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Le souverain du royaume d'Awalassi était le roi Akissambo. Il était dépeint comme un homme brutal, mais également un guerrier extraordinaire sachant inspirer l'effroi. Le peuple ne le voyait en personne qu'en de rares occasions, principalement lors de festivités et de célébrations concernant le royaume, où il trônait majestueusement assis avec la reine et les notables des différentes provinces. Il était à chaque fois vêtu d'un pagne artistiquement tissé avec des fils d'or, qui était enroulé autour de son corps puissamment musclé. Un pectoral en or massif lui recouvrait la poitrine et il arborait généralement une coiffe qui recouvrait son crâne chauve, également tissée avec des fils d'or, comme les revêtaient ses prédécesseurs.

Mais ce qui attirait généralement le regard chez cet homme quinquagénaire était la grande balafre qui traversait de part en part son beau visage et qui partait du haut de son œil gauche, en passant par l'arête du nez pour se terminer derrière son oreille droite.

L'origine de cette blessure demeurait obscure. Les uns disaient que des années auparavant, lors d'une expédition pour conquérir une province rebelle du nord, il avait été grièvement blessé au visage sous la dague du chef local alors qu'ils étaient en train de combattre à cheval, tandis que leurs armées combattaient avec leurs armes respectives. Akissambo et ses hommes remportèrent cette bataille, néanmoins il en était ressorti défiguré.

D'autres aimaient entretenir la légende et racontaient que lorsqu'il était plus jeune, il s'était retrouvé en face d'un lion dans la savane avoisinant le palais et, à l'issue d'une bataille entre l'homme et l'animal, ce dernier lui aurait donné un coup de patte au visage avant qu'Akissambo ne lui porte un coup fatal avec une lance. Depuis cette mésaventure, on le soupçonnait de manger de la viande de lion à chaque repas pour entretenir sa force et son courage légendaire.

Bien évidemment, la première hypothèse où il avait été blessé dans une bataille semblait la plus plausible.

Contrairement à ses illustres aïeux qui avaient préféré gouverner dans la paix et avec transparence, Akissambo avait, quant à lui, effectué un virage dans le sens contraire. Son père, Dachekassi, avait été un souverain exemplaire et un homme sage, qui avait su faire prospérer le royaume durant soixante années, tout en respectant les traditions locales et en entretenant de bonnes relations avec les provinces et les royaumes alentour. Cependant, tout le monde savait que Dachekassi avait eu, et ce sans aucun doute, une préférence pour le frère aîné d'Akissambo, Meylani. Ce dernier était la copie parfaite du père, doublé d'une générosité et d'une intelligence extraordinaire, contrairement à son frère cadet, qui avait toujours aimé aborder une mine sombre et colérique, ce qui pouvait laisser penser à une certaine jalousie qu'il éprouvait vis-à-vis de Meylani.

Akissambo, dès son plus jeune âge et du fait de son tempérament, avait préféré s'entraîner avec les guerriers à longueur de journée, sûrement dans le but précis de défier son père. Et en prenant de l'âge, il avait su montrer qu'il excellait dans l'art de la guerre, avec une habileté certaine.

Leur mère, la reine Akiwila, douce et aimant la nature, avait pris très à cœur l'éducation de ses enfants. Elle avait perdu la vie prématurément en mettant au monde son troisième fils, qui mourut à son tour peu de temps après. Il allait sans dire que depuis cette tragédie, le roi Dachekassi avait au fil du temps perdu le goût de toutes choses en délaissant peu à peu les affaires concernant le royaume à ses généraux, puis en abandonnant ses fils à leur sort. Inconsolable, il finit par tomber gravement malade et mourut lors d'une nuit pluvieuse durant son sommeil.

Meylani en fut profondément affecté et sembla être atteint de démence par la suite. Sur les ordres de son propre frère, il fut confiné avec son épouse dans une partie du palais sous une étroite surveillance. Akissambo s'autoproclama aussitôt comme le nouveau roi.

Quelques mois plus tard, Leyti, l'épouse de Meylani, fut autorisée à quitter le palais pour assister aux obsèques de son père dans son village natal et sous bonne escorte. Elle parvint néanmoins à s'échapper et personne n'entendit plus parler d'elle depuis ce jour.

Akissambo, quant à lui, prit pour épouse une femme dont les origines demeuraient un mystère et qui lui ressemblait en tous points, de par le physique et la terreur qu'elle inspirait. Elle s'appelait Ourys et son visage fin et sans joie était strié de scarifications - chose commune à certaines ethnies de la région - mais les siennes étaient particulières et nombreuses, ce qui renforçait sa dureté apparente. On la voyait rarement circuler dans le palais, excepté lors des célébrations où elle était généralement assise aux côtés de son époux sur le trône royal.

Beaucoup disaient qu'elle prenait discrètement part aux décisions décisives concernant le royaume et son développement, et donnait ses avis directement aux chefs de guerre. En effet, Awalassi demeurait l'une des dernières réserves de ressources naturelles et de pierres précieuses en tout genre et Akissambo avait su en tirer parti. Cela afin de se mettre au même niveau que les puissances et contrées qui bordaient le royaume, tout en tentant d'en conquérir certaines.

Alors qu'il entrait dans sa quarantième année, Akissambo fut atteint d'un mal étrange qui l'empêchait de se servir de son bras gauche, ce qui ne lui permettait pas depuis lors de monter à cheval ou de mener des troupes. C'était à partir de ce moment qu'il mit en place une armée spéciale composée de ses meilleurs guerriers, qui se faisaient communément appeler Akatys.

Ces derniers étaient reconnaissables à leur carrure robuste, car ils étaient généralement torse nu, avec un pagne noir noué autour de la taille et tissé avec des fils d'or entrelacés. Ils étaient généralement équipés chacun d'un bouclier impénétrable et, selon les aptitudes de chaque guerrier, se servaient soit d'un arc et d'un carquois de flèches accrochés sur le dos, soit d'une lance ou d'une épée.

La rapidité d'action avec laquelle ils exécutaient discrètement leurs missions était exemplaire et ils étaient également efficaces pour aller s'emparer des richesses des différentes provinces et villages environnants, en neutralisant par la même occasion les plus récalcitrants parmi les chefs de ces contrées qui refusaient de se plier aux ordres du roi ou de capturer et d'éliminer ceux que l'on soupçonnait de pratiquer la magie. En effet, Akissambo pensait fortement que cela pouvait être une menace évidente pour déstabiliser le pouvoir en place.

Ce matin-là, Akissambo était assis comme à l'accoutumée sur son trône dans la principale salle du palais, où il passait ses matinées à recevoir des doléances de tribus voisines qui lui faisaient allégeance, avec sa garde rapprochée, composée de quelques Akatys. Des notables et des griots étaient assis non loin sur une gigantesque natte, la plupart exerçant leurs talents sur des instruments de musique traditionnels.

Le roi ruminait sa colère suite à un évènement inattendu qui avait eu lieu la veille au soir. Un captif s'était évadé du palais, ce qui s'avérait improbable étant donné l'impénétrabilité des lieux. Mais c'est surtout en apprenant l'identité du captif que le roi avait commencé à faire trembler les parois du palais de rage et de dépit.

Il fit convoquer dans un premier temps Okusso, le général en chef des Akatys, après avoir demandé à toutes les personnes présentes de sortir, même sa garde rapprochée.

Okusso fit son entrée dans la salle et se dirigea vers le roi, mit un genou à terre puis baissa la tête.

  • J'ai appris seulement maintenant la disparition du captif qui n'était pas censé s'évader, tonna Akissambo. Comment cela s'est-il produit et surtout comment se fait-il que j'ai été averti aussi tardivement ?

Okusso releva doucement la tête et prit le temps de répondre :

  • Ô roi, merci de me permettre de m'exprimer. Nous n'avons jusqu'à présent pas su comment le captif a réussi à sortir du palais, cela semble être de la magie. Sous vos ordres, quatre gardes sont postés en alternance et en permanence nuit et jour devant sa chambre, qui est hermétiquement fermée. Ainsi coupé du monde extérieur, il n'a reçu aucune visite depuis toutes ces années. C'est seulement tôt ce matin en lui apportant ses repas de la journée que l'on a constaté sa disparition, alors qu'hier soir il y était encore lors de notre dernière vérification. C'est ainsi que vous avez été immédiatement informé de son évasion.

Akissambo regarda pensivement le jeune chef - ce qui n'était pas bon signe en général, car ce silence était encore plus terrifiant que s'il lui avait envoyé au visage des remarques cruelles et acerbes.

  • Okusso, tu sais qu'il s'agit de mon frère et qu'il est extrêmement dangereux, n'est-ce pas ? lui demanda le souverain, sur un ton paisible.

L'intéressé hocha prudemment la tête à ce qui semblait être plus une affirmation qu'une question.

  • As-tu diligenté une enquête avec tes hommes ?
  • Oui, ô roi, immédiatement après avoir constaté l'évasion du prince. Ils écument en ce moment toute la région et les provinces voisines, afin d'appréhender au plus vite le fugitif.
  • Je n'en doute pas une seconde, Okusso. Ce que je voulais dire, c'est si tu avais diligenté une enquête interne parmi tes éléments. Bien que je ne doute pas des capacités de mon frère à être très créatif et... différent, il n'a pas pu réaliser cet exploit tout seul.

Sous son visage de marbre, Okusso sembla vaguement interloqué et choqué que le roi puisse accuser l'un de ses gardes de complicité d'évasion.

  • Je n'avais pas pensé à cette éventualité, ô roi, car mes éléments sont constants et dévoués à leurs tâches, à savoir te servir, garantir la sécurité du palais et de surveiller en permanence les prisonniers, quels qu'il soient.
  • Et bien, tu vas désormais penser à cette éventualité. J'attends les résultats de ton enquête interne et le plus rapidement possible. Je ne voudrais pas entendre que d'autres prisonniers se sont évadés à leur tour dans la journée.
  • Oui, ô roi, nous serons prompts et rapides comme toujours. Nous avons également augmenté et de manière maximale notre vigilance quant à la surveillance des cellules et de leurs occupants. Sois rassuré.

Okusso attendit que le roi prenne congé de lui d'un revers de la main, puis se releva et sortit de la salle d'un pas vif et aussi rapidement qu'il était entré. Quelques instants plus tard, le roi fit convoquer Dousso, un homme réputé pour sa clairvoyance mais aussi pour apporter des solutions efficaces à des problèmes complexes, qui lui conférait un statut de conseiller spécial, mais surtout de confident.

Il était de courte taille et Akissambo le dépassait de deux bonnes têtes ; il se déplaçait à l'aide d'un long bâton de bois, sans doute à cause de son âge avancé et d'une claudication sévère. Certains disaient que ce bâton lui conférait des pouvoirs particuliers et que lui-même en possédait. Si cela s'avérait, il était étrange qu'Akissambo pût le tolérer parmi ses proches collaborateurs, vu son aversion extrême pour la magie. Dousso devait donc être de très bon conseil et constituait ainsi une exception.

Il avait vêtu ce jour-là un pagne traditionnel de moyenne qualité noué sous l'aisselle droite et comme à l'accoutumée, il prit son temps tandis qu'il s'approchait du trône.

  • J'espère que les nouvelles sont meilleures de ton côté ? lui demanda sombrement Akissambo.
  • Oui, Akissambo, j'ai des informations pour toi.

Il toussota avant de déclarer :

  • Après que tu m'aies sollicité tôt ce matin, j'ai pu accéder aux appartements du prince et c'est en touchant les parois que j'ai pu voir ce qui s'est réellement passé.
  • Je t'écoute.
  • Dans ma vision du passé, j'ai vu un Akatys y entrer, certainement pour récupérer les restes des repas de la journée du prince et au lieu de ressortir immédiatement, comme cela devrait être le cas, je l'ai vu s'approcher silencieusement du prince. Ils semblaient se connaître. Le garde l'a pris par l'épaule et ils ont tout simplement disparus. Puis plus rien.

Le roi se leva. L'air troublé, il commença à faire les cent pas.

  • Je me doutais qu'un des Akatys était impliqué dans cette histoire, si ce n'est pas plusieurs gardes. Je vais faire remplacer tous ceux qui le surveillent et ce immédiatement. Mais ce qui me surprend le plus, est leur méthode d'évasion, ajouta-t-il en fixant le sol. Et il me semble que j'ai déjà vu ça quelque part.
  • Si je peux m'avancer, il n'est pas nécessaire que tu remplaces qui que ce soit. Je crois savoir qui est derrière tout ça, affirma tranquillement le vieillard.

Akissambo tourna lentement la tête vers son interlocuteur.

  • Tu as pu voir son visage dans ta vision du passé ?
  • Non, malheureusement. Mais des années auparavant, tandis que ton père était encore roi, il y avait un homme qui s'appelait Ama et qui avait ce pouvoir, celui de se déplacer à une vitesse phénoménale et disparaître d'un point à un autre. C'était le meilleur guerrier que le royaume ait connu en son temps avant qu'il ne devienne le chef des armées de ton père. On avait fini par le surnommer Ama le Stratège.

Le souverain retourna s'asseoir.

  • Je me rappelle à présent, dit-il en se massant l'arête du nez. Mon père l'estimait beaucoup et le considérait comme son conseiller spécial, mais aussi comme un fils. J'ai eu à le voir à l'œuvre une fois lorsque plusieurs de nos guerriers furent grièvement blessés lors d'une mission au Nord par les Akissians, nos principaux adversaires à l'est. Il avait su les mettre à l'abri et hors de danger en moins de temps qu'il faut pour le dire tout en combattant une centaine d'adversaires. Cela m'avait intrigué à l'époque, car j'étais trop jeune pour comprendre ! Il avait en réalité utilisé les pouvoirs dont tu me parles. Le jour de mon intronisation, il a disparu et plus personne n'a entendu parler de lui. Je n'aime décidément pas la tournure que prend cette histoire, ajouta-t-il après un soupir.

Il se releva à nouveau pour faire les cent pas, plus furieux que jamais.

  • As-tu une idée de là où ils peuvent être tous les deux et comment les retrouver ?

Dousso arbora un léger sourire avant de répondre :

  • Ama n'est pas un homme facile à pister, Akissambo. Il est habilité à laisser de faux indices derrière lui et il pourra sans difficulté semer les Akatys à sa recherche. D'autant plus qu'il connaît chaque recoin du royaume en long et en large et avec l'aide de ses pouvoirs particuliers, ils doivent être en ce moment loin. Très loin.
  • Que peut-on faire dans ce cas ? Plus nous parlons, plus le temps passe ! Le royaume est en danger avec ces deux maudits magiciens dans la nature et Dieu seul sait ce qu'ils sont en train de préparer pour me nuire !
  • Garde ton calme, Akissambo. T'énerver ne te mènera à rien. Ce que tu peux faire, c'est de faire poster des guerriers un peu partout dans la région en infiltration, ainsi tôt ou tard nos fugitifs se dévoileront à un moment donné et là nous pourrons agir. En attendant, tu devrais te préoccuper également de la vision du futur dont je t'avais fait part la dernière fois. Celle dans lequel l'avenir de ton royaume et le tien étaient concernés.

Akissambo, dont l'humeur n'était pas des meilleures, eut envie l'espace d'un instant de prendre le vieillard par la peau du cou afin de décharger sa colère; mais il préféra se retenir et se contenta d'acquiescer.

  • Oui, Dousso, j'y ai pensé et j'ai déjà mis en oeuvre des stratégies pour neutraliser cette magicienne qui met en péril tout ce que j'ai entrepris jusqu'à présent.
  • N'oublie pas qu'elle n'est pas comme les autres. Elle est assez spéciale.
  • Et bien c'est ce que nous verrons ! lui hurla Akissambo au visage, les sourcils froncés. Personne ne prendra ma place avant longtemps, je demeurerai le plus grand souverain qui ait jamais existé ! Et tous ces magiciens seront hors d'état de nuire avant même qu'ils aient eu le temps de comprendre ce qu'il leur arrive, conclut-il sur un ton menaçant, tout en massant discrètement son bras gauche.

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