Chapitre 1 - Le cri des goules

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Sylas était cerné. Il en avait déjà tué des goules, ah ça oui. Celles-ci semblaient être particulièrement affamées. Deux d'entre elles avaient déjà gouté à la lame aiguisée du purificateur ; alors qu'il reprit son souffle, les trois monstres restants saccageaient et se nourrissaient du corps de leurs copines. Des excroissances supplémentaires leur poussèrent dans le dos, signe qu'il était bien temps de les achever avant qu'elles ne deviennent plus féroces encore, jusqu'à devenir des algoules.

Sylas cracha dans l'herbe et reprit une position de défense, arme en main. Il fonça sur la plus jeune, reconnaissable aux peu de pics acérés qui lui avaient poussé sur le corps. Il lui asséna un violent coup dans le dos avant de bondir en arrière. La bête poussa un cri effroyable. Une odeur putride se dégagea de la plaie. Elle se retourna comme enragée, peinant à se mouvoir. Cette dernière poussa un hurlement glaçant venant des profondeurs de terribles cauchemars , comme si elle ordonnait d'être vengée. Les deux autres abandonnèrent leur repas et se retournèrent elles aussi. Ses consœurs montrèrent leurs dents entre lesquelles était coincée la chair toxique et pourrie de cadavres en décomposition de leurs derniers festins. Elles étaient acérées, pointues et se plantaient elles-mêmes dans leurs propres mâchoires difformes. Elles grognèrent comme pour prévenir que le combat allait reprendre.

Comme prévu, quand l'une d'elles se lança, les autres suivirent. La moins dangereuse étant la plus jeune, il se concentra sur les vétéranes. La première sauta, écartant les bras et la mâchoire dans le but d'agripper sa proie et de la manger aussitôt. Sylas ne se laissa pas faire. Et alors que la deuxième s'était jetée à ses pieds et le griffait terriblement au mollet, celui-ci perdit l'équilibre et brandit maladroitement son épée en direction de la créature sauteuse. Sa tête vola et s'écrasa un peu plus loin. Même s'il se sentait en partie soulagé d'avoir une amie aussi efficace, il ne fallait pas oublier celle qui entravait ses pattes. Violemment, il secoua sa jambe dans tous les sens dans un cri de douleur jusqu'à ce qu'un coup de pied fit se retourner l'abominable sur le dos. Très vite, il l'a plaqua au sol, écrasant son torse squelettique à l'aide de sa botte et l'exécuta aussitôt.

Mais le cri semblable à un grognement qu'il entendit derrière son dos le rappela à l'ordre. Malheureusement, il était trop tard. Elle avait déjà bondi et planté ses longues griffes terreuses dans ses deux épaules. Il poussa un fort gémissement de douleur alors que ce truc disgracieux tentait déjà de lui arracher la carotide. Il entendait ses dents claquer et grincer lorsqu'elles entraient en collision avec ce qui lui restait de gencive. La goule dansait sur son dos en faisant des petits bonds et en prenant appui sur ses lombaires avec ses grands pieds difformes et fourchus. Moins elle arrivait à ses fins, plus elle s'énervait ; d'autant plus que Sylas se débattait de toutes ses forces.

Dans un élan de génie, il agrippa le petit crâne dégarni du monstre et l'électrocuta de toute son énergie. Ses longs cheveux noirs s'électrisèrent. Eux qui étaient déjà constamment en bataille, il semblaient maintenant irrécupérables; ils s'envolaient en partie.

L'immondice le lâcha et tomba au sol dans un braillement assourdissant. Le Purificateur se retourna et alors qu'elle fut prises de spasmes incontrôlables, il l'acheva.

*

— Bonsoir, vous auriez une récompense à donner pour les goules qui pillaient les tombes du cimetière, à la sortie ? demanda Sylas, totalement détaché et épuisé.

— Oh ! Vous êtes Purificateur ? questionna l'aubergiste, surprise.

— Exact. De niveau démon, ajouta-t-il.

Sylas crut qu'elle allait lâcher le verre qu'elle était en train de remplir de bière. Mais non. Elle se contenta juste d'essayer de cacher son étonnement, sans succès au vu de l'arrêt de tout mouvement de façon anormal.

La femme portait de longs cheveux bruns coiffés en deux tresses lui tombant des deux côtés des épaules, sur la poitrine. Ses yeux bridés, de couleurs noisette, le dévisagèrent quelques secondes. Cependant il n'était pas mal à l'aise ; car globalement, l'argent qu'il pouvait récupérer de sa chasse lui importait plus qu'un regard surpris et curieux. Son nez était un peu imposant, grand, et ses lèvres pulpeuses. En fait, tout était pulpeux chez elle ; ses bras, ses hanches, sa poitrine, son dos large, surement un équivalent au reste qu'il ne pouvait voir et surtout : elle était grande. Jolie, mais certainement intimidante pour le bas peuple.

Elle toussa légèrement, se raclant la gorge au passage et reprit un sourire bien plus naturel et sage.

— Eh bien, en voilà une nouvelle. Ce n'est pas souvent qu'un Purificateur passe dans le coin ; encore moins avec un tel rang. Les mages et chevaliers sont plus d'actualité ces dernières années... soupira-t-elle.

Sylas acquiesça.

— Vous voulez un verre ? demanda-t-elle.

— Seulement si vous me payez pour le travail que j'ai fait, rétorqua-t-il ennuyé.

La dame soupira bruyamment. Elle servit le verre qu'on lui avait commandé plus tôt et regarda plus amplement son interlocuteur. Sylas était grand avec un style en pagaille. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas pris de douche sans doute et qu'il ne s'était pas fait une beauté. Ses vêtements étaient raccommodés de partout, il saignait aux épaules et il y avait encore du travail pour récupérer l'ensemble. Ses cheveux étaient d'un noir ébène, fourchus et secs. Contrairement à la coutume, il les portait courts, et encore car ceux-ci avaient poussé depuis leur dernière coupe tombant ainsi sur ses yeux, ses oreilles et sa nuque. Sa barbe était dans un piteux état. Elle le voyait plus bronzé que la moyenne mais tâché de terre et d'immondices et une balafre traversait sa joue jusqu'à sa lèvre supérieure. La seule chose qui se rattrapait chez lui, étaient ses magnifiques petits yeux bleus.

— Je vois que vous saignez... fit-elle remarquer.

— Je vois que vous n'êtes pas aveugle.

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux. Il avait complètement le caractère de son allure à moins que ça ne soit l'inverse. Elle céda.

— Hormis vos blessures, vous auriez des...

L'homme ne lui laissa pas le temps de finir. Il avait déjà déposé un sac remplit qui bougeait comme si plusieurs grenouilles tentaient de s'échapper. Elle n'hésita pas et ouvrit le contenant. À l'intérieur, elle y découvrit quatre mains de goules inactives et une qui s'excitait encore dans tous les sens. Toutes des mains gauches.

— Vous y êtes allé un peu fort avec la charge électrique, se moqua-t-elle respectueusement pour faire la conversation.

Elle leva les yeux vers lui avec un petit sourire bienveillant. Si Sylas n'était pas aussi blasé et fatigué, il aurait presque pu être étonné des connaissances de la bonne femme à ce sujet. Comment n'avait-elle pas crié et juré que c'était des mains de goules déjà mortes récupérées sur la route comme la plupart des charlatans voulant garder leurs sous ?

— Bien... Je vais voir ce que je peux faire. Je vous offre le verre en attendant.

Alors qu'il sirotait sa boisson gracieusement offerte, la bonne femme se dirigea vers les annonces. Elle les étudia, en lut quelque unes puis revint au comptoir. Sylas lui lança un regard interrogateur.

— Non, personne n'a signalé un problème à propos du cimetière, et encore moins une annonce à propos de goules.

— Et vous ne pouvez rien faire à ce propos ? Même pas m'offrir la nuit et une soignante ? demanda-t-il.

— Non, je ne peux pas comme ça. Par contre... je peux vous proposer autre chose.

— Dites toujours...

— Il y a un Loup-garou qui kidnappe les enfants de l'orphelinat depuis déjà plus d'une semaine. La directrice retrouve chaque cadavre derrière la maison au beau matin. C'est une quête urgente, personne ne veut avoir affaire à un Loup-garou qui dévore chaque nuit un humain encore en vie. La récompense est plutôt... Alléchante.

— C'est bien parce qu'elle est alléchante que cette quête est à moi ! rugit une fillette.

Une rouquine aux cheveux si frisés et abondants qu'ils en devenaient encombrants venait de s'exclamer. Elle les portait en queue de cheval haute pour que sans doute, ceux si ne gêne pas ses bras. Elle ne devait même pas avoir la majorité, à peine 16 années, seulement une adolescente qui cherchait du monstre à abattre avec une jolie prime à la clef.

Sylas tira une grimace. Pendant une bonne heure il avait vu des corps squelettiques en décomposition essayer de le manger et devant lui, il avait une adolescente en pleine crise : avec justement la peau sur les os. Des taches de rousseur coloraient son corps peu vêtu par des habits pratiques. Surement pas quelqu'un se battant au front. Ses yeux marrons le regardaient avec colère et détermination.

— Je viens d'arracher cette annonce, elle est donc à moi, affirma-t-elle. De toute façon, au vu de ton dos et de ta cheville qui pissent le sang, la bête n'aura qu'à te cueillir avant même que tu dégaines quoi que ce soit.

Sylas fronça les sourcils. Quelle petite sotte désagréable.

— C'est comme ça que tu parles à tes aînés ? demanda-t-il, lascif tout en sirotant une autre gorgée. Tes parents n'ont pas bien fait leur boulot...

— Peut-être parce que je n'ai pas de parents, trou'duc.

— Chloé... soupira l'aubergiste.

— Quoi ? l'interrogea-t-elle, agressive.

— Respire, lui demanda-t-elle.

— Quoi ? Mais regarde-le, il s'est fait laminer contre une pauvre goule qui pillait des tombes ! Comment tu veux qu'il survive face à un Loup-garou ?

— Cinq, rectifia-t-il. Et si je ne les avais pas tuées elles seraient devenues des algoules et se seraient jetées sur les villages autour de la capitale et les auraient décimés un par un, conclut t-il en finissant son verre.

La gamine se tut un instant et regarda la femme, presque choquée. Elle semblait trop fière pour avouer sa défaite mais aussi trop fière pour dire une bêtise de plus. Alors elle laissa l'aubergiste calmer la situation.

— Chloé, je te présente ... Hum...

Elle tourna la tête vers le Purificateur attendant qu'il complète sa phrase dans un sourire calme et apaisant. Une façon bien maligne de demander un nom.

— Sylas LOCBARD, Madame.

— Oh, appelez-moi Bethie, glissa-t-elle avant de continuer. Chloé, je te présente donc Sylas LOCBARD. Il est Purificateur.

— Et alo-

— De rang Démon, coupa t-elle.

L'adolescente se tut à nouveau. Elle dévisagea l'homme qui ne la regardait même pas. Il épiait seulement son verre vide.

— Je me disais, que vous pourriez faire la quête ensemble. Tu pourrais apprendre de lui comme c'est ton premier travail en solitaire... suggéra t-elle malicieusement l'air de rien.

— Je ne suis pas d'accord, protesta Sylas. Jamais d'enfant.

— Je ne suis pas une enfant ! grommela t-elle.

— J'insiste, vraiment. Tu auras surement besoin d'elle pour paralyser la bête de loin. De plus, si tu acceptes je veux bien faire un effort.

— C'est-à-dire ? questionna l'homme.

— Si tu me promets de faire cette quête avec Chloé, je te garde une chambre pour la nuit, un repas avec un déjeuner, cinq verres d'alcool offerts et de l'eau à volonté. Sans compter ma soigneuse la plus expérimentée. Avec ça, une fois le contrat terminé tu partageras cette récompense alléchante avec elle et je t'offrirai une prime pour tes cinq mains de goules.

Sylas se tut un instant lui aussi. L'offre était bien plus que tentante et il leva les yeux de son verre. Il regarda la rouquine qui, bien que la tête haute, était silencieuse et honteuse. Il tendit la main en sa direction.

— Je peux voir le papier ? demanda-t-il.

— Si ça te fait plaisir... répondit-elle encore bougonne.

Chloé s'exécuta. Le blessé prit la demande, la lut, puis posa la feuille sur le comptoir. Il resta un instant silencieux alors que Bethie le dévisageait.

— Sers-moi un verre d'Olkui s'il te plaît.

La barmaid sourit, satisfaite, et s'exécuta.

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