IX

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 Xavier demanda à Élaine si elle pouvait aller lui chercher le rouleau de scotch qu’il avait oublié sur la table du salon. Élaine soupira plus bruyamment qu’elle ne l’aurait voulu. C’était moins par fainéantise, comme l’interprétait sans doute Xavier, qu’en raison de la répugnance exponentielle qu’elle éprouvait à l’idée de pénétrer une énième fois dans la pièce malodorante. Cependant, comme la requête avait été exprimée avec gentillesse et courtoisie, elle se sentit coupable et se leva bien vite.

  • Pas de problème, dit-elle à Xavier.
  • Merci ! fit celui-ci avec un sourire reconnaissant.

 Élaine descendit l’escalier et, une fois en bas, serpenta tant bien que mal entre fèces anciennes et neuves. Mais, alors qu’elle cherchait des yeux le rouleau de ruban adhésif qui constituait son objectif, son pied glissa sur l’une d’elles. Elle tomba à la renverse. Au lieu de trente-six chandelles, un essaim de trente-six mouches lui passa devant les yeux.

 Quand Élaine put rouvrir les paupières, celles-ci laissèrent place à un voile de larmes irrépressibles. Une douleur cuisante la traversait à partir du coccyx. Personne n’avait rien entendu de sa chute, ce qui fut au début un soulagement : elle était bien aise que le sort lui épargnât les railleries féroces des frères de Xavier. Puis elle se sentit abandonnée. Toutefois, elle était trop fière, ou trop craintive, pour quémander l’aide de qui que ce soit. Péniblement, Élaine se releva. C’est là que les sens et l’esprit lui revinrent avec plus d’acuité, et elle sentit l’odeur, perçut le contact et contempla la vue de ses vêtements, sa peau et ses cheveux souillés.

 Avec une hâte maladroite, Élaine se mit en branle. Pour la première fois de sa vie, elle alla s’enfermer dans les toilettes pour y pleurer tout son soûl. Elle n’osa pas s’asseoir sur le couvercle ou la cuvette de peur de les couvrir d’une épaisseur brune et nauséabonde. Ses sanglots la secouaient de petits spasmes, qui parfois détachaient par leur violence un fragment décollé de matière fécale. Elle se sentait comme une maternelle dont des CP avaient tiré les nattes et soulevé la jupe, mais en beaucoup plus sale.

 La honte la suffoquait. Elle se sentait honteuse de se laisser malmener ainsi et se sentait tout aussi honteuse d’en pleurer sans rien faire. Il existait pourtant une solution : s’éloigner des garnements, se couper les nattes et porter dorénavant des pantalons. Elle essaya de se calmer, mais ne réussit qu’à ravaler avec ses larmes la tension qui l’agitait.

 Elle ouvrit le robinet du lavabo le plus délicatement possible de ses mains tremblantes, afin de ne pas trop crotter les soupapes, et libéra un flux d’eau pure : si les pleurs de Madeleine avaient suffi à la besogne, c’est parce qu’ils n’avaient que les pieds impeccables du Christ à décrasser, une mince affaire. Celle d’Élaine, dans l’état déplorable où elle se trouvait, était une autre paire de manches.

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