Chapitre 15 - Les montures royales

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Sylas n'avait reçu qu'un seul messager de toute la soirée. Celui-ci était venu lui annoncer qu'il partirait au petit matin avant même que le soleil ne se lève, et que tout son équipement était déjà sur place. Le professionnel n'était pas bien ravi de cette nouvelle; on venait clairement lui apprendre qu'on avait fouillé dans ses affaires sans aucun scrupule au nom de la grande Princesse. Si c'est ça « ne pas utiliser d'ordre absolu », alors il aimerait bien voir ce qu'est un ordre absolu pour elle. C'était le genre de réflexions agacées qui lui avait martelé le cerveau durant le reste de la fête.

Et voilà qu'il était là, droit sur un cheval royal aux côtés de son Altesse. Elle portait un long manteau vert sapin à capuche semblable à une grande cape chaude qui cachait ses jambes fines. Elle portait un pantalon élaguant lui rappelant ceux de Léo et un habit couvrant ses bras et son cou accompagné d'un corset lui serrant fortement la taille. Elle avait attaché ses cheveux en un joli chignon chinois à l'aide d'une magnifique broche argentée le traversant.

Lui à côté, faisait bien pâle figure avec ses mèches rebelles, ses habits raccommodés de partout et son pantalon ayant déteint. Il n'y avait que ses chaussures, remplacées récemment, pour rivaliser ne serait-ce qu'un peu avec celles de la dame.

— Et qu'est-ce qu'on va y foutre, au Millénium ? questionna Sylas, agacé par ce silence.

Il fallait dire qu'elle n'était pas bien bavarde. Ils s'étaient salués froidement avant de partir. Elle avait évincé toutes les questions qu'il avait pu lui poser et ne lui avait même pas adressé un regard franc par dessus le marché. Après s'être fait embarquer de force, même le solitaire s'attendait à quelque chose de plus animé : comme l'on lui avait promis. Mais rien, absolument rien.

— Tu ne poserais pas la question si tu savais ce que c'était.

— Alors apprenez moi. Je vous en prie votre Altesse, déversez votre savoir divin et permettez-moi de m'en inonder, rétorqua-t-il avec ironie en faisant rouler ses yeux au ciel.

— Et si nous gardions cette discussion pour ce soir ? Nous aurons de quoi converser pendant que...

— Je dors le soir, mademoiselle, la coupa-t-il froidement.

— Pendant que la chaleur du feu réchauffe nos mains, finit-elle sa phrase avec insistance en lui adressant le premier regard humain depuis déjà plusieurs heures.

Croisant son regard, il fut de nouveau subjugué. Quelque chose d'indescriptible vint se mêler à sa colère mais il ne détourna pas les yeux. Il la dévisagea.

— Son Altesse daigne enfin me regarder ? lança-t-il avec fierté suivi d'un petit sourire narquois.

— Oui. Ça cessera vos gamineries colériques pendant un temps, au moins. Vous agissez comme un enfant, alors je vais agir comme un parent, suivit-elle d'un sourire suffisant. Vous semblez manquer d'attention de ma part, continua-t-elle sur sa lancée. Alors peut-être que si je vous en donne suffisamment, vous serez rassasié jusqu'à ce que le soleil se couche.

— Oh, et si j'en réclame daventage ?

— Alors je hausserai le ton et vous ferai taire, appuya-t-elle d'une voix ferme.

— Et ensuite vous me donnerez la fessée ? sourit-il avec malice.

Anika soupira silencieusement et regarda de nouveau l'horizon. Elle abattit soudainement les rênes de son cheval. Celui-ci se mit à galoper plus vite dépassant royalement son garde du corps. Pris au jeu, il fit de même sans quitter ce petit sourire qui lui allait si bien. Ils s'engagèrent dans une course effrénée. Alors que Sylas la regardait d'un air provocateur, celui de la Princesse était froid et brûlant de bataille mais plus il lui tenait tête, plus elle s'adoucissait et prit peu à peu un regard joueur et malicieux les rendant tous les deux complices.

— Vous allez perdre, Princesse ! s'exclama-t-il.

— Pourquoi donc ? Les femmes aussi ont le droit de chevaucher des montures rapides ! Et comme j'ai choisi la vôtre...

— Vous êtes fourbes.

— Tous les coups sont permis à la guerre ! s'exclama-t-elle aussi.

Leur compétition prit fin seulement quand la dame ensorcelante s'arrêta net. Elle força sur les rênes en cuir de son destrier qui se stoppa dans un nuage de poussière. Pris de surprise, l'autre cavalier la suivit de peu mais n'eut pas l'effet escompté. Lorsqu'il tira à son tour, son équidé glissa tellement qu'il manqua de peu de heurter un arbre ou au mieux le sol. Le professionnel se vit être projeté en avant, mais sa poigne fut si forte sur l'animal qu'il soupira de soulagement alors que son menton venait de toucher l'une des oreilles de l'étalon. Il se redressa comme si de rien n'était et se retourna vers la damoiselle aux cheveux d'argent.

— Vous avouez votre défaite, Princesse ?

— Pas du tout puisque vous avez perdu ! Nous n'avions pas décidé de la ligne d'arrivée, et je viens de le faire.

— C'est traître.

— C'est la loi du plus fort, dit-elle en descendant de sa monture suivi de près par l'autre coureur. Pour être tout à fait honnête, c'est simplement un bon lieu de campement. On passe la nuit ici le plus souvent, avoua-t-elle.

— Je vois, acquiesça-t-il. Établissons le dans ce cas.

Ils accrochèrent les chevaux à un arbre, et entre quelques taquineries mesquines, s'installèrent. Rien de bien fou: seulement quelques paillasses à déposer ainsi que leurs affaires respectives. Ils s'étaient arrêtés à quelque pas d'un sentier marqué par un passage fréquent, au milieu d'une dense forêt. Avec son habit chaud, Anika se fondait parfaitement dans le décor. Elle lui faisait penser à une nomade tandis que lui ressemblait à un voleur. Cette pensée le fit sourire.

La nuit commençait à tomber sur le chemin et l'air devint plus humide, froid. Tous deux assis l'un en face de l'autre autour du futur feu de camp, le bois était déjà prêt à recevoir sa flamme. Sylas en joua. Du bout de ses doigts, il allumait des petites étincelles. Il les claquait entre eux, faisait passer les flammes d'une extrémité à l'autre, voir même d'une main à l'autre. Il regardait la jeune femme droit dans les yeux sans rien dire.

— Vous comptez l'allumer, ce feu ? A moins que vous ne préfèreriez brûler toute la nuit pour moi ? Je ne suis pas sûre que vous me serviriez encore à quelque chose demain matin...

— Vous seriez surprise de savoir tout ce que je peux faire avec ces jolies flammes...

À ses mots, il fit apparaitre une unique et jolie lueur violette à son index qui le brûla instantanément la faisant disparaitre aussitôt. Un juron lui échappa suivit d'un petit sentiment de honte.

— À vous brûler visiblement, acquiesça-t-elle en réponse, comme si la conséquence avait été évidente. D'une certaine façon c'est comme si vous aviez déjà cautérisé le mal, se moqua gentiment la Princesse.

— Il y a bien d'autres choses que j'aimerais brûler... Autre que de brûler de désir pour vous, imita-t-il les poètes avec exagération.

Anika lui portait un sourire impassible en clignant frénétiquement des yeux, comme si elle voulait dissimuler sa gêne. Elle prit une longue inspiration et regarda aux alentours.

— Il fait frais ce soir. Alors si vous pouviez agir en conséquence et utiliser cette flamme qui je l'accorde, était très jolie et colorée, pour nous réchauffer... J'en serais fort aise. Et s'il vous plait, contenez vous : pas d'exagération sur le fait qu'on puisse se tenir chaud l'un contre l'autre.

— À vos ordres, votre Altesse... dit-il d'un ton lent et enjôleur, séducteur même.

Comme le lui avait demandé sa patronne, il alluma les braises sans en rajouter. Celles-ci se mirent à doucement brûler et une lumière rouge vint donner de plus belles couleurs au visage de la douce. D'ailleurs, elle ne souriait plus. Elle s'apaisait au rythme du bois qui s'embrasait laissant ses émotions forcées disparaitre pour ne laisser place qu'à une expression calme et plus détendue. Le Purificateur ne pouvait s'empêcher de l'épier, de la dévisager.

De son sac, il sortit d'un bout de tissu quelques brochettes de petits animaux fort en chair et les mit à cuire.

— Saignant ? À point ?

— Saignant, merci.

Tous deux acquiescèrent et il lui tendit une belle brochette qu'elle prit avec soin. Elle le remercia de nouveau et entama une première bouchée sans l'attendre. C'était peu dire, car la femme dévora les petites bêtes empalées. Du jus de viande coulait le long de son menton. Le balafré était subjugué à quel point elle pouvait paraitre élégante même lorsqu'elle mangeait avec appétit. Pour lui, Anika était décidément inhumaine. Du revers du pouce, elle essuya le liquide et le lécha.

Sortant la seconde brochette bien cuite, il la mangea également avec appétit puis en reposa deux autres sur le feu.

— Alors, revenons-en aux faits. Le Millénium, c'est quoi au juste ? Un monstre mythique et sage ?

— Pas tout à fait, mais on peut le voir comme ça. Ils ne vous ont pas appris ça, à ton école ?

— Il faut croire que non.

— Vous avez plutôt dû oublier, solutionna-t-elle.

— Vous avez entendu ? questionna soudain le Purificateur.

— Quoi ?

Les chevaux se mirent à hennir bruyamment et à s'agiter. Ils tournaient autour de l'arbre, entre eux d'eux, et claquaient violemment leurs sabots sur le sol. Pourtant, tout semblait normal, le calme plat.

— Les chevaux, ils s'affolent.

— Et ? Au pire il y a des monstres dans les parages, ou un serpent.

Sur ses gardes, le professionnel reposa la viande sur le tissu et empoigna son épée.

— Reste derrière moi, lui conseilla-t-il.

— Pourquoi faire ? Je ne m'attends pas à être touchée. C'est ton boulot de me protéger. Tu n'as qu'à me montrer comment tu peux te démener pour brûler autre chose que ton index, soumit-elle moqueuse.

— Quoi ?

Les créatures venaient d'apparaitre juste derrière elle. Alors que son Altesse reprenait les brochettes qu'il avait abandonné, il se propulsa en avant pour la défendre.

Les monstres étaient tous différents mais venaient de la même race : des Ranialyss. Elles ressemblaient à des grosses racines emmêlées qui avaient pris vie. La plus grosse ressemblait d'avantage à un arbre et se déplaçait comme un poulpe sur le sable. Un visage semblable aux citrouilles décorées était dessiné en relief sur son tronc et des bois de cerf traversaient des cheveux en feuilles. Elle était forte et ses pas résonnaient sur le sol.

Deux autres étaient minces, semblaient frêles, mais étaient aussi immensément grandes. Elles se contorsionnaient un peu n'importe comment : en tourbillon, sur elles-mêmes, d'avant en arrière, en zig-zag... Leurs longues jambes aussi se pliaient dans tous les sens rendant ces créatures dérangeantes. Elles possédaient de grandes dents épineuses dont un liquide peu rassurant dégoulinait sur l'herbe. Ce même liquide enduisait le bout de ses tentacules végétales.

Une autre se déplaçait sur un seul pied recouvert de grandes feuilles et possédait une seule tige épineuse comme corps principal, pas de bras. À son extrémité, une immense fleure rouge à quatre pétales bougeait comme si elle sécrétait ou déglutissait quelque chose.

La dernière avait deux longues racines lui servant de jambes. Le reste de son corps était étreint par elle-même par de gros bras forts et piquants. Ils étaient si longs, qu'il pouvait même se permettre de garder une longueur un peu plus petite que les bras d'un homme pour essayer de lacérer ses victimes sans avoir à découvrir son buste.

— Des Ranialyss... Comment as-tu su ?

— Vous détruisez la politesse quand le contexte devient plus sérieux ? Il faut croire que ça vous demande beaucoup d'efforts, sourit-elle, amusée de la situation avant de lui répondre. Étant donné que nous sommes en plein milieu de la forêt du Millénium, elles viennent simplement le protéger. Tu feras attention, elles sont plutôt agressives, acquiesça-t-elle. Mais je te fais confiance pour t'en débarrasser. Quelques étincelles et le problème est réglé, Monsieur le Maître du Feu, non ? On appel ça le Karma, expliqua Anika en finissant la cuisson de la viande.

Sylas grogna refermant sa poigne sur son arme. Il esquissa cependant un sourire malgré sa mine craintive et se lança.

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