Chapitre 7 : Un concours de circonstances

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Les enquêteurs de police en charge de l'affaire du sextuple meurtre de mai dernier ont convoqués quinze personnes dans un commissariat parisien. Âgés de 19 à 47 ans, ils sont soupçonnés d'avoir provoqué la mort de six individus. Parmi les accusés, certains avaient une relation conflictuelle avec un ou plusieurs des jeunes qui a trouvé la mort. D'autres encore étaient connus des services de police pour des faits d'agression et se trouvaient à proximité de la scène de crime au moment des faits. Ce coup de filet spectaculaire n'était en réalité qu'un moyen de gagner du temps pour les officiers de police, car l'enquête stagnait. Un des enquêteurs a informé la presse que l'analyse de la scène de crime a révélé que les six individus ont été victimes d'un homicide volontaire et que les policiers se livrent désormais à une véritable chasse à l'homme pour retrouver le ou les coupables ainsi que ses éventuels complices.

Depuis 8 h, les individus défilaient dans les bureaux pour être interrogés. En l'absence de preuves contre eux, les enquêteurs ont fini par les relâcher. Entre-temps, les policiers en charge de l'enquête ont reçus les résultats du laboratoire sur l'analyse du contenu du téléphone retrouvé sur la scène de crime. Leur découverte constituait un début prometteur de réponse. Le portable, un ancien modèle, contenait une vidéo dans laquelle plusieurs visages apparaissaient : une partie des victimes était filmée avec, en son centre, un visage inconnu. Malgré la mauvaise qualité de l'image, les policiers ont pu dresser un portrait-robot de l'inconnu. Il s'agissait d'une femme de taille moyenne, les cheveux clairs. Elle était probablement jeune, dans la vingtaine. Le portrait-robot a été diffusé dans la presse et des affiches étaient collées un peu partout dans la ville où a eu lieu le drame afin de retrouver la coupable. Néanmoins, l'opinion publique était sceptique. L'affaire avait été qualifiée de terrible, de barbare et il semblait impossible qu'une seule personne, qui plus est, jeune en soit à l'origine. L'identité de la mystérieuse criminelle faisait l'objet de fréquents sur les plateaux télévisés. Au vu de l'état dans lequel les cadavres ont été retrouvés, portant de curieuses marques à différents endroits du corps, il était évident que le coupable s'était montré cruel. Tout portait à croire qu'ils ont été torturés avant de succomber à leurs blessures.

Aurore suivait attentivement, comme le reste de la population, l'avancée de l'enquête via les médias. Elle s'inquiétait que l'étau se resserre autour d'elle et que l'on finisse par la confondre avec la meurtrière recherchée. Au moment où elle apprit le sort de ses agresseurs, le lendemain de sa sortie de l'hôpital, elle fut terrorisée. Jamais elle n'aurait pu soupçonner qu'elle détenait cela en elle… Le pouvoir de prendre la vie à quelqu'un d'un seul geste de la main. Ses cauchemars et ses crises de paniques ne diminuèrent pas, ils s'intensifièrent alors que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne finisse par être arrêtée. Malheureusement, elle ne pouvait rien faire d'autre que de reprendre le cours de sa vie là où elle s'était arrêtée jusqu'à ce que la justice s'en mêle.

En réalité, elle s'était trompée. Le drame qu'elle avait provoqué allait marquer un tournant dans sa vie. Aurore vivait dans la peur constante. Elle ne cessait de regarder derrière elle, fuyait les rues encombrées, n'allait dehors qu'accompagnée de quelqu'un pour ne plus jamais se retrouver seule et elle ne sortait pas le soir.

La première fois qu'Aurore les remarqua, ce fut lors d'une après-midi où elle profita du calme de la bibliothèque pour réviser. Assise à une table, le nez plongé dans ses notes, elle décida de s'accorder une pause. S'étirant, elle releva la tête et son regard tomba sur celui d'un homme, dans la quarantaine, qui la fixait. Surpris, l'homme détourna les yeux et retourna à la lecture de son roman. Aurore haussa les sourcils, étonnée de sa réaction. Il se comportait comme si elle l'avait surpris à faire quelque chose de mal. Secouant la tête, la jeune femme se replongea dans ses notes jusqu'au soir. Les jours qui suivirent, elle le revit plusieurs fois dans les endroits qu'elle fréquentait le plus. Il était toujours accompagné de quelqu'un. Elle le retrouva aux abords du lycée, au supermarché ou même lorsqu'elle se rendait au restaurant. La jeune femme tentait d'ignorer l'appréhension et la panique qui la gagnait depuis le soir de l'accident et elle voulait se persuader que les deux personnes ne la suivaient pas, mais qu'ils étaient simplement le fruit du hasard et qu'il n'était pas anormal de revoir les mêmes personnes. Cependant, après les avoir revus une nouvelle fois tandis qu'ils l'observaient de loin, elle décida d'intervenir. Elle se trouvait dans une rue commerçante. Les deux hommes ne bougeaient pas lorsqu'elle vint à leur rencontre. La jeune femme leur demanda.

  • Excusez-moi, est-ce qu'on se connaît ? Je crois que ce n'est pas la première fois que je vous vois ici. Vous habitez dans le coin, j'imagine ?

Pour toute réponse, les deux hommes échangèrent un regard avant que l'un deux ne se rapproche d'Aurore. Il sortit de sa veste fine un mouchoir qu'il déplia pour l'appuyer contre les lèvres de la jeune femme. Celle-ci se débâta alors, les yeux exorbités, tandis que personne autour d'eux ne remarqua qu'elle était en détresse alors que les deux hommes l'encerclaient et la maintenaient en place pour l'empêcher de s'enfuir. Lorsque le produit fit effet, elle se sentit défaillir et l'un d'eux la rattrapa pour la porter comme un enfant. Tous les trois se dirigèrent vers une voiture aux vitres teintées qui démarra en trombe une fois qu'ils pénétrèrent à l'intérieur. Le véhicule quitta la ville.

Tout d'abord, elle entendit des murmures lui parvenir. En toile de fond, lui parvenait le bruit du moteur et les pneus qui empruntaient la route. Ouvrant les yeux, prenant conscience qu'elle était bel et bien dans une voiture en compagnie de personnes qui lui était totalement inconnue, elle ouvrit la bouche pour se mettre à crier. Elle voulait que quelqu'un l'entende, vienne et puisse la sortir de ce cauchemar. Seul un cri pouvait s'échapper de ses lèvres tandis que les mots lui échappaient, son cerveau étant anesthésié par leur et elle se refusait de formuler ses pensées à voix haute. Elle remarqua que trois personnes étaient dans l'habitacle. Une femme, la conductrice, avec à ses côtés un homme qui consultait son téléphone. A l'arrière à côté d'Aurore, un autre homme était assis. Il s'appelait Adrien. Quand il vit Aurore s'agiter alors qu'elle reprenait ses esprits, il sortit une arme de sa veste et dirigea le canon à feu contre sa tempe.

  • Si tu te mets à crier, pleurer, que tu essayes de prévenir quelqu'un ou que tu tentes de t'échapper, je te mets une balle dans la tête. T'as compris ?

Aurore acquiesça, ravalant ses larmes. Au bout de longues minutes, qui lui paraissaient interminables, la voiture s'arrêta enfin. Ils se trouvaient sur une piste d'atterrissage d'un aéroport privé. Les trois individus sortirent presque simultanément du véhicule. Adrien, lui, pressait toujours l'arme contre elle et il la sortit de force de la voiture. A la vue du jet privé devant elle, la rouquine pila sec et se débattit pour échapper à ses ravisseurs.

Ses mains tremblaient, ses émotions tourbillonnaient en elle et elle s'apprêtait à lâcher prise. Serrant les poings, elle espérait que le miracle se reproduise à nouveau et qu'elle soit capable de leur faire du mal avec la même force qui a terrassé les six personnes qui s'en étaient pris à elle cette fameuse nuit. Respirant un grand coup, elle se concentra sur son désir de s'en sortir, se laissant escorter à bord de l'avion sans opposer aucune résistance. Elle se concentrait de toutes ses forces, hélas rien ne vient. Elle regarda ses mains, se demandant ce qu'il se passait et réessaya à nouveau, enfonçant ses ongles dans sa peau et priant pour que cette fois-ci, cela fonctionne. Adrien, qui la jeta sur l'un des sièges et pointait toujours son arme dans sa direction, secoua la tête. Le pilote démarra l'avion, faisant fi de ses passagers. Les deux autres individus qui avaient fait le trajet en voiture avec Aurore fermaient la marche et l'avion pu décoller. Adrien s'adressa à elle.

  • Tu crois pouvoir t'en tirer avec tes capacités ? C'est peine perdue.

Il l'assomma alors avec la crosse de son arme. Le médecin qui était à bord profita de son état d'inconscience pour réduire les battements de son cœur à son minimum avant de la plonger dans un coma artificiel.

L'air lui manquait. Ses mains étaient engourdies par le froid. Ses yeux, grands ouverts, tentèrent de capter toutes les couleurs, les formes et les reliefs qui l'entouraient, mais le manque de luminosité l'empêchait de distinguer quoi que ce soit. L'océan l'engloutit dans ses abîmes insondables, récupérant son corps pour l'emporter plus en profondeur encore, dans un endroit où l'inconnu se mêlait à l'imaginaire.

Lorsque l'air s'engouffra de nouveau dans sa poitrine, elle se réveilla. Cette fois-ci, elle ne se trouvait pas dans une voiture, encore moins dans un jet privé. Elle était allongée, sur un support assez dur. Des sangles étaient attachées autour de ses poignets. Lorsqu'elle voulue se lever, elle sentit quelque chose la retenir. Relevant la tête, elle vit que ses pieds étaient attachés également. La pièce était plongée dans une lumière artificielle provenant de l'éclairage puissant placé juste au-dessus d'elle. Il n'y avait personne. Pas un bruit ne filtrait de dehors. Tremblant de la tête aux pieds, elle ne put retenir ses sanglots plus longtemps. Elle n'avait aucune idée de la raison pour laquelle elle se trouvait là. Elle n'arrivait pas à définir la souffrance qui se propageait dans son corps. Etait-ce des douleurs dû à des violences physiques, existaient-elles bel et bien ou était-ce son inconscient qui lui jouait à nouveau des tours ? Une porte s'ouvrit alors. Des individus pénétrèrent dans la pièce, ils portaient des masques chirurgicaux ainsi que des blouses médicales. Elle les vit s'approcher d'elle. Elle reconnut Adrien, le seul à porter un costume. Il était appuyé contre le mur, les bras croisés. Elle implora miséricorde, mais aucun ne lui accorda. Ils tenaient dans leurs mains des instruments médicaux et des seringues. Le cri que la jeune fille poussa était terrifiant. La détresse qui émanait d'elle et qui se répercutait sur les murs insonorisés était insoutenable. Cependant, aucune personne présente dans la pièce ne réagit, et ils entreprirent de l'anesthésier afin de commencer l'opération.

Le jour qui suivit, elle se réveilla ailleurs. Elle se trouvait allongée sur un fauteuil, dans une pièce exiguë. Quatre murs l'entourait. Elle remarqua assez tôt que quelqu'un l'observait. Elle sentait des yeux se poser sur son corps et elle frissonna, inquiète de ce qu'elle allait devoir encore endurer. La femme, assise sur un fauteuil en cuir brun en face d'Aurore, devait avoir la trentaine. Une blonde aux sourcils arqués, arborant des yeux vert clair. Elle portait un simple costume noir ainsi qu'une chemise blanche légère sur laquelle un badge était épinglé, portant son prénom : Anne. Ses cheveux étaient attachés en une queue-de-cheval, un sac à main noir était posé à ses pieds. Son visage était dépourvu de maquillage et elle se tenait droite sur son siège. Les deux femmes se regardèrent, l'une sourit à l'autre qui lui faisait un doigt d'honneur. Aurore se redressa pour s'asseoir.

  • Je veux savoir pourquoi je me trouve là. Qu'est-ce que vous m'avez fait ? Où suis-je ?

Aurore posa les yeux sur ses mains puis sur son corps, inspectant les probables cicatrices qu'elle aurait pu avoir, mais elle ne trouva rien. Elle toucha son visage, celui-ci paraissait inchangé également.

  • J'ai toujours aimé le printemps. Cette saison regorge de bons souvenirs. La nature qui se réveille d'un long sommeil, les fleurs qui éclosent, l'odeur qui s'en échappe… C'est la période de l'année où les cœurs s'allègent et où l'espoir renaît. Je suis arrivée ici un matin de printemps. Bien sûr, les températures n'avaient rien à voir avec celles que je connaissais habituellement, le temps était assez maussade. Cependant, j'avais une volonté de fer de faire partie de ce projet titanesque et le fait d'avoir été choisi parmi tant d'autres me réchauffa le cœur. Tu dois comprendre que nous ne sommes pas tes ennemis. Le personnel médical qui est intervenu hier t'as soigné, peut-être même sauvé la vie. Je parie que, dernièrement, des choses incompréhensibles ont eu lieu dans ta vie. Des phénomènes inexplicables qui ont bouleversé ton quotidien.

Aurore jeta inconsciemment un regard sur ses mains.

  • Nous pouvons apporter des réponses à toutes ces questions qui t'empêchent de dormir. Nous te demandons simplement en échange ton entière collaboration afin de mener à bien notre projet. C'est pour ton bien, tu sais.

Quelqu'un toqua à la porte, Anne autorisa la personne à entrer et celle-ci déposa un plateau-repas sur une petite table disposée près du mur avant de s'en aller rapidement.

La jeune femme serra les poings, elle essaya de contrôler sa respiration pour ne pas laisser la colère l'aveugler.

  • Vous me kidnappez puis vous m'opérez sans même que je vous donne mon consentement et vous avez le culot de me dire que vous faites tout cela dans mon propre intérêt ? Donnez-moi une seule raison de ne pas vous tuer sur-le-champ.
  • Il me semble que si tu te laisses aller à tes pulsions, jamais tu ne sauras comment les six personnes qui ont croisé ta route en ce soir de mai ont fini par mourir dans d'affreuses souffrances. Tu es responsable de leur décès, Aurore. La police est à deux doigts de retrouver le coupable, à savoir toi. Estime-toi heureuse que nous t'ayons sortie de là avant que les choses ne se compliquent davantage.

Anne se leva, récupérant son sac à main et s'approcha de la porte. Sa main posée contre un petit écran vissé au mur, celui-ci lut son empreinte digitale, puis, la porte se déverrouilla.

  • Laissez-moi m'en aller, murmura la jeune femme.
  • Je crains que cela soit impossible. A demain, Aurore.

Anne sortit et referma la porte derrière elle au moment même où Aurore envoya le plateau valser contre le mur.


Une heure. Soixante longues minutes indigestes au possible. Un temps pendant lequel la tension augmentait petit à petit. Cent vingt minutes. L'impatience culminait. Elle n'était pas encore arrivée à la folie, mais elle s'en approchait. Son regard se perdit au loin, s'attardant sur l'affiche usée qui était collée à un poteau. En un battement de cils, les formes changeaient d'apparence. Ce morceau de papier défraîchi prenait vie en quelques secondes avant de redevenir immobile. Hallucinations... L'attente n'est pas mon point fort décidément, mais ai-je le choix ? Je pourrais me rendre à la police. Décidez de raconter tout ce que j'ai vécu durant cette longue année. Serais-je hors de danger pour autant ? On me prendrait pour une folle. Compréhensible...

Aurore patientait dans la voiture de James. Elle était garée sur le parking d'un commerce, à l'endroit même où elle avait donné rendez-vous à son contact. Ses doigts tapotaient nerveusement le volant, elle était sur ses gardes. Elle qui avait perdu l'habitude de voir la lumière du jour, elle se sentait comme une proie entourée de chasseurs. Le moindre pas éveillait ses sens, le simple bruissement des papiers par terre attirait son attention. Soudain, la porte côté passager s'ouvrit. Elle sursauta, s'attendant à tomber sur James où l'un de ses hommes, mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle reconnut un visage familier.

  • John, c'est toi ! Mais qu'est-ce que tu fais-là ?!
  • Enfin, je te retrouve !

Il s'installa sur le siège, referma la portière et s'apprêta à se jeter dans ses bras lorsqu'un sifflement retentit. Sifflement qui fut suivi d'une explosion de verre. La vitre côté passager se brisa. Aurore mis quelques secondes à réagir. Ses yeux découvraient avec horreur le sang sur les vêtements de John. Se baissant pour éviter d'autres coups de feu et guidée par l'adrénaline, elle fit marche arrière pour sortir du parking et roula à vive allure.

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