Chapitre 3 : Captive

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Le bâtiment en soi n'avait rien d'extraordinaire. Il s'élevait simplement parmi le reste des édifices de la ville, sans marquer ostensiblement sa présence. Sa structure, semblable à celle des bâtiments abritant des laboratoires scientifiques, était faite de grandes vitres bleutées et opaques dans lesquelles on pouvait voir un parking rempli de véhicules se déverser aux pieds du bâtiment. Seul un étage se différenciait du reste. Celui où était situé le bureau du Président-directeur général de l'entreprise. Le seul étage où on pouvait voir ce qu'il s'y passait à l'intérieur depuis la rue. Au sein de cet édifice régnait une synergie intellectuelle des plus incroyables où l'extraordinaire se mêlait au probable pour créer la science de demain.

Les femmes et les hommes de l'ombre, celles et ceux qui apportaient leur valeur ajoutée pour le futur de l'Homme, agissaient sans s'imposer de limites jusqu'à devenir de plus en plus prévisibles. Leurs gestes, effectués avec rapidité et minutie, témoignaient d'une expérience froide et quasiimplacable. Toute trace d'humanité avait disparue et leur attitude, apparente à celle de robots obéissants, fournissait les résultats escomptés. L'échec, un mot tabou pour le personnel qui définissait les tâches et celui qui les exécutait. Cela impliquait une erreur que l'entreprise ne pouvait se permettre. L'équilibre résidait dans une réussite constante sans qu'aucun remous ne puisse altérer la hiérarchie du réseau.

Boosté par une forte croissance, le complexe militaire était à l'origine de nombreuses expériences instables et à l'issue aléatoire, ironiquement, en totale contradiction avec la philosophie de la firme. Ces expériences, réalisées sur très peu de sujets, étaient le fruit de recherches menées par les plus grands scientifiques internationaux qui prétextaient rechercher un remède à une maladie pour se permettre des écarts exponentiels, à la limite de la moralité. Des prélèvements de toute sorte sur des sujets humains incapables de donner leur consentement jusqu'à l'élaboration d'armes biologiques, ils n'hésitaient pas à frôler avec l'illégalité pour que le fruit d'années de recherches aboutisse. Au fil des années, ils ont réussi le pari fou de lever une quantité astronomique de fonds auprès de généreux donateurs et industriels pour financer leur travail. Leur plus grande réussite est le contrat décroché auprès des services de renseignement de nombreux pays étrangers qui étaient peu regardants sur les méthodes employées par les scientifiques, mais davantage stimulés par leurs alléchantes promesses.

Les agences de renseignement intéressées par leurs recherches étaient particulièrement attentives aux résultats obtenus par l'équipe de scientifiques. L'une des choses qui les intéressait se trouvait dans les salles de test où des patients étaient soumis à des expérimentations de grande envergure pour déterminer l'efficacité des remèdes destinés aux soldats dont l'état de santé était très préoccupant. Les personnes qui bénéficiaient de ces traitements étaient, au préalable affaibli par l'équipe médicale dans le cadre de protocoles stricts. Mais d'autres avancées étaient convoitées par les services de renseignement étrangers, notamment celles concernant les armes qui seraient à même de tromper l'ennemi à la perfection, la possibilité de connaître à l'avance et en détail les stratégies mises en place par les entreprises ou les endroits sensibles du globe qui pourraient à l'avenir se transformer en zones de guerres.

Imaginez, être capable de prédire l'avenir pour détruire une future menace avant qu'elle n'ait lieu pourrait changer les règles du jeu international. C'est tentant, non ? Ou encore, donner aux diplomates qui se sont fait élire sur la promesse d'un monde plus sûr le moyen de satisfaire leur demande grâce à une technologie innovante. Qu'un seul pays puisse détenir ce type d'arme faisait frémir et attisait les convoitises. Tous les clients de l'entreprise s'accordaient sur le fait qu'ils avaient besoin de cette chose, peu importe la forme qu'elle prendrait. Les chercheurs travaillant pour l'entreprise très controversée avaient réussi à dissoudre le moindre de leurs doutes en leurs faisant miroiter un rêve impossible. Néanmoins, l'homme qui avait fondé Le Cercle était un idéaliste. Il avait conscience des réalités et des limites imposées par notre temps, mais, il ne les laissait pas aller à l'encontre de ses idéaux. Considéré comme un savant fou pour certains, devenu un sauveur pour d'autres, il réussit à implanter ses idées dans les consciences étriquées de ses pairs et il en était venu à diriger un complexe tentaculaire aux ressources multiples.

Le Président-directeur général de l'entreprise était assis sur un confortable siège en cuir beige. Il bénéficiait de la plus belle vue de tout le bâtiment grâce au vaste mur de verre qui entourait la pièce. Celle-ci était littéralement exposée à n'importe quel curieux qui souhaitait l'observer travailler à son bureau. Un autre de ses caprices. Ironiquement, il acceptait que n'importe qui puisse le contempler tout en refusant de lever le voile sur ses véritables intentions. Ses partenaires avaient l'habitude de son comportement, lui qui soufflait les directives à demi-mot sans jamais dévoiler l'ensemble de ses cartes si bien que petit à petit, il se forgea une réputation de magnat des affaires froid, efficace et redoutable. La concurrence dans son domaine était inenvisageable tant l'importance des enjeux qu'il portait à l'échelle internationale. Son nom, murmuré à l'oreille des officiers du renseignement, conseillers diplomatiques et autres chefs d'État était la seule information personnelle qu'il acceptait de partager. Personne ne savait qui il était vraiment et chacune des enquêtes menées sur lui était rapidement bouclée faute de trouver une quelconque information vérifiable sur lui ou ses activités.

Un coup rapide fut frappé à la porte et il releva la tête, étonné de recevoir la visite de ses conseillers à cette heure-ci. L'homme qui se trouvait derrière la porte n'attendit pas de recevoir une réponse du directeur pour pousser la porte et s'engouffrer à l'intérieur de la pièce. Le vieil homme assit à son bureau, une main posée contre la page de son livre, jeta un regard interrogateur au nouvel arrivant. Il le toisa pendant quelques minutes, en silence, alors que le jeune homme s'agitait à côté de son bureau et manipulait différents boutons. Soudain, un bruit de claquement le fit sursauter et des volets métalliques descendirent le long des fenêtres, les empêchant de voir au-dehors et d'être vu. Des lumières tamisées s'allumèrent alors et il en profita pour poser son livre sur la table et observer le visage de l'homme. Ses yeux verts, dans lesquels un voile brumeux d'interrogations se diluait dans une innocence naïve, attirèrent son attention. D'ordinaire, une lueur rieuse trônait dans son regard, mais aujourd'hui elle disparue derrière un air faussement détaché qui ne trompait personne. Son apparence soignée, il portait un costume trois pièces d'excellente facture, rajoutait un côté théâtral à son allure désespérée. Ses cheveux bruns, recouverts habituellement par un fédora, étaient ternes, rejoignant ainsi son apparence inhabituelle. Il avait 27 ans, mais on lui donnait facilement dix ans de plus à cet instant. Il soupira, s'appuya contre le bureau et se tourna vers lui.


  • Père, le sujet 7.15 a de nouveau tenté de fuir. Il... Elle s'en est pris à trois de nos hommes avec une facilité déconcertante et sans le sérum pour l'immobiliser, elle nous aurait échappé. Nous avons toutes les raisons de penser que ses "capacités" sont beaucoup plus complexes que nous l'imaginions au départ et il serait raisonnable d'envisager un moyen de l'arrêter si cela s'avérait nécessaire. Il y a quelques jours...

  • Non.

Le fils fronça les sourcils, ne laissant rien transparaître de sa contrariété devant son père et choisi de tenter une nouvelle approche.


  • Je sais à quel point vous tenez à elle. Je peux le comprendre, jusqu'à un certain point. Nous n'avions jamais obtenu de résultats aussi prometteurs depuis le début de l'Expérimentation, mais cet intérêt prononcé, que certains pourraient percevoir comme une obsession démesurée n'est pas sain. Je ne sais pas vers quel chemin vous mènera-t-elle, mais cela n'augure rien de bon. Nous pouvons la laisser retourner chez elle et la placer sous surveillance pour observer l'évolution du traitement, mais la garder ici est beaucoup trop risqué.

  • C'est la raison pour laquelle tu n'es pas prêt à prendre ma succession dans l'entreprise. Tu es beaucoup trop admiratif des méthodes administratives de tes comparses et seul le rendement compte à tes yeux. Tu dénigres les porteurs du gène comme s'ils n'étaient qu'une suite de chiffres et de calculs complexes, mais tu occultes l'humain derrière. Je déteste me répéter James, mais je veux bien faire une exception pour toi. Nous la gardons ici, je n'en ai pas encore fini avec elle.

Les joues du brun rougirent et il serrait les dents. Il fulminait devant l'attitude négligée de son père et il détestait être infantilisé de la sorte alors qu'il voulait être pris au sérieux pour une fois. Cependant, sa réaction ne l'étonna pas. Il connaissait l'obstination de son paternel et c'est elle qui lui a permis d'être à la tête d'une telle organisation, mais à certains moments comme celui-ci, il désirait plus que tout que son père rejoigne son avis. Argumenter avec lui était aussi utile que de s'adresser à un mur. Il vit dans son regard que la discussion était close et l'observa reprendre sa lecture. Il se racla la gorge, fit demi-tour et quitta le bureau de son père sans un mot.

James se dirigea le long du couloir réservé aux bureaux administratifs et alluma une cigarette qu'il coinça entre ses lèvres. Il lança un sourire à la caméra présente au bout de l'allée, conscient de l'interdiction de fumer dans les locaux de l'entreprise. Il emprunta l'escalier qui menait jusqu'aux laboratoires, à cette heure-ci déserts, et s'arrêta devant l'une des salles de recherche. Un lecteur se trouvait devant lui, relié à la porte et il tapa le code pour déverrouiller celle-ci. À l'intérieur, il distinguait dans la faible lumière le matériel médical flambant neuf duquel se dégageait une forte odeur d'alcool. Le fond de la pièce était dissimulé par un rideau blanc et la faible luminosité l'empêchait de percevoir ce qu'il y avait derrière. Intrigué par sa présence, il tendit la main vers le tissu et le tira avec lenteur. Il fut soulagé lorsqu'il remarqua que la table d'opération, munie de sangles, était dépourvue de patient. Il s'apprêta à quitter la pièce lorsqu'il sentit une lame froide pressée contre sa gorge. Une sensation étrange lui parcourait le corps et il se sentait étrangement nauséeux. Lorsqu'il voulut se dégager de l'emprise de l'homme qui le maintenait, celui-ci pressa davantage la lame contre sa peau et se déplaça pour lui faire face. Il sursauta lorsqu'il vit la jeune femme devant lui et qu'il reconnut le sujet 7.15.

  • Cesse-donc de t'agiter ainsi, on n'a pas de temps à perdre. Tu vas m'aider à m'échapper d'ici.

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