Rojas

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Avant toute chose, je souhaitais te dire que, contrairement à ce que j’ai pu laisser entendre chez Alan, je ne t’ai jamais vraiment oubliée. Même en six mois, et tu dois savoir à quel point on évolue en si peu de temps (ça représente tout de même une demi-année, un vingtième de décennie et peut-être, je ne sais pas moi, un centième-cinquantième de vie, en espérant que ma vie soit un minimum longue, mais bref, ce n’est pas là le sujet de cette discussion que, de toute manière, nous n’aurons jamais), pas un jour n’est passé sans que ton prénom vienne titiller mes nerfs. J’aimerais te répéter que j’ai pleuré, que j’ai enragé, que j’ai hurlé mais je crois que ce serait moyennement intéressant. Banal, même. Tout le monde passe par là un jour, non ? Ou est-ce juste moi qui suis différent ? Ou toi, plus digne d’attention que n’importe quelle autre fille ? L’humain est un être sensible et peut-être que, pour atteindre la sagesse, il doit passer par… par ces chemins de traverse ? Tomber dans des impasses et faire demi-tour. Certains jours je me dis que nous faisons simplement partie d’un jeu (quel jeu amusant…) et que quelque part, les gens qui nous ont créés nous observent et lancent des paris sur ce qu’il va arriver ensuite. Je me demande si certains d’entre eux ont été assez fous pour parier sur mon bonheur. Je ne le trouverai pas seul mais toi… tu aurais pu me l’apporter, j’en suis certain. Ton amour m’aurait placé sur un trône, j’aurais été le roi du monde simplement parce que toi… tu m’aurais considéré. Tu me rétorqueras qu’il y a d’autres filles et tu as raison, mais aucune n’a ta sensibilité, ton visage tranquille mais empli de doutes (j’aurais aussi aimé balayer ces doutes et te montrer que tu es forte), ni tes secrets. C’est ça, par-dessus tout, que j’aurais aimé découvrir. Tes secrets.

Quels sont tes secrets, Murphy ?


— …une veste Christian Dior d’une valeur à l’achat de mille six-cent euros mais qui en vaut peut-être deux ou trois mille aujourd’hui comme c’est une édition limitée. J’ai envoyé toutes les photos, tous les angles, il n’y a pas d’embrouille. Si vous acceptez de me la racheter, je vous rembourse les mille euros avec les gains reçus et vous me laissez tranquille.

Silence à l’autre bout du fil. Puis le souffle ardent de Strige qui fait grésiller le micro :

— Intéressant. Mais j’ai vu une tâche sur la manche droite.

— Je peux la laver.

Je promène mon regard sur la manche en question : il n’y a pas de tâches.

— Une tâche reste une tâche. Et même si c’est une édition limitée, ça reste une veste d’occasion, déjà portée. Et volée.

Je grimace quand il prononce ce dernier mot.

— Mais c’est okay, ajoute-t-il. Tu nous donnes la veste et nous annulons ta dette.

Je fronce les sourcils :

— En fait, je pensais plutôt vous la vendre. Elle vaut deux fois le prix de votre herbe.

— Je m’en tape. Considère le surcoût comme une taxe due à ton délai et au risque que nous prendrons quand nous devrons la revendre sans nous faire chopper.

Je ne peux m’empêcher de soupirer. Mais Strige l’entend :

— Fais pas le malin. T’es pas en position de discuter. Et je sais où tu habites. Hurle aussi le sait…

— D’accord, bredouillé-je en essayant de cacher le tremblement de ma voix. Ça me va.

— Demain, lundi, siffle Strige. On t’attendra sur le pont à dix heures.

— J’ai cours à dix heures…

— Je m’en bats les couilles.

Il raccroche.

Cette histoire ne me plaît pas du tout. Cette veste volée… quelqu’un aurait bien pu me voir en train de la prendre. Ou même la porter, le samedi matin, puisque je ne savais même pas que cette veste ne m’appartenait pas. Mon nom pourrait sortir. Et le propriétaire cherchera à récupérer son précieux bien. Je pourrais toujours affirmer qu’il s’agit d’une erreur, mais ça ne dupera personne.

La seule solution serait de retrouver la trace de Serena et la forcer à avouer son coup fourré à Strige pour me déculpabiliser, mais la maligne m’évite ostensiblement depuis des jours. Lui parler en vrai : impossible, elle s’enfuit à chaque fois. Lui parler sur les réseaux : impossible aussi, elle m’a bloqué partout.

Désespérant… Dans ma cuisine, je me fais une tartine et un intervenant à la télé explique que « les jeunes sont à la dérive, ils ne savent plus rien faire d’autre que boire jusqu’à l’ivresse et prendre des drogues, ils forniquent dès quatorze ans, ils méprisent le système, le gouvernement, les professeurs, les forces de l’ordre, ils se noient dans des théories du complot, ils s’insultent à longueur de journée sur les réseaux, ils se harcèlent, se lancent des défis, se poussent au suicide, ils se prostituent, ils rejoignent des sectes. » N’importe quoi. Ma tartine n’a plus aucune saveur alors je la jette à la poubelle à peine entamée.

Je vérifie mes messages : il y a des tas de notifications, des discussions lancées il y a plusieurs jours que je n’ai désormais plus envie de poursuivre. Des gens m’ont même appelé, j’aimerais leur dire de me foutre la paix, de m’oublier. Pourquoi Murphy ne me répond pas ? Elle ne regarde même pas mes messages. Pourquoi faut-il que j’aime la seule personne qui m’ignore ?

Je lui renvoie un message (peut-être que ça l’incitera à me parler, si j’insiste un peu) : « As-tu le numéro de Serena ? Elle doit me rendre un manuel avant lundi, c’est hyper urgent s’il te plaît !!! ». Après ça, je me dis que le triple point d’exclamation était peut-être trop agressif mais je n’ai pas envie de supprimer le message alors je le laisse tel quel. Advienne que pourra.

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