui dit-elle en lui prenant l'épaule. Tout ceci t'appartiendra. Tu as déjà en main Awalassi et plusieurs royaumes voisins. Avec de la persévérance, tu auras un empire gigantesque et personne n'osera te défier.

Akissambo ne put masquer une certaine satisfaction en la prenant doucement par la taille.

  • Oui, Ourys. Cependant, nous devons prendre en considération la prédiction de Dousso.

Ourys se défit soudainement de l'étreinte d'Akissambo et lui tourna à nouveau le dos en croisant les bras, furieuse.

  • Tu as plus confiance en ce vieux fou plutôt qu'à moi, à ce que je vois ! fulmina-t-elle.
  • C'est faux et tu le sais bien ! rétorqua Akissambo sur un ton dur. Dousso ne s'est jamais trompé dans ses analyses du passé et dans ses prédictions ! Donc, s'il affirme que cette awoularé se présente comme étant un danger pour moi et pour le royaume, ainsi que mon frère, je ne dois pas prendre cela à la légère !

Ourys se retourna lentement, son visage reflétant une certaine colère. Sûrement en partie parce que sa tactique pour amadouer Akissambo n'avait pas fonctionné cette fois-ci.

  • Tu devrais te méfier de ce vieil intriguant ! tonna-t-elle. Il cherche juste à occuper une place importante à tes côtés et tu ne devrais pas lui accorder tant de responsabilités, comme le fait qu'il soit ton conseiller, je suis déjà là pour ça ! Il peut se révéler dangereux un jour ou l'autre vu ses pouvoirs de psychométrie et de précognition ! Es-tu si têtu ou envoûté par ce vieux fou, pour ne pas comprendre cela ?

Akissambo, qui était doté d'un sang-froid extraordinaire, préféra ne rien dire, même s'il mourrait d'envie de dire à son épouse de se taire et de retourner à ses épées et à ses flèches. Mais vu les efforts qu’Ourys faisait pour l'aider à atteindre ses objectifs, en plus de le soigner, il avait intérêt à ne pas la mettre hors d'elle. Il opta pour éviter l'affrontement et lui exprimer davantage de reconnaissance, dans un souci d'apaisement.

Il s'avança vers elle et lui caressa lentement le menton, puis le visage. Il l'embrassa tendrement avant de lui déclarer :

  • Je dois retourner régler les affaires du royaume. Je reviendrai ce soir et on en reparlera. Et je t'en prie, fais-moi confiance, d'accord ? Nous allons conquérir tout le continent et nul ne pourra se mettre en travers de notre route ! Mais je t'en prie, ne me parle plus du mépris que tu as pour Dousso. Ses pouvoirs nous sont d'une grande aide et tu le sais bien. Je n'ai aucune sympathie pour lui et ces maudits awoularés. Toi, tu les surpasses tous et de loin.

Malgré ce compliment, Ourys continuait à froncer les sourcils et ne dit rien. Ils se dévisagèrent un instant et Akissambo lui prit ses mains avant de les presser légèrement, puis quitta les lieux aussi silencieusement qu'il était venu.

Ourys, la mine sombre, retourna à la fabrication de ses armes, sans se douter qu'elle était observée depuis un bon moment.

Dousso se tenait discrètement dans un recoin peu éclairé de l'atelier et avait assisté à toute la scène. Il retenait son souffle, afin de ne pas se faire repérer.

Il avait découvert tout à fait par hasard l'atelier secret de la jeune reine, un jour où il explorait les coins et recoins du palais, afin d'espionner toutes les personnes qu'il jugeait indésirables. Le vieil homme aimait exploiter à sa guise chaque information qui pourrait lui permettre de bien se faire voir du roi. Et qui pourrait nuire par la même occasion aux personnes qui pourraient l'empêcher de réaliser ses ambitions.

En regardant Ourys qui avait le dos tourné et qui ne se doutait pas de sa présence, Dousso ne put s'empêcher à nouveau de la haïr de tout son être. Il esquissa un sourire carnassier.

Tu penses pouvoir te débarrasser de moi, vile sorcière ! C'est ce qu'on verra.

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