Chapitre 6 : Effets secondaires

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  • Il faudrait peut-être songer à décorer mon plâtre. Des idées de ce que je pourrais faire ?

Aurore s'assit sur le canapé et allongea ses jambes. John posa son sac et s'assit par terre sur le tapis, près d'elle.

  • Des citations de Roméo et Juliette, comme ça, tu pourras sourire à chaque fois que t'en liras une sur ta jambe.
  • Pourquoi pas… Sans oublier des papillons et des cœurs pour le côté bohème.

Elle portait un short court et un tee-shirt. Remarquant les bleus sur ses bras, sa jambe valide et à des endroits étonnants comme à la base de son cou, il se racla la gorge, gêné, comme à chaque fois qu'il s'apprêtait à dire quelque chose qu'elle ne voulait pas entendre.

  • J'ai du mal à croire que ton accident soit à l'origine de ces marques sur ton corps, commença John d'une voix mal assurée.
  • Ne commence pas s'il te plaît. Je t'ai dit ce qu'il s'était passé cette nuit-là et je n'ai aucune envie de revenir là-dessus.

Aurore retira la couverture placée en travers sur un côté du fauteuil et la plaça sur ses jambes.

  • Inutile de le prendre comme ça. Tu m'as dit que tu as eu un accident et je te crois. Il y a des dizaines de passants qui t'ont vu également. Cependant, depuis ce jour-là, tu n'es plus la même. Tu es distante… On se parle moins qu'avant. Tu es sur tes gardes, comme si tu avais peur de lâcher une parole malheureuse. Est-ce parce que j'ai fait quelque chose qui t'a déplu ou bien, c'est plutôt que n'as pas envie de te confier à moi ?

Elle frotta ses mains sur son visage, essayant de remettre ses idées en place.

  • Tu sais de quoi j'ai envie maintenant ? D'un bon bain moussant. Ca me détendrait de penser à rien d'autre qu'à l'eau chaude et aux bulles de savon qui laisseraient un goût parfumé sur ma peau.
  • Je me demande ce que ça donnerait si on se retrouvait tous les deux dans la baignoire. Merci de m'avoir mis l'image en tête.

Elle lui donna un coup sur l'épaule.

  • Tiens-moi au courant quand tu seras prête à m'en parler. Je sais qu'il s'est passé quelque chose cette nuit-là. Quelque chose qui t'a fait du mal, peu importe quoi, mais suffisamment pour que tu refuses de t'exprimer là-dessus. Je vais rentrer chez moi, il est tard.

John se leva. Il enfila sa veste et prit son sac.

  • Je suis désolée, John.
  • Moi aussi.

Il ouvrit la porte d'entrée et sortit, la laissant seule.

Difficile de ne pas se sentir coupable lorsque tout porte à croire que vous l'êtes. Difficile de se sentir en sécurité lorsque chaque élément se trouvant à proximité peut être mis en péril par votre seule présence. Difficile de relativiser lorsqu'il nous est impossible de nommer le mal dont nous souffrons.

John avait raison sur une chose : l'accident les avait séparés. Ils se fréquentaient de moins en moins, les silences dans leurs conversations s'étendaient de plus en plus jusqu'à étouffer les efforts impossibles qu'ils faisaient pour combler les apparences. Ils avaient fini par laisser tomber, admettant que ce qui les séparait prenait le pas sur le lien qui les unissait. Néanmoins, ils restaient amis et ils tentaient tous les jours de s'adapter à leur relation devenue étrange et si peu naturelle. En apparence, rien n'avait changé entre eux. Ils se parlaient par téléphone ou dans les couloirs du lycée dès qu'ils en avaient l'occasion. Leurs sujets de conversation étaient devenus neutres, dépourvus de tout ce qui pourrait heurter l'un ou l'autre. Seules les larmes qui la surprenait certains soirs ou le manque de réaction de John pouvait indiquer que quelque chose n'allait pas.

Les jours se suivirent et se ressemblèrent jusqu'à ce qu'arrive la fin de l'année scolaire. Aurore et John étaient assis sur un banc et prenaient un bain de soleil en savourant d'être enfin en vacances. Pendant ce temps-là, quelque part dans un commissariat à Paris avait lieu une enquête assez dérangeante. Dérangeante pour l'opinion publique et les policiers qui travaillaient sur l'affaire. Il avait été conclu que les six jeunes qui avaient été retrouvés morts dans une rue parisienne il y a quelques semaines de cela pourraient avoir été victimes d'un meurtre. Les six individus sont morts dans des circonstances étranges. D'autant plus que le quartier dans lequel ils se trouvaient n'était pas mal fréquenté. Tout laissait à penser que c'était une intervention extérieure qui avait causé leur mort. Malheureusement, faute de preuves et de témoins, l'affaire avançait lentement. Seulement, une pièce à conviction pourrait changer la donne. Un portable a été retrouvé sur la scène de crime. Il est endommagé et nécessitera sûrement le travail d'un laboratoire scientifique pour déterminer ce qu'il contient, mais c'était une piste intéressante à creuser pour les enquêteurs. Ces derniers prirent contact avec un laboratoire indépendant en leur envoyant le portable afin de déterminer s'il contient une quelconque information sur ce qui a pu se passer cette nuit-là.

Les rêves d'Aurore avaient toujours mis en scène ses angoisses les plus folles. Depuis le soir de l'accident, elle revoyait toujours la même chose : des visages, flous, qui l'entouraient tandis qu'elle se trouvait au sol, incapable de bouger, tenaillée par la peur. Elle écrivait toujours cependant. Elle écrivait sa peur à défaut de réussir à la contrôler. Elle noircissait les pages des sentiments bruts qu'elle ressentait ; écrivant sur des cahiers, des livres ou même les murs de sa chambre. Ses doigts empoignaient le stylo, le crayon ou tout ce qui lui tombait sous la main et qui lui permettait d'inscrire les mots qui la possédaient comme si sa vie en dépendait. Elle ne pouvait s'arrêter d'écrire jusqu'à ce qu'elle revienne à elle et découvre les messages.


On ne m'a jamais demandé mon avis. En fait, je crois que depuis le début je n'ai fait que de suivre le mouvement, sans m'attarder à réfléchir. Je ne sais pas si je peux me reposer sur cette unique raison pour justifier ce que j'ai fait. Je n'ai jamais eu l'envie de devenir l'être que je suis aujourd'hui. Face à un constat d'impuissance sur mon passé, je me contente de réparer l'irréparable pour m'assurer un futur plus honnête. L'homme que j'étais ne doit pas revenir me hanter. Je sais que j'en suis capable. Le changement ne me fait pas peur.

Les premiers rayons du soleil filtraient au travers des volets. Des ronflements se firent entendre dans la pièce, suivis par des soupirs lorsque la lumière crue réchauffa le visage endormi sur l'oreiller. Ouvrant les yeux, il retira ses couvertures et sortit du lit. Se dirigeant vers la salle de bains, il se rinça le visage à l'eau claire avant d'appliquer du gel à raser sur son visage et de s'occuper de sa barbe qu'il trouvait un peu trop fournie. De la musique résonna dans les haut-parleurs. Souriant, il bâilla puis rentra dans la douche pour se laver. Lorsqu'il eut terminé, il s'habilla rapidement et quitta sa chambre. Dans les couloirs de l'entreprise, plusieurs ouvriers s'affairaient déjà à sécuriser les étages en y installant des caméras supplémentaires et en changeant les codes d'accès. D'autres encore renforçaient le blindage des portes pour qu'il soit plus difficile d'accéder au bâtiment. Saluant les employés de l'équipe de nettoyage qui passaient l'aspirateur, il se dirigea vers le bureau de son père.

James se doutait bien que tout ce remue-ménage ne fût pas anodin et que la fuite du sujet 7.15 en était à l'origine. Néanmoins, cela donnait l'impression que tout le monde se préparait à subir une intrusion imminente qui pourrait leur causer du tort. Entrant sans frapper dans le bureau de Lucian, il s'assit sur l'une des chaises, pas le moins du monde inquiété par le fait que sa présence devait sûrement déranger les deux collaborateurs dans la pièce qui étaient en pleine discussion avec son père. Les deux individus lui jetèrent un regard dédaigneux, mais James les ignora, récupérant le journal posé sur la table basse et parcourant les pages en sifflotant. Au bout de quelques minutes, les collaborateurs saluèrent Lucian et s'en allèrent, laissant le père et le fils seul dans la pièce.

  • Ca doit bien faire des années que je n'ai pas été réveillé en musique même si, en réalité, j'étais déjà levé. C'est l'intention qui compte. Lean On Me, qui plus est. Vous ne trouvez pas que la chanson ravive un peu trop l'espoir au vu des circonstances ? Même si le fait d'en faire profiter tout le monde en diffusant le morceau en boucle dans les haut-parleurs part d'un bon sentiment, je crains que vous ne finissiez par vous attirer la haine de tout le personnel, si ce n'est pas déjà fait.
  • Bien le bonjour à toi aussi James, je vois que tu es en forme aujourd'hui. C'est une bonne chose, j'ai des affaires préoccupantes à régler et j'aurai besoin que tu sois particulièrement attentif.
  • Laissez-moi deviner... Vos affaires préoccupantes ne concerneraient-elles pas le sujet 7.15 ?
  • Pas que. S'il n'y avait que ça James…

Lucian se leva, entrant un code et ouvrit la porte du coffre-fort se trouvant derrière son bureau. Sortant l'unique dossier qui se trouvait à l'intérieur, il se rassit, l'ouvrant devant James.

  • Tu dois savoir comment les problèmes se règlent ici, depuis le temps. Bien entendu, jamais je n'aurais pensé qu'un jour, nous ayons à faire face à une difficulté d'une telle ampleur, mais cela ne veut pas dire que nous sommes désespérés au point de ne pas réussir à trouver une solution. Voici tous les éléments qui se rapportent à l'Expérimentation. Je veux que tu les étudies dans les moindres détails, que tu lises entre les lignes afin de déterminer ce qu'il nous a échappé, car l'erreur est humaine et ce n'est sûrement pas dû au hasard si l'un de nos sujets est défaillant.

  • Au regret de vous l'apprendre, il s'avère que j'en sais suffisamment pour réaliser que nous sommes bel et bien dans une impasse. Comment voulez-vous que je rectifie une erreur qui n'en est pas une ? Certes, il y a des points qui nous échappent et je ne tarderais pas à lever le voile sur nos incertitudes, mais s'il y a bien une chose dont je suis sûr, c'est que les sujets ne sont pas défaillants, mais qu'ils évoluent avec leur environnement. Nous avons commis une erreur, c'est celle de ne pas avoir su réagir lorsque les premières réactions sont intervenues sur certains des sujets. C'est à partir de là que nous avons perdu le contrôle.

  • J'ai besoin que l'incident concernant la fuite d'Aurore soit résolu rapidement. C'est le plus urgent et si nous n'agissons pas, cela risque de nous compliquer la tâche. Quant aux autres sujets, je veux que tu me trouves quelque chose d'efficace pour les rendre plus… dociles. Une arme qui pourrait dissuader ceux qui tenteront de défier l'autorité. Le sérum que tu as développé et dont tu as administré Aurore avant qu'elle ne parte, je veux que tu le retravailles pour que les effets durent plus longtemps. Lorsque nous aurons récupéré Aurore, nous nous occuperons des autres afin qu'il n'y ait plus aucune bavure.

  • J'ai peut-être une idée concernant le sujet 7.15. Laissez-moi la retrouver, seul. Je vais la traquer sans répit, mais pour cela, j'ai besoin qu'il n'y ait personne d'autre que moi à sa recherche. Il faut qu'elle baisse la garde, suffisamment pour qu'elle se croie hors de danger et ainsi qu'elle commette des erreurs que nous utiliserons pour déterminer l'endroit où elle se cache.

  • Je te donne quarante-huit heures pour la ramener. Ne me déçois pas.

James hocha la tête, puis, il quitta le bureau. Chaque minute étant comptée, il lui fallait se dépêcher pour élaborer un plan pour l'atteindre.

Les bourrasques dérangèrent les feuilles des arbres qui s'agitèrent dans tous les sens, créant un son répétitif, presque agaçant pour le sujet 7.15. Cette dernière se trouvait allongée sur le sol d'une maison délabrée, recroquevillée dans une couverture en laine. Elle avait passé une nuit difficile, se réveillant plusieurs fois à cause du sérum encore actif qui se diffusait dans ses veines. Elle s'était réfugiée dans une pièce de la maison où il n'y avait pas de fenêtre, craignant d'être vue par tous et se refusant de voir ce qu'il se passait dehors. Elle tenait pour acquis le fait que si elle ne se faisait pas remarquer, personne ne prendra la peine de la retrouver. A tort… Le sommeil perturbé par des visions haletantes d'un futur dévastateur, elle craignait que ses songes deviennent réalité et l'engloutissent dans la terreur. Malgré ses précautions, elle se sentait épiée. Elle ressentait la désagréable impression d'avoir été menée de bout en bout. Pourquoi elle ?

Ne jamais ouvrir les yeux.

Elle voyait des formes glissaient sur le mur, envahir la pièce jusqu'à arriver à sa hauteur.

Ne jamais ouvrir les yeux.

Son cœur battant rythmait son angoisse. Elle ne s'en sortira pas. Elle sentit le plancher craquer. Quelqu'un était là. Il approche. Elle ressentait la noirceur envahir son cœur, c'en était fini pour elle. Les yeux résolument clos, elle pleura de colère. Ils m'ont retrouvé.

Aurore se réveilla en sursaut au milieu du salon. Reprenant sa respiration, elle réalisa peu à peu où elle se trouvait, dans un endroit qu'elle ne connaissait pas. Elle jeta un regard circulaire dans la pièce, il n'y avait personne. La luminosité accrue qui traversait les trous béants dans le mur, à l'endroit même où il y avait autrefois des fenêtres, lui indiquèrent que la journée était déjà bien entamée. Il devait sûrement être l'après-midi. Replaçant la couverture en laine sur elle, elle alluma la cheminée, frottant ses mains pour les réchauffer. Elle n'avait pas encore découvert la signification de ses songes. Elle savait seulement qu'ils détenaient une part de vérité, comme si elle pouvait pressentir que quelque chose allait se passer. La veille, elle avait fouillé le moindre recoin de la maison, rassemblant tout ce qui pouvait lui être utile comme un peu de nourriture ou une lampe torche. Toutefois, il lui manquait une chose essentielle : de l'argent. Au moment de sa fuite, avant qu'elle n'aille retrouver James en le forçant à la suivre, elle avait récupéré ses affaires qui dataient du jour de son enlèvement et notamment son sac de cours dans lequel se trouvait, entre autres, son ordinateur. Lorsqu'elle découvrit qu'ils avaient laissé ses affaires intactes sans rien lui prendre, elle fut rassurée : cela lui donnait une chance de retourner chez elle. Pour quitter le pays, elle avait besoin d'argent. Il lui fallait une somme qui puisse couvrir l'achat de faux papiers et le vol d'avion ainsi que quelques vêtements de rechange. Or, elle savait parfaitement comment se procurer cela.

Ses voisins les plus proches étaient partis. Elle avait entendu leur voiture qui roulait dans l'allée au petit matin après qu'ils ont chargé le coffre de bagages. Elle rangea alors toutes ses affaires et se rendit dans leur maison. Elle pénétra à l'intérieur, forçant la serrure, priant pour que l'habitation ne soit pas dotée d'un système d'alarme. A son grand soulagement, aucun bruit ne retentit. Elle s'assit par terre en tailleur dans la première pièce qu'elle trouva, à savoir la cuisine. Ne perdant pas de temps à trouver un endroit plus confortable, elle pianota sur son ordi. Les propriétaires des lieux pouvaient revenir d'un instant à l'autre et détourner de l'argent en si peu de temps n'allait pas être une mince affaire.

Aurore avait déjà à de nombreuses reprises flirté avec l'illégalité. Que ce soit pour dépanner des amis en leur fournissant un faux permis de conduire ou encore en effaçant les dettes bancaires d'un anonyme qui avait pris en contact avec elle. Il était rare que l'on requiert ses services pour obtenir un avantage en accord avec la loi. Cependant, elle se moquait bien de transgresser les règles. Du moment qu'elle ne rencontrait jamais ses clients et que toute transaction se faisait via un site sécurisé qu'elle avait créé et dont elle garantissait la confidentialité, elle n'y voyait aucun problème. Tout était une histoire d'équilibre. Elle se voyait comme une citoyenne avant-gardiste qui mettait tout en œuvre pour rééquilibrer la balance qui penchait un peu trop pour les mêmes à son goût. Quarante-cinq minutes plus tard, un compte étranger fut crédité d'une coquette somme de 50 000 dollars. C'était plus que ce qui lui était nécessaire, mais elle comptait disparaître un moment. Elle n'avait pas oublié qu'elle risquait de faire face à la justice une fois rentrée en France. Autant rester dans l'ombre quelque temps. Elle avait également fixé un lieu de rendez-vous avec un contact sur place qu'elle a trouvé parmi les milliers d'abonnés sur son site. Demain, elle ira le retrouver pour récupérer les papiers et échanger une partie de l'argent en monnaie locale pour le vol.

Demain, elle sera libre.

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