Chapitre 20 - Les Anges

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Embrumé par les derniers évènements, Sylas était rentré pataud, la tête dans le gaz. Les bruits des verres vides qui retombaient sur la table, celui des voix joyeuses et des rires gras, tout lui semblait n'être qu'un vague bruit dans le fond de la salle sifflant à peine dans ses oreilles. Il s'installa silencieusement sur l'un des tabourets du bar, rêvassant. En seulement quelques jours il avait eu plus d'évènements inattendus, de surprises et de retournements de situation qu'en quelques mois. 

Il avait accompagné une Princesse, pas si fragile que ça, dont il en était physiquement tombé raide dingue, au point de ne pas pouvoir le nier. Il avait appris l'existence d'un tel spécimen d'arbre ancien appelé " Millenium ", qu'il avait d'ailleurs vue se faire réduire à néant par des démones, rencontre peu commune dont il avait reçu un si violent choc qui l'avait obligé à faire un long somme. Dans ses rêves, il avait été transporté dans les souvenirs flous de n'importe qui et pourquoi pas des fragments de son futur, et, ensuite, il avait même eut une conversation alors que la damoiselle était shootée aux effluves des plantes, puis une deuxième où elle l'avait invité à rentrer dans la légende; et enfin, il avait revu Ezra après tant d'années de silence. 

Cette bonne vieille crapule avait osé partager des souvenirs qu'ils avaient en commun à la magicienne tout en lui parlant comme le ferait un courtisant. Cette bonne tête qui avait si peu vieillis lui faisait remonter bon nombres de souvenirs qui étaient presque tous brisés par une amertume profonde.

Après quelques minutes, un bon vieux verre d'Olkui lui apparut comme par magie sous les yeux. Il releva la tête pour apercevoir une Chloé portant un petit tablier blanc tâché par l'alcool. Elle avait un petit sourire gêné, faussement confiant, sur son visage aux sourcils légèrement froncés. Elle se frotta la nuque, puis le cou et lâcha d'une voix cassée : 

— Hey ! Alors cette... Humm... quête ? le sortit-elle de ses rêveries.

— Tu travailles comme barmaid maintenant ? Je te savais pas aussi attirée par l'alcool, se moqua-t-il tout en sirotant une gorgée de ce mets qui lui paraissait bien fade aujourd'hui. 

— De nous deux, c'est toi le plus alcoolique.

— Fais attention à ce que tu dis, petite. Tu finiras le nez dedans bien plus vite que tu ne le penses.

— Parce que je suis obligée de finir comme toi ou le vieux si je veux être Purificatrice ? se plaignit-elle.

L'homme se mit à rire tout bas. Il haussa les épaules et la regarda avec de petits yeux fatigués suivit d'un sourire du même ton. 

— Et d'où ça te vient ça ?

— Bah figure toi que j'aime beaucoup le métier ! Alors je pense aller gagner ce foutu diplôme pour être prise au sérieux par les gens comme toi.

— De un, tu ne connais rien du métier, commença-t-il. De deux, c'est pas un certificat qui va te rendre crédible vu ta tête.

— Déjà, ma tête est très bien, se défendit-elle. C'est juste toi qui est jaloux d'avoir perdu ta gueule de petit con tout lisse.

— Quelle répartie ! 

— Et puis d'abord c'est à toi de me montrer le métier je te ferai dire ! Si j'ai pas encore tout appris, c'est ta faute ! s'énerva-t-elle soudainement.

— Descends de ton poney, gamine, avant que j'm'énerve, la fusilla-t-il du regard. C'est toi qui a choisis de faire une pause. Si y a des écoles pour apprendre le métier, c'est pas toi, avec juste deux foutus missions qui sortent un peu du lot, qui va mémoriser les connaissances nécessaires pour le pratiquer. Tu n'as jamais su ce que tu faisais depuis le jour où tu m'as collé aux basques et ça t'a joué de mauvais tours. Ne me blâme pas pour ça.

— C'est justement parce que je n'y connais rien que je te colle aux basques ! Choses que tu as accepté ! J'ai pas d'ordre à recevoir d'un alcoolique aigri et fatigué.

— Je suis ton mentor que tu le veuilles ou non désormais. Alors tu vas sagement m'écouter, gamine, et fermer ta grande gueule ! 

— Non ! Je la fermerai pas ma délicate et belle bouche ! Je reviens avec toi pour la prochaine mission et les autres qui suivront parce que tu es mon mentor maintenant ! Compris ?

— Bien ! hurla-t-il positivement en réponse tout en avalant cul-sec sa boisson.

— Bien ! hurla-t-elle à son tour sans réussir à cacher un large sourire heureux.

— Dieu que vous êtes bruyants aujourd'hui ! s'exclama à son tour Bethie.

Sylas s'affaissa un peu plus sur son tabouret. il fit glisser le verre en direction de l'elfe.

— Encore un, s'il te plait.

— Mais ça me plait toujours autant que tu dépenses tes sous à mon établissement, rassure toi ! J'arrive tout de suite, sourit-elle.

Il observa la petite qui servit d'autres verres. Comme à son habitude, elle était franche et ne se faisait pas prier pour remballer les hommes un peu trop entreprenants. Lorsqu'elle tapa violemment la main d'un des ivrognes du matin, celui-ci ne s'énerva même pas; il s'esclaffa d'un rire bien gras. 

— T'as raison petite ! Moi je les aime bien serrés les petites chattes ! J'aime quand elles miaulent, grogna-t-il d'une voix lourde de sens en essuyant le contour de sa bouche d'une main tout aussi sale.

La rouquine recula comme écœurée, et alors que l'aubergiste venait de poser sans retenue le verre du noiraud sur la table, elle se hâta auprès de sa protégée. Elle se mit à rire ironiquement avec lui, suivit de piques bien placés, tout en dirigeant la gamine loin du problème. Elle avait un sourire pincé, à la limite du menaçant. L'homme n'était pas plus intimidé que ça, car, sans doutes avec un gros coup dans le nez, il restait idiot et ailleurs. Comme si il n'avait rien dit, il appela pour un autre verre et ses camarades le suivirent dans sa démarche. La barmaid ne soupira pas durant son service et s'exécuta.

— Alors, cette mission top secrète ? interrogea Chloé, l'air de rien. Elle t'a emmené où Ani' ?

— Ani' ? se questionna le balafré. Hm, ce ne serait plus un secret si je t'en parlais.

— Allez... le supplia-t-elle. Tu peux bien faire un effort pour ta disciple ! 

— Je ne te ferai même pas une faveur.

— Mhm, mhm, se moqua-t-elle tout en hochant la tête. Alors c'était quoi ces pas de danse ridicules que tu m'as fait durant le bal ? Mh ? Je t'en prie, explique moi, explique moi.

— Ce n'est pas à toi que j'ai fais une faveur, c'est à Bethie.

— Traître ! Elle ne fait même pas partie de notre équipe ! 

— Serais-tu jalouse par hasard ? haussa-t-il un sourcil tout en la sondant du regard.

Chloé ne sut même pas quoi répondre. Elle sembla comme offensée, outrée même et tenta de se débattre dans une mer de sable mouvant tout en rougissant. Elle ne prononça aucune phrase claire et complète, puis, elle s'énerva et l'insulta comme elle put dans un dernier espoir.

Bethie coupa court à la discussion en revenant aux côtés de la petite. Elle passa un bras amical autour des épaules de l'adolescente et la serra fort contre elle pour la calmer.

— Dites-moi, est-ce que vous en savez quelque chose sur une certaine prophétie incluant un réparateur et des anges ? questionna-t-il d'une voix grave.

— Si on en sait quelque chose ? en rit l'aubergiste. On est bien placé pour en savoir, oui ! 

— Ca s'est pas répandu sur votre continent ? questionna la seconde.

— Je ne vous poserai pas la question autrement.

— Eh bien c'est tellement connu, ici, que chaque royaume en a sa propre fête ! Tu ferais un super raconteur d'histoire là bas. Il y en a des concours, des stands qui y sont dédiés. Comment tu n'as pas pu en entendre parler ? C'est quand même l'histoire par excellence depuis ces dernières années. 

— C'est même plus important que ça ! s'exclama Bethie. Notre Princesse est née avec les cheveux blancs et elle envoute tout le monde à son rang. Depuis ça, la prophétie s'est enclanchée pour tout le monde, souffla-t-elle plus bas d'un ton pensif, presque triste. On en avait légèrement parlé la dernière fois.

— Visiblement, ça n'enchante pas tout le monde, constatât-t-il en buvant une gorgée.

— Si tu nous en parles, c'est qu'elle t'a faite une proposition qu'il t'est difficile d'accepter. 

— Parle pour toi ! grommela la petite. 

Le Purificateur ne répondit rien. Il se contenta de reprendre une gorgée alors que la femme se pencha vers lui et s'accouda sur le bois.

— Elle nous avait faite la même proposition qu'à toi. C'était une décision assez difficile à prendre.

— Parce qu'il est compliqué d'en ressortir ? questionna-t-il.

— Non ! Non, absolument pas. Elle est très indulgente à propos de notre libre arbitre. La preuve, j'en suis sortis. On ne parle pas d'une secte là, mais d'un devoir que l'on doit accomplir avec elle.

— Pourquoi en être sortit alors ?

— Parce que... C'est compliqué, conclu-t-elle.

— Elle est allée au Millenium, enchaina Chloé. Le future qu'elle y a vue devait être super effrayant parce qu'elle ne m'a absolument rien dit à ce propos !

— Normalement, le Millenium est un passage obligé pour chacun de ses anges. Mais avec toi, je ne sais pas. J'imagine qu'elle a voulu en faire deux pierre d'un coup pour t'y emmener avant même de t'en parler. Je l'ai donc déjà aidé et je l'aide encore à mon échelle. Je reste juste à l'arrière.

— Moi je suis à fond dedans ! J'lui dois beaucoup à Anika, expliqua Chloé. J'suis fière de faire partie d'ses anges parce que c'est grâce à elle que j'suis devenue aussi forte aujourd'hui et que j'ai évolué dans ma magie. Il y avait pleins de choses que je savais pas faire, que je pouvais pas faire et maintenant que j'la connais, je suis une pro ! 

— En sachant que déjà maintenant t'as du mal, j'imaginais pas quelle incapable tu devais être avant ! se moqua-t-il.

— Dis le mec qui s'est fait une cicatrice dégueulasse parce qu'il savait pas gérer un truc que tout le monde peux réussir à contrôler, annonça-t-elle en souriant avec dédain et malice.

— J'aurais jamais dut te faire part de ça, salle mioche.

— Toujours est-il que nous ne sommes pas bien nombreux et si avant même de te connaitre elle te propose un truc pareil, c'est pas rien, continua l'elfe.

— Et qui a-t-elle ralliée à sa cause ?

— À ma connaissance, il y a Léo et Chloé. Quant à moi c'est compliqué. Je sais que Mery, la fille ainée des KAVENDISH, supplie son amie de les rejoindre mais... Anika continue de refuser. Un jour, elle m'a fait part d'avoir vue le visage de certains des autres anges, notamment celui d'une petite fille. Mais je n'en sais pas grand chose de plus. Elle reste assez discrete sur les évenements futur et incertains.

— C'est peu.

— Elle ne peut pas se permettre de ramener n'importe qui. Être orphelin n'est pas une excuse pour tous les rallier à sa cause. Il en faut bien plus que ça et je pense qu'elle en est la seule juge.

— Mais attends, s'exclama la rouquine, ca veut dire que t'es orphelin toi aussi ?

Sylas poussa un profond soupire ennuyé, presque un grognement de mécontentement. 

— Non. Mes parents sont simplement morts comme tous les autres : déchiquetés par les chiens de Cali et c'est tout, insista-t-il.

— Donc tu as vécu dans un orphelinat ? demanda la petite, des étoiles pleins les yeux.

— Encore moins ! Est-ce qu'on peut arrêter de spéculer sur mes parents ? 

— Dis toi, que peu importe ce que tu choisiras, Anika sera derrière toi et acceptera les choses. Elle essayera surement de t'embarquer dans quelques missions ou demandera ton aide quelques fois, mais ça s'arrêtera là. Mine de rien, tu es embarqué là dedans que tu le veuilles ou non, même juste à petite échelle. Si vraiment ça ne te convient pas, tu pourras toujours fuir loin : on ne te retiendra pas. D'un autre côté, elle assurera surement ta protection et te donnera des privilèges alléchants.

L'homme acquiesça silencieusement en finissant son verre d'une longue gorgée. 

— Et puis, pense que tu pourras passer plus de temps avec moi et Anika ! sourit-elle à pleine dent.

— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de lui dire qu'il va devoir encore plus te supporter. 

— Et toi tu passeras plus de temps avec Léo, soumit-il.

— Petit con, cracha la rouquine. 

Les deux adultes rirent tout deux entre eux d'un rire bas et retenu.

*

Voilà que quelques jours étaient passés et Chloé était revenue à ses côtés pour quelques misérables quêtes jusqu'à la dernière. Ils s'étaient battus contre des ours sinepellis. Même si c'était surtout un entrainement pour la petite, ils s'étaient bien amusés et elle ne s'en priva pas pour tout raconter à la mère aubergiste.

— Ils avaient des ailes, Bethie ! Des ailes ! s'excita-t-elle. C'était hilarant t'aurais du voir ! Ils ont des ailes minuscules par rapport à leurs corps ! On aurait dit qu'ils allaient tomber à chaque flapement, rit-elle en imitant le vole d'un oiseau de ses bras.

Son mentor posa une main lourde sur le haut du crâne de la petite qui recroquevilla sa tête dans ses épaule sous le poids. 

— Dégage ta main ! ordonna-t-elle.

— Tu aurais surtout dut la voir courir quand elle ratait un tir et que les bêtes lui volaient dessus. C'est elle qui était à deux doigts de tomber à chaque pas. Elle balançait ses bras dans tous les sens, comme un poulpe paniqué, ricana le professionnel.

— Et toi tu as faillis y perdre la tête !

— Je t'avais bien expliqué que ma vie était entre tes mains et que c'était à toi de les abattre. Tu es la seule à blâmer, se dédouana-t-il sous le rire de la barmaid qui les avait attentivement écouté.

— Dis moi Chloé, tu as déjà rencontré des fées ?

— Quoi ? Oh mon con, s'étonna-t-elle. T'as une quête à propos de petites fées ? 

— Et pas qu'un peu. C'est notre Princesse qui l'a déposé rien que pour vous ! Les dernières fées, apparemment rescapées d'un récent massacre, se sont cachées dans les bois. Une petite messagère aurait volé jusqu'au royaume le plus proche pour demander à ce qu'on vienne les chercher et les escorter jusqu'au lieu demandé.

— Elles ne peuvent pas y aller toutes seules ? questionna le concerné.

— Non... soupira-t-elle. En ce moment, des rumeurs courts sur les fées, alors les prêteurs sur gages les chassent pour des raisons barbares. De plus, ce type de fée est bien plus rare que les races habituelles, annonça la femme en envoyant un regard très appuyé à Sylas. Entre les monstres qui en feraient leur déjeuné, et les personnes malintentionnées qui pourraient être au courant... Elles ne sont pas à l'abris d'être décimées.

— Yes ! Oui ! Oui on l'a prends ! sautilla l'adolescente sans demander l'avis de Sylas qui céda rapidement.

— Combien ? questionna-t-il.

— C'est Anika... Tu lui poseras directement la question. Tout ce que je sais moi, c'est ce que je viens de vous dire. Vous en saurez plus quand vous irez là voir. Et comme j'ai cru comprendre que c'était une mission urgente du style... Urgente à faire de suite, vous n'avez qu'à y aller tout de suite ! 

— Cool, cool ! Viens le vieux, on y va ! 

La tachetée prit avec enthousiasme le bras du balafré sous le sourire et le regard bienveillant et rassuré de l'elfe. Sylas fut entrainé par la fillette et pour se moquer d'elle, il resta bien droit sur sa position alors qu'elle avait forcé sur sa poigne. Il la regarda galérer, rebrousser chemin, et le fusiller du regard alors qu'elle y avait mis toute sa force. Quand il relâcha son poids, Chloé tira d'un coup sec sur sa main ce qui fit décoller les pieds de l'homme dont le cœur venait de rater un battement.. Fière de son coup, la petite l'emmena avec elle jusqu'à la porte de la bâtisse, et, la traversèrent.

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