Chapitre 5

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DeuxLunes, qui avait préféré dormir d’abord et observer les environs avec attention, se tenait de bon matin devant un grand mur semi-visible constitué apparemment d’eau et d’air. Cette « bulle », à défaut d’un meilleur mot, faisait environ 40 mètres de diamètre et encerclait un grand cabanon sur pilotis construit en bord de plage, à moitié sur le sable, à moitié dans la mer. La construction en bois était assez massive pour supporter une tempête et suffisamment haute pour être vue de loin. Il n’y avait cependant pas de village en vue. Lui qui espérait trouver des humains rapidement…

Il avait soif et faim. Ses provisions étaient épuisées, son visage était desséché par le soleil et il se sentait vaguement défaillir.

DeuxLunes toucha le mur scintillant. Sa main s’y enfonça légèrement. Il n’était donc pas hermétique. Peut-être un mur qui ne laissait passer que les humains? Il tenta sa chance et tenta de traverser lentement. Ses bras traversèrent la surface, puis son pied gauche, puis sa tête et enfin il passa tout entier. A l’intérieur de la bulle, l’air semblait en mouvement, pulsant d’avant en arrière ou plutôt de l’intérieur vers l’extérieur et inversement, comme une respiration. C’était assez perturbant mais rafraîchissant. Il s’avança jusqu’à la construction en bois et monta à l’échelle. Le cabanon était frais, récent. Au centre de l’unique pièce, il y avait un trou qui de toute évidence donnait sur quelque chose. Difficile de dire où. Cela n’avait pas de sens car le trou ne donnait pas clairement sur la plage où il aurait dû, mais plutôt dans la mer. En se couchant par terre pour l’observer, il vit une sorte de tunnel bleu clair s’en aller quelque part vers le bas. La pièce ne comportait aucune indication, aucun avertissement. DeuxLunes n’hésita pas très longtemps, la faim et la soif le tenaillaient et il n’osait toujours pas utiliser sa magie pour y remédier. Il sauta dans le tunnel et se mit à tomber puis à glisser horizontalement comme dans un toboggan…

Le voyage, même bref, fut assez magique. Il pouvait apercevoir à travers la paroi semi-transparente la mer autour de lui et sa fraîcheur. Il sentait sur sa peau son humidité et aussi cet air très frais qui pulsait. Et il glissait à une vitesse presque affolante. Son voyage dura environ 30 secondes et il finit par se faire éjecter à l’intérieur d’un immense dôme sous-marin. Il rebondit contre une sorte d’algue spongieuse qui arrêta doucement sa course folle et le laissa retomber par terre, indemne.

Le sol était sablonneux. Autour de lui, des maisons coralliennes bleues et blanches, bleues et roses, bleues et violettes, bleues et ocre. Et des hommes et des femmes l’observaient avec étonnement, manifestement interrompus dans leurs activités quotidiennes. DeuxLunes se mit à rire de soulagement et de joie. Cela fit sourire son audience.

Deux enfants, fille et garçon, manifestement tout excités par son apparition s’approchèrent de lui:

- Bonjour! firent-ils ensemble.

- Bonjour, dit DeuxLunes.

- On vous a jamais vu. Vous venez d’où?

- De Séquoia, dit-il en se rembrunissant.

- De Séquoia? Ca fait très longtemps que personne n’est venu chez nous de là-bas! Vous venez faire quoi ici? répliquèrent-ils manifestement tout excités.

- Je viens… Il hésita. Je viens parler au chef du village de quelque chose d’important. Pouvez-vous me conduire à lui ou à elle?

- Bien sûr! Suivez-nous!

Prenant leur rôle de guide très au sérieux, ils le menèrent rapidement au centre du village maritime en passant au milieu d’habitations magnifiques et d’une poésie folle. Le corail avait été utilisé partout d’une manière ingénieuse et tout le village respirait la beauté. DeuxLunes songea douloureusement à tout ce qui pourrait être détruit si l’Ennemi sentait sa présence ici. Il se hâta de suivre les enfants, fermant tout son être à la magie au point de se sentir défaillir. Les villageois l’observaient légèrement stupéfaits, captant sans doute ses efforts et certains se mirent à les suivre pour savoir de quoi il retournait.

Enfin le petit cortège arriva devant une maison de deux étages, ronde au toit plat, les murs percés de nombreuses fenêtres. Une femme de 40 ans environ et un homme plus jeune en sortirent. Elle était très belle, les cheveux roux et les yeux bleus foncés. L’homme moins harmonieux, le visage coupé à la serpe, yeux noirs et cheveux noir, portait un bock coupé court. Celui-ci lui dit bonjour et lui serra la main d’un air interrogateur. DeuxLunes dit: “Je viens de Séquoia… , un malheur est arrivé… , puis-je entrer me reposer et boire quelque chose?

- Oui, bien sûr répliqua la rousse. Entrez. Je m’appelle Perry, je suis la cheffe du village. Et voici Tikal, mon adjoint.

Il se poussèrent pour le laisser passer puis se regardèrent avec anxiété. DeuxLunes s’affala sur une chaise en corail blanc près d’une table en corail vermeille. Ils lui servirent à boire en silence, puis à manger des sortes d’algues colorées, ainsi que des beignets de poisson ou du moins le supposa-t-il. Il se jeta sur tout avec soulagement et ils le laissèrent faire. Un petit attroupement de citoyens s’était formé à l’entrée de la pièce. Tous des adultes. Quelques enfants accroupis entre leurs jambes observaient la scène eux aussi.

- Alors, demanda Perry? Qu’est-il arrivé?

DeuxLunes les regarda un moment, hésitant. Ses yeux se noyèrent de larmes, il fut un instant incapable de parler. Puis d’une voix cassée, il dit:

- Tout le village est détruit, quelqu’un nous a attaqué. Je suis le seul survivant.

L’assistance fut médusée. L’angoisse et la peur s’emparèrent très rapidement de tout le village. Les habitants relayant la nouvelle de pensée à pensée. Les émotions enflèrent rapidement, balayant tout le monde; des enfants se mirent à pleurer.

Cela faisait longtemps qu’il n’était rien arrivé de grave, tous s’étaient mis à espérer que la vie pourrait se faire plus belle et voilà que soudain, à nouveau, le malheur pouvait frapper sans prévenir.

Tikal se leva et donna des ordres pour calmer tout le monde puis il se tourna vers DeuxLunes et il lui ordonna de lui montrer par la pensée ce qui était arrivé. DeuxLunes ne voulait pas cela. Il ne voulait pas réactiver ainsi ses capacités. Il fit non de la tête.

- Non désolé, je ne peux pas faire cela. Quelqu’un me cherche, ce quelqu’un, cet ennemi me traque comme si il voulait qu’il n’y ait pas de survivant, je ne veux pas attirer son attention ici, dans votre village. C’est dangereux pour vous.

La nouvelle fit à nouveau le tour du village. L’angoisse augmenta et les questions fusèrent dans les têtes et dans celle de DeuxLunes. « Qui est cet ennemi? Que veut-il? A quoi ressemble-t-il? Comment peut-il être si puissant? Est-ce un humain? Un animal? »

DeuxLunes vacilla légèrement sous le choc et dû créer un léger bouclier mental pour supporter ces intrusions. Et derechef:

- Je ne peux plus le lire!

- Qui est ce garçon?

- Méfions-nous!

- Il amène le malheur, il faut qu’il parte!

- Qu’il donne des réponses!

Certains villageois étaient déchaînés. Apparemment, les habitants marins contrôlaient beaucoup moins bien leurs émotions et pensées que les villageois de Séquoia. Mais Perry leur envoya des ordres mentaux pour qu’ils se calment et DeuxLunes put souffler. Perry insista alors pour qu’il raconte son histoire, comme il le voulait, avec des mots si il le préférait. Et c’est ce qu’il fit, en omettant cependant certains détails sur ses propres capacités et l’importance qu’il supposait avoir pour l’Ennemi.


Plus tard, DeuxLunes, à qui on avait dit d’attendre, était confortablement installé sur une chaise de corail rose, devant une petite maison qu’on lui avait assigné. Il admirait le dôme d’air qui protégeait le village et la mer au-dessus. Et dans cette mer tout autour et au dessus d’eux, il y avait des animaux fabuleux qu’il n’avait jamais vu ni imaginé. Des poissons énormes, violets et jaunes, avec des joues comme des crapauds sur Terre. Des sortes de raies blanches, grises ou jaunes qui lançaient des petits arcs électriques pour étourdir leur proies et puis les dévorer. Des limaces-écrevisses qui suçotaient le dôme comme si elles voulaient le pénétrer mais sans y parvenir, des…

Une jeune fille aux cheveux noirs s’était approchée et le regardait en suçotant quelque chose. Elle avait quelque chose de rigolo dans le regard ou peut-être dans sa posture. DeuxLunes la regarda un moment sans rien dire, se demandant si elle n’allait pas faire un gag. Elle devait avoir 10 ans.

- Salut! lui dit-elle d’une bouche handicapée par un bonbon rose.

- Salut, lui répondit-il.

- Y paraît que tu viens de la forêt et que tu es le seul survivant de tout un village?

- Oui c’est juste.

- Et tes parents y sont morts là-bas aussi? demanda-t-elle après un instant de réflexion.

- Oui et mes frères et soeurs aussi, répondit-il en baissant les yeux.

Elle retint son souffle un moment, comme frappée par cette idée puis le regarda intensément et les yeux se remplissant de larmes elle balbutia:

- C’est pas juste, c’est… c’est… horrible, termina-t-elle en cherchant en vain les mots adéquats.

- Oui c’est vrai, c’est horrible, répondit DeuxLunes.

Cette douceur soudaine, cette gentillesse enfantine lui faisait du bien, plus qu’il ne l’aurait cru.

- Comment t’appelles-tu petite? ajouta-t-il.

- Zoé, dit-elle mécaniquement. Puis mue par une idée soudaine elle ajouta: et t’as réussi à survivre à tout ça? Tu dois être drôlement fort dis donc?

DeuxLunes se mit à rire douloureusement, mais il ne répondit pas. C’est vrai qu’il s’était étonné lui-même. Il semblait tout comprendre depuis l’attaque à une vitesse décuplée.

- Tu crois qu’il va nous arriver la même chose ici, maintenant que tu es là? demanda-t-elle anxieusement.

- Je, j’espère que non balbutia-t-il. Je fais, j’espère que je fais tout ce qu’il faut pour ne pas attirer l’attention sur vous.

- Ah? C’est pour ça qu’on sent pas ton aura magique?

- Oui c’est pour ça.

- Mais comment t’arrives à faire ça? Maman m’a dit que c’était pas possible de la cacher.

- Ben je le fais c’est tout, la magie suit notre désir tu sais. Pour moi, c’est simple, enfin, c’est très désagréable, ça me fait perdre beaucoup d’énergie mais c’est simple à réaliser.

- Ah oui? Et tu pourrais me montrer des trucs? Parce que je suis nulle en magie, j’arrive rien à faire, j’ai toujours pas de talents et tous mes copains, eux, ils ont trouvés le leur, y a juste Timothée qui arrive à rien comme moi, mais lui il est vraiment bizarre, tu sais, toc toc. Dit-elle en se tapant la tête du doigt.

- Tu veux que je te montre quoi? demanda DeuxLunes.

- Ben regarde, j’essaie d’apprendre à couper avec l’air parce que je trouve ça trop cool et super utile, mais j’arrive pas. Regarde! dit-elle en traçant une ligne imaginaire sur le sol pour créer un sillon.

Effectivement, il ne se passa pas grand chose, un peu de poussière se souleva verticalement puis ce fut tout.

DeuxLunes la regarda d’un air embêté, comme si il ne savait pas par où commencer. Mais tout à coup il vit quelque chose, ou plutôt il compris quelque chose un peu instinctivement. Son problème résidait dans ce qu’elle croyait qu’elle pouvait faire ou ne pas faire.

- Ah, j’ai une idée, dit-il. Laisse moi te poser quelques questions ok?

- Ok.

- Est-ce que tu penses que tu peux y arriver ou plutôt pas?

- Ben plutôt pas, parce que je rate tout le temps.

- Est-ce que tu penses que tu es nulle?

- Oui, un peu, dit-elle en baissant les yeux.

- Ok alors tu crois des choses qui te bloquent tu vois? Faut que tu les enlèves, que tu annules ces pensées, ces, ces… croyances, lui expliqua-t-il.

- Ben comment je fais?

DeuxLunes réfléchit un moment. Tout était question de poussée, de désir, d’envie, de peur, de peur de la souffrance, de refus… Comment faire, comment faire pour l’aider vraiment? Et une idée lui vint.

- Alors regarde: il prit dans ses mains un peu de sable. Imagine que ceci c’est ce que tu crois ok?

Elle hocha la tête, attentive.

- Quand tu as ce sable dans ta main, c’est toi qui contrôle le sable ou c’est le sable qui te contrôle? demanda-t-il.

- Ben c’est plutôt moi qui le contrôle.

- Ok et si maintenant tu manges ce sable, qui contrôle qui?

Zoé réfléchit. La question était curieuse mais intéressante. Le sable pouvait lui faire mal au ventre, mais elle pourrait probablement l’évacuer avec le temps. Donc c’était plutôt elle qui contrôlait le sable. D’un autre côté, elle ne pouvait pas changer la nature du sable. Quoique avec les liquides dans ses intestins peut-être. Elle ne se rappelait plus très bien ses leçons médicales mais elle se rappelait qu’il y avait quelque chose dans les intestins, un liquide qui aidait à digérer. Alors quoi, qui contrôlait qui? Drôle de question, une question bizarre.

- Je sais pas, essaya-t-elle confuse.

- Est-ce que ce sable contrôle ton destin? demanda-t-il différemment.

- Non!

- Est-ce que tu contrôle le destin de ce sable?

- Pas vraiment, enfin oui un peu, tant que je le tiens ou qu’il est en moi.

- Voilà, bonne réponse. Alors maintenant, imagine que tes croyances, tes pensées sont du sable. Qui contrôle tes croyances et pensées?

- Moi!

- Oui! Exactement. C’est toi qui les commande, qui les dirige. Elles sont là à cause de toi ou à cause des autres qui t’ont contaminé avec leurs pensées. Mais c’est quand même toi qui décide comment tu laisses exister ces croyances et pensées, tu es d’accord? Soit tu luttes contre elle, soit tu te laisses battre, d’accord?

- Oui? questionna-t-elle, ses yeux suggérant un « et alors ?».

DeuxLunes sourit et dit:

- Bon, alors est-ce qu’il y aurait d’autres options que diriger ou les laisser diriger?

Zoé se sentit légèrement perturbée, comme si elle devinait une part d’elle cachée jusqu’ici mais qui pouvait prendre part à la réflexion. Un peu comme si on réveillait son cerveau mais… pas son cerveau. Elle lutta un peu avec ses pensées mais une réponse montait en elle inexorablement.

- Ben, on peut les détruire! Ou les effacer! Ou les chasser!

- Oui mais si tu les chasses elles reviennent n’est-ce pas? C’est pas ce que tu fais déjà non? J’me trompe?

- Oui c’est vrai je fais déjà ça, dit-elle après réflexion.

- Alors c’est quoi qui est le mieux?

- Ben les détruire?

- Ok et comment tu fais ça?

- Mais je peux pas! On peut pas faire ça! Ca marchera pas!

- Ah bon? Et ce serait pas des croyances ça aussi?

Zoé était bien embêtée. Evidemment, c’était aussi des croyances. Elle commençait à se voir toute remplie de petits objets en sable nommés croyances et se sentait légèrement étouffée. Quelque chose en elle résistait à aller de l’avant comme si tout cela était insensé, trop difficile et déraisonnable mais Zoé avait un tempérament rebelle et sa rébellion intérieure lui soufflait de s’accrocher encore un peu. Elle réfléchit donc encore puis dit: “Oui ce sont aussi des croyances, c’est aussi du sable et je peux contrôler le sable, donc je peux le détruire mais je sais pas comment.

- Mmh et si on disait que les croyances et les pensées ce n’est pas du sable mais un trait au crayon sur du papier. »

Zoé avait déjà vu du papier, on avait dû en fabriquer pour pouvoir écrire ou dessiner mais papier et crayon était rare sur cette planète. Elle se rappela alors la fois où un invité de la forêt était venu en visite et avait dessiné de très beaux dessins sur un carnet qu’il portait avec lui. De temps en temps, il utilisait une gomme pour effacer le crayon.

- Une gomme! On peut utiliser une gomme!? explosa-t-elle, ravie.

- Exact, une gomme c’est très bien. Alors maintenant tu vas imaginer que tu gommes ces pensées et ces croyances qui t’embêtent ok?

- D’ac, opina Zoé qui ferma les yeux et se concentra. Mais elle les ouvrit rapidement. Ca marche pas bien je trouve! dit-elle en faisant une moue déconfite.

- C’est sûr, t’as pas l’habitude. Alors essaie d’effacer d’abord les croyances comme quoi ça peut pas marcher, que c’est dur, que c’est difficile.

- Ok dit-elle en se concentrant à nouveau.

Elle plissa les yeux un moment, son joli petit visage lui faisant penser à sa soeur Loki. DeuxLunes en fut tout chamboulé.

- Voilà! Cria-t-elle triomphalement, ça marche!

- Génial, dit-il un peu troublé mais faisant bonne figure, maintenant tu vas imaginer un dessin complet qui représentent toutes les croyances qui t’empêchent de faire de la magie ok?

- Oui, dit-elle en fermant les yeux à nouveau. Elle se concentra et imagina un dessin qui représentait toutes ses pensées et ses croyances qui la bloquaient. Ce n’était pas facile, elle sentait en avoir beaucoup mais il était difficile pour elle de trouver en quoi elle consistaient. Elle effaça quand même mentalement en imaginant de grands coups de gommes rageurs. Le dessin résista un moment, puis tout à coup, la page se fit blanche. Zoé se mit à rire.

- Alors ça marche, lui demanda-t-il?

- Oui, j’ai réussi à tout effacer! répondit-elle tout excitée.

- Bravo! lança-t-il soulagé.

- Et maintenant, je fais quoi?

- Ben, tu dois mettre en pratique pour savoir. Essaies de couper le sable devant toi, disons sur la profondeur d’une main ok?

- Ok.

Zoé se concentra.

DeuxLunes l’interrompit.

- Pourquoi tu te concentres? Ça marche mieux si tu fermes les yeux et que tu réfléchis?

Zoé en fut tout décontenancée.

- Ben oui, je crois. Et elle rougit aussitôt. Mais en fait j’ai pas besoin de faire ça c’est ça? Alors j’efface?

- Exact, efface encore.

Elle se mit à l’ouvrage, plus rapidement cette fois.

Elle se prépara alors à faire un geste pour couper le sol.

- T’as besoin de ta main pour faire de la magie? La coupa-t-il à nouveau, impitoyable mais souriant.

Zoé lui lança un regard farouche et malicieux. Elle commençait à comprendre sa méthode. Elle adopta une moue boudeuse et amusée, ferma les yeux et effaça cette croyance aussi.

- Ok je vais le faire alors, maintenant.

Et sans concentration, sans préparation et sans geste de la main… , il ne se passa rien.

Zoé regarda DeuxLunes toute déçue. Elle y croyait tellement cette fois!

Il lui rendit son regard avec beaucoup de gentillesse et lui demanda doucement:

- Dis moi, les humains savent-il vraiment faire de la magie?

- No-on, anonna-t-elle hésitante.

- Et depuis quand savons-nous en faire?

- Depuis que nous sommes sur cette planète?

- Oui c’est ça et donc qui nous permet d’utiliser la magie. Qui nous donne cela?

- Elle?

- Exact, alors quand tu fais de la magie, tu dois tirer ton pouvoir de la planète, tu dois lui dire ce que tu veux, le lui demander, voir même, quand tu seras plus forte, l’exiger. Tu comprends cela?

- Mais je sais pas si j’ai le droit. Comment tu sais si t’as le droit?

- Bonne question, j’imagine que tu demandes d’abord la permission et puis après tu essaies. Après tout, même les animaux y arrivent. Tu crois qu’ils demandent la permission?

Zoé devint toute calme, comme si la simple poussée de cette porte mentale avait suffit à dissiper ses doutes.

Elle regarda le sol à ses pieds et le trancha d’un coup précis et puissant.

Et en tomba par terre, toute choquée par sa propre force. Puis se mit à pleurer et à rire. Et DeuxLunes lui aussi se mit à pleurer et à rire en même temps tout en l’aidant à se relever.

Zoé se releva sans mal mais elle réalisa alors que DeuxLunes pleurait vraiment cette fois, hoquetant, plié en deux. Elle le prit maladroitement dans ses bras alors qu’il s’effondrait au sol, comme sa maman l’avait souvent fait pour elle. Imitant ses mouvements, elle se mit à lui caresser les cheveux. Il se laissa faire et pleura longtemps, terrassé par son chagrin.


Nox les trouva ainsi enlacés. Zoé les yeux mouillés de larmes, regardant dans le lointain et DeuxLunes couché à côté d’elle, endormi.

- Ca va Zoé? chuchota-t-il.

Elle fit oui de la tête et fit s’envoler ses cheveux comme par une grande bouffée d’air qui sécha ses larmes. Elle lui sourit.

- J’ai trouvé la magie, dit-elle, grâce à lui.

Nox trouva cela incompréhensible mais leur spectacle était si beau, la sérénité de Zoé tellement grande qu’il resta bêtement debout à les regarder un moment. Puis sa mission lui revenant, il se pencha et secoua doucement DeuxLunes pour le réveiller.

- DeuxLunes, DeuxLunes, je m’appelle Nox, tu dois te réveiller, le conseil du village a délibéré, viens, suis moi s’il-te-plaît, demanda-t-il plusieurs fois.

DeuxLunes émergea de son sommeil profond. Il se sentait comme l’océan: calme, paisible, profond. Il se sentait bien ici. Il regarda Nox et hocha la tête. Puis il regarda Zoé et lui dit: “Merci pour tout, je ne t’oublierai jamais” et il sourit.

Zoé hocha la tête, le gorge trop nouée pour parler.

Elle les regarda s’éloigner comme figée.

Puis elle lui cria: “Merci pour tout! T’es trop génial! Merci!”

DeuxLunes sourit, agita sa main et sa tête à la façon hindoue et s’éloigna.


Nox était un frêle jeune homme tout en os au visage pâle et aux cheveux noirs. Ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites étaient très expressifs, constamment en mouvement. Il marchait rapidement. Tout en lui respirait la nervosité, la tension. On aurait dit qu’il crépitait. Son aura magique était très forte. DeuxLunes en fut tout étonné car il devait avoir à peu près son âge.

Rapidement Nox le mit au courant de sa mission: « Je dois t’accompagner voir la doyenne du village, le conseil souhaite que tu la voies ».

DeuxLunes n’émit pas de commentaire, se contentant de hocher la tête. Ils remontèrent une allée de hutte en corail, tournèrent à gauche, puis à droite, passant des statues, des algues décoratives, des coraux et mêmes des sculptures en bois représentant des arbres enlacés, probablement un cadeau de son village, offert il y a longtemps. Les villageois l’observaient marcher d’un air parfois compassionné, parfois craintif, parfois hostile. Ils arrivèrent à une grande place puis tournèrent à nouveau à droite. Ils avaient monté en pente douce depuis le début et se trouvaient maintenant plus près de la plage mais aussi plus au sud. Enfin sans doute au sud, DeuxLunes ne savait pas où était réellement situé le village maritime, mais il supposait être venu par le nord-est.

Il y eut moins d’habitations, moins de gens et finalement ils arrivèrent à une construction arrondie aux fenêtres rondes et à la porte ronde. Nox toqua à la porte. Une voix leur parvint: “Entrez!” C’était une voix de femme, autoritaire, mais âgée.

Effectivement il s’agissait d’une vieille femme, plus vieille que toutes les femmes qu’il avait connu jusqu’alors. Elle le regarda de ses yeux noirs profonds et l’invita à s’asseoir dans un fauteuil en corail apparemment… , molletonné.

Elle s’assit dans une sorte de chaise à bascule en corail et se mit à se balancer.

- Tu sais pourquoi tu es là? lui dit-elle

- Non.

- Tu es là pour que je vérifie que tu nous dis bien la vérité mon garçon. Es-tu d’accord que je vérifie?

DeuxLunes se tortilla dans sa chaise. Toute sa vie il avait redouté ce moment. Il ne voulait pas, il ne devait pas laisser quelqu’un regarder en lui. C’était instinctif. Mais avait-il le choix aujourd’hui? Il avait besoin de repos, de provisions, il avait besoin d’aide pour que quelqu’un lui dise ce qu’il devait faire. Peut-être était-ce le moment?

Il réfléchit un longtemps, l’observant avec attention. Elle avait l’air très vieille, peut-être plus de 60 ans. Sa peau était ridée et son corps s’était affaissé. Elle avait sans doute la maladie des os. Mais son regard était dur et acéré. Elle était sans doute la rêveuse la plus compétente du village. Il décida de lâcher prise.

- Oui d’accord, vous pouvez vérifier. Mais ne me forcez pas à embrasser la magie à nouveau, sinon je ne réponds de rien.

Elle hocha la tête et ferma les yeux.

Elle entra dans ses rêves, puis dans ses pensées. Son regard et sa conscience s’attardant sur sa rencontre avec Zoé, puis avec les villageois, elle remonta jusqu’à la forêt où elle le vit se cacher, cacher sa magie, créer une protection avec le moins de magie possible. Elle remonta jusqu’au village. Elle tressaillit d’émotion quand elle vit les événements dans la mémoire du garçon. Ses yeux se mirent à pleurer. Une grande envie d’aider ce garçon s’empara d’elle. Elle se mit à chercher comment faire, elle regarda plus loin, cherchant l’Ennemi, comme il l’appelait. DeuxLunes tressaillit quand il comprit qu’elle avait comprit qu’il pensait être la cible principale de l’attaque. Mais il resta coît. Elle chercha encore et soudain, elle le vit. Comme une ombre, comme un homme de grande taille enveloppé dans l’ombre. Elle se mit alors à chercher cette ombre dans le présent, comme entraînée malgré elle par son désir d’aider. DeuxLunes cria. Elle l’entendit de loin, mais il était trop tard, elle fut happée, envahie, avalée.


DeuxLunes ouvrit les yeux et activa ses boucliers. Nox, surpris, fit de même une fraction de seconde plus tard. La vieille sage du village s’était levée, de ses yeux émanait une brume noire qui tombait vers le bas. Sa bouche s’ouvrait dans un rictus maléfique. Elle se précipita sur DeuxLunes mais son bouclier la retint à distance. Alors ses mains s’enfoncèrent comme deux ombres dans celui-ci, perçant des trous dans les mailles serrées de magie et d’air. DeuxLunes hurla de peur et tenta désespérément de renforcer son bouclier et d’en créer d’autres en dessous. Cela eu le mérite de la ralentir, mais pas longtemps. DeuxLunes était maintenant dans une panique totale. Quand soudain un éclair bleu-blanc fit exploser la vieille sorcière et l’ombre avec elle. Les murs se fendirent et s’ouvrirent, le dôme et l’océan apparurent au-dessus d’eux.

DeuxLunes regarda Nox. Celui-ci baissa ses deux mains, des petits éclairs crépitant encore au bout de ses doigts. Puis il s’effondra à genoux pour respirer. DeuxLunes abaissa ses boucliers et scanna les environs avec toutes ses capacités. Le danger semblait écarté. Il s’approcha de Nox et le remit debout, puis il le serra contre lui un moment. « Merci » finit-il par dire.

« De rien marmonna Nox mécaniquement ». Mais ses yeux pleuraient.

Des villageois alarmés s’approchaient maintenant. Nox alla à leur rencontre pour leur expliquer ce qui s’était passé. Les discussions allaient bon train. DeuxLunes s’appuya contre un mur encore debout pour se reposer, ses jambes flageolaient. Mais le mur ne l’entendait pas de cette oreille car il finit par s’effondrer avec un grand bruit. DeuxLunes se redressa surpris et esquissa un sourire gêné. Les villageois le fusillèrent du regard et Nox recommença ses explications. Finalement, certains d’entre eux vinrent lui demander de les suivre à nouveau devant le conseil. DeuxLunes allait opiner quand soudain un cri mental déchirant alarma tout le monde.

Un Léviathan!

Un Léviathan!

Vite au dôme!

Et tout le monde se mit à courir dans la pente du côté profond du village.


Nox arriva le premier sur les lieux, des villageois tentaient de protéger le dôme. Certains attaquaient le monstre à coup de flux et de reflux de mer, de spirales et de tourbillon, mais l’antenne recourbée du poisson géant était déjà en train de découper une ouverture dans le dôme à coup de lave en fusion. L’eau coulait déjà dans le dôme. Le corps gigantesque du Léviathan cachait la lumière du soleil au dessus de lui promettant une immense ombre. D’autres formes sombres semblaient se rapprocher plus loin. Pourquoi un Léviathan viendrait-il en eaux si peu profondes avec le risque de s’échouer? pensa Nox, ce n’est pas normal. Non, ce n’est pas un hasard.

Il se lança alors dans la bataille, façonnant l’eau et l’air pour créer une bulle puis de cette bulle qui se greffa sur le trou, un éclair s’abattit sur la bête par son antenne. Puis un autre par ses yeux et sa bouche béante. L’animal désorienté pivota et heurta le dôme qui trembla et oscilla. Sa queue battit l’eau et fit trembler le dôme à nouveau. L’animal mit-baleine, mi-monstre des profondeurs s’éloigna, apparemment vaincu. Les villageois en profitèrent pour combler la brèche et renforcer le dôme. Partout dans le village des mains se levaient pour le solidifier. Il changea de couleur, devenant plus sombre dedans et plus blanc dehors, reflétant plus la lumière pour effrayer les poissons et prédateurs.

DeuxLunes gémit. Nox se tourna vers lui, inquiet.

DeuxLunes tendit le doigt vers la mer. Au loin il percevait une armada de monstres. Des pieuvres géantes, des Léviathan, des crabes géants. Il regarda Nox, il le regarda d’un air vraiment navré et alors il tourna les talons et s’enfuit. Nox le regarda faire, il crut tout d’abord qu’il avait peur car il sentait la peur en lui, mais après quelques instants il comprit ses intentions et il s’élança après lui. Mais les villageois se mirent tous à crier en même temps en apercevant enfin ce que DeuxLunes avait déjà perçu. Et Nox fut obligé de revenir pour défendre le Dôme.

DeuxLunes courait comme un fou. Il entra dans une hutte, saisit un sac et pris en vrac de la nourriture et une outre d’eau. Il sortit et en fouilla une autre. Zoé le vit passer en trombe et voulut lui dire quelque chose mais il ne voyait plus rien que son but. Fuir, fuir le village.

Il utilisa la magie pour accélérer sa course et Zoé ne le vit plus. Incapable de le suivre, elle pleura.

Il arriva au tunnel qui se refermait déjà, comme pris de contraction. Il vola à l’intérieur se propulsant avec de l’air et sortit dans le petit dôme comme un boulet de canon. Il traversa le mur d’air pour se retrouver nez à nez avec un gigantesque crabe. Il plongea de côté pour éviter ses pinces qui cherchaient à le balayer puis encore une fois quand elles voulurent le saisir. Il roula sur le sable. Au loin le soleil rougissait, c’était la fin de la journée. Il se remit sur ses pieds et voulu courir mais un ver des sables remonta vers lui, ouvrant le sol cherchant à mordre sa jambe. Long de un à deux mètres, épais de 40 cm, la bouche ornée de multiples dents et rapide comme l’éclair, DeuxLunes n’eut d’autre choix que d’activer son bouclier le plus puissant. Mais le monstre usa de magie pour s’accrocher à son bouclier, cherchant à le percer. Un liquide vert suintait maintenant du bouclier vers l’intérieur. Il en créa un autre en dessous et reçu tout à coup un puissant coup de pince sur sa tête ou plutôt sur son bouclier au dessus de lui et failli s’évanouir sous l’onde de choc qui se répercutait dans l’air autour de lui.

Il s’énerva alors pour de bon et la peur le quitta enfin. Il fit s’envoler le crabe dans les airs et celui-ci vint s’écraser dans la forêt quelques cinq cent mètres plus loin, pattes en l’air sur le dos. Puis il écrasa le ver et en fit de la bouillie. D’autres congénères, ayant eu la même idée, connurent le même sort. Ses ennemis étant morts, DeuxLunes se mit à courir puis à voler sur la plage en s’éloignant du Dôme à vitesse maximum, dissolvant ses boucliers, puis les recréant pour se débarrasser du liquide vert.

Il s’arrêta à quelques kilomètres du village un peu plus au nord. Il prit le temps de rajuster son sac et ses affaires puis regarda la mer et se mit à hurler: “Je suis là! EH! JE SUIS LAAAAAAAA!”. Et il augmenta sa puissance magique au maximum. A tel point que dans le même élan, le sable se souleva sous ses pieds et le fit monter , créant une colline de sable mouillé, de corail et de roche. Le sol se creusa autour créant une douve d’eau de mer. Il s’arrêta 10 mètres plus haut. Son cri avait creusé la mer en une déflagration puissante. Il continua alors à pulser la magie et attendit. Il vit apparaitre les premiers crabes seulement quelques minutes plus tard, marchant de travers dans les eaux brunes devant lui. Le soleil se couchait, la lumière déclinait. Au loin, des remous dans l’eau lui montrèrent que son plan fonctionnait. Et il perçu la joie dans le coeur des villageois, dans celui de Nox, dans celui de Zoé, il en fut comblé et se prépara à la bataille.

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