Chapitre 2

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« Donne moi ça, hurla DeuxLunes, excédé. »

Il regardait Fougère qui s’enfuyait avec son ballon de rugby. Fougère était un copain, mais entre eux c’était dispute sur dispute. Le match avait à peine commencé qu’ils s’engueulaient déjà sur le premier point marqué et Fougère, excédé, avait choisit de rentrer chez lui, mais en gardant le ballon. DeuxLunes fit un geste spontané pour mimer qu’il reprenait le ballon et celui-ci glissa brusquement hors des mains de Fougère. Mais rapidement celui-ci fit le même geste des deux mains pour le tirer vers lui à distance. Fougère avait aussi des talents de défenseur, de télékinésiste et il n’allait pas s’en laisser compter par DeuxLunes.

- Rends-le moi, cria Fougère en gémissant sous l’effort et la tension, tu ne le mérite pas, tu triches toujours, ce ballon devrait être à moi, on a parié l’autre jour et tu as perdu, il est à moi!

- Non! Tu peux toujours courir, il est à moi et il reste à moi, c’était un pari stupide que je ne voulais pas faire! Rétorqua DeuxLunes.

Et les deux garçons de 12 ans se battirent ainsi un long moment pour la possession du ballon qui virevoltait dans les airs entre eux. Autour d’eux, dans la plateforme de sport du village, quelques enfants et adultes se mirent à les observer. Plus loin, tout autour du mur de protection magique, de grands oiseaux piaillèrent et se rassemblèrent pour observer eux aussi, leur son assourdit par la protection du mur d’air semi-transparent.

- Lâche ce ballon, je te dis, ou ça va mal se passer! Hurla DeuxLunes.

- Des clous! Tu peux toujours courir, t’as qu’à le gagner si t’es aussi fort que tu le crois! Répliqua Fougère.

DeuxLunes lutta un moment conventionnellement, comme on le lui avait enseigné. Mais confusément, il sentait en lui que la méthode n’était pas bonne, tout cela se devait d'être plus simple. Il ferma les yeux, canalisant sa colère vers le bas, comme pour s’ancrer et devenir plus puissant, ses yeux cillèrent, un bang retentit et le ballon se retrouva dans ses mains.

L’assistance fut médusée.

DeuxLunes se tenait maintenant debout dans un petit cratère de bois de trois mètres de diamètre, profond de vingt centimètres. Fougère était sur le dos, étendu au sol, hébété. Personne n’avait vu le ballon bouger, il était maintenant simplement tenu par DeuxLunes.

On parla beaucoup de cet événement dans le village. Personne n’avait réussi jusqu’à présent à opérer un déplacement instantané. La télékinésie était fréquente certes, de même que l’art de voler ou de se déplacer rapidement, mais aucun déplacement instantané n’avait jamais été observé. A sa décharge, il faut dire que DeuxLunes avait été le premier surpris. Mais comme il s’était évanouit juste après, il n’avait guère eu le temps de songer à son exploit. On le ramena rapidement à ses parents et le conseil du village se réunit le soir même pour parler de son cas.


Il y avait là Marika, qui n’était plus maintenant la cheffe du village mais conseillère en opération, quoi que ce titre puisse signifier. Il y avait aussi André, le père de DeuxLunes qui était devenu conseiller en subsistance, Rami, le conseiller de la défense et Lila, la conseillère en ingénierie. Le nouveau chef se nommait Arbogast et il s’occupait aussi de l’éducation et de l’exploration.

« La session est ouverte, commença Arbogast, tout le monde connaît l’événement, nous sommes ici pour en discuter et réfléchir au sort que nous réservons à DeuxLunes. Ses pouvoirs augmentent et il pourrait être judicieux de faire sa cérémonie de passage à l’âge adulte plus rapidement. Qui souhaite prendre la parole. André peut-être? Tu veux commencer? Non? Qui alors? Rami? Vas-y.

- J’ai été témoin moi-même de ce qu’à fait DeuxLunes, cela démontre un pouvoir particulièrement notable et je suis pour avancer sa cérémonie. Il devient urgent de le former à la défense du village. Je suis sûr qu’il sera d'une aide précieuse en cas d’attaque et par ailleurs, il faut qu’il apprenne à se contrôler. Qui sait ce qu’il pourrait créer comme catastrophe si il n’apprend pas à canaliser le Pouvoir? Rami regarda André amicalement et se rassit.

- Je suis d’accord avec Rami, reprit Marika, cependant, je ne pense pas qu’il faille d’emblée supposer qu’il doit être affecté à la défense, ses pouvoirs m’intriguent. A mon avis, il faudrait plutôt qu’il soit entraîné par différents maîtres pour que nous puissions mieux cerner ce qu’il sait faire.

- Moi aussi, lança Lana en entrant dans la salle. C’était la conseillère en rêve et la dernière membre du conseil. Cet enfant est spécial et nous devons savoir pourquoi et comment, il ne peut être affecté à la défense sans que nous sachions si il est fiable ou pas!

- Fiable? Fiable! Mon fils est fiable et ta peur n’aide en rien ce débat, rugit André. DeuxLunes est probablement le premier d’une nouvelle génération d’humain qui s’adapte parfaitement à la planète et à ses règles. Ce n’est pas un monstre, ni une aberration et je te prierai de ne pas en parler comme si il fallait s’en méfier!

- Allons, allons, apaisa Lana. Tu me comprends mal André, je ne voulais ni t’insulter toi, ni ton fils, mais je n’en reviens toujours pas de sa capacité à dormir sans notre aide. Rends-toi compte André, il est le seul à ne pas avoir eu besoin de nous, les Rêveuses durant toute son enfance. Encore maintenant, ses rêves et ses pensées sont inaccessibles, il possède comme un bouclier psychique automatique. Non seulement nous n’avons pas eu besoin de l’aider, mais nous ne pouvons pas le lire et cela m’inquiète, c’est tellement étrange! J’ai simplement peur que la planète ne nous ait réservé un nouveau tour à sa façon. Par ailleurs, dit-elle en faisant des gestes d’apaisement vers André, par ailleurs, il s’énerve très rapidement et ne se contrôle pas encore très bien, ce qui est encore normal car il n’est qu’un enfant, mais lui donner des responsabilités de défenseur prématurément me paraît dangereux, non?

- C’est vrai que je ne suis pas pour non plus, admit André, adouci. Il n’est pas prêt pour ça, il est encore trop égotique et trop vulnérable émotionnellement pour qu’on lui donne ce genre de responsabilité. Mais j’aimerais moi aussi qu’on le teste plus et qu’il soit plus formé. Nous ne pouvons plus attendre. »

Les autres acquiescèrent et on passa au vote.


Le lendemain, André vint parler à son fils. La brume s’amassait autour de la barrière d’air permanente mais par en dessus, le soleil du maint, brillant, inondait le village donnant à la lumière une étrange couleur jaune légèrement glauque. André fit un geste pour modifier la barrière et une belle couleur violette illumina la plateforme où ils se trouvaient.

- Salut chéri. Comment tu vas ce matin?

- J’ai des problèmes papa?

- Non pourquoi tu me dis ça?

- Ben à cause de ce que j’ai fait hier et du conseil hier soir, je sais bien que vous avez parlé de moi!

- Non non rassure toi, nous devons simplement… André hésita. Nous devons te faire trouver ta voie un peu plus vite que les autres enfants.

- Tu veux me faire passer plus vite la cérémonie de l’âge adulte? Dit DeuxLunes tout excité.

- Non plus, non, nous avons simplement décidé de te faire passer différents tests d’aptitudes pour comprendre comment ton Pouvoir fonctionne. Comme ça on saura quel sera ton rôle plus tard et on pourra te former plus efficacement.

DeuxLunes se mit à bouder, il rêvait depuis longtemps d’être enfin un adulte. Cela lui trottait dans la tête nuit et jour depuis un bon moment, ça et tous les rêves grandioses qu’il faisaient régulièrement. Il n’en parlait pas, il aimait jouir de cette vie intime qui échappait à tout le monde. Les rêveuses lisaient dans l’esprit de tous comme dans un livre ouvert. Elles pouvaient ainsi désamorcer tous les conflits, aplanir toutes les situations avant qu’elles s’enveniment. Personne n’échappait à leur pouvoir, sauf lui. DeuxLunes n’aimait pas les rêveuses, il les voyaient comme des fouineuses, des juges qui s’immisçaient dans la vie des gens. Il était très protecteur de ses pensées et de ses émotions et avoir mauvais caractère ne le dérangeait pas.

Il répondit à son père: « Bon si c’est ce qui est bien pour moi alors d’accord ». André sourit et regarda fièrement son fils. Il l’aimait d’un amour très profond, comme tous les membres de sa famille, mais il était fier que la planète l’ait choisit, lui, son fils, pour commencer une nouvelle ère. Depuis sa naissance, il ne pouvait s’empêcher d’attendre que quelque chose d’extraordinaire arrive. Que son fils devienne une sorte de messie par exemple, comme Jésus ou le Bouddha il y a longtemps ou comme Einstein ou Chang Yu, l’inventeur du moteur à vitesse lumière.


DeuxLunes commença alors une série de tests et d’entraînements plus poussés. Mais son potentiel se révéla décevant, il n’arrivait pas à canaliser son pouvoir, il ne voulait pas obéir aux instructions, il freinait des quatre fers pour tout ce qui lui était imposé. Il disait vouloir faire comme il voulait mais il ne savait pas expliquer comment. Rami du déchanter, il ne tenait pas là son prochain défenseur. Lana ne parvint pas à le sonder (ce qui fit sourire DeuxLunes) et les autres en furent aussi pour leurs frais. On réintégra donc le garçon dans son école normale où il apprenait l’histoire, la géographie (de la Terre et celle, parcellaire, de la planète), les sciences, la magie de base et le sport. Et tout rentra dans l’ordre quelque temps.

DeuxLunes n’était donc pas prêt à éclore et tout le monde mit son mal en patience.

Talit, sa maman était elle aussi contente que son fils puisse rester à la maison encore un peu, elle n’était pas prête à le voir partir dans les difficiles épreuves de la cérémonie de passage à l’âge adulte. Sa fille Loki les avait déjà passées, elle était aussi tombée amoureuse et elle était partie de la maison pour s’installer dans un autre arbre du village. Et elle lui manquait. Ce qui était ridicule car elles se voyaient tous les jours mais Talit était terriblement attachée à ses enfants. Elle s’inquiétait aussi un peu car elle ressentait depuis quelque temps une douleur sourde dans ses os. Elle n’était pourtant pas vieille, à peine 33 ans, et ce genre de douleurs ne devraient apparaître que vers les 45 ans. Elle n’osait en parler à personne de peur qu’on confirme ses inquiétudes, mais il lui semblait que Lana devait l’avoir deviné. Lana était la meilleure rêveuse du village et sa capacité à lire les émotions et les esprits était redoutable. Personne ne pouvait longtemps cacher à Lana ce qu’il éprouvait. Mais pour le moment, elle semblait respecter son besoin de garder son petit secret. Tant mieux donc. Talit y penserait plus tard. Elle se concentra à nouveau sur ses dessins.

Talit était artiste. Elle décorait les arbres de la ville, ses dessins, ses motifs étaient magnifiques. Tantôt creusés dans le bois, tantôt peints, ses dessins ornaient tous les arbres de la ville. Toutes les familles du village lui demandaient de venir décorer leur arbre. Elle seule avait ce talent de graver le bois sans le blesser avec la magie, et ses dessins étaient incroyablement beaux. Certains reflétaient les lunes, d’autres le soleil, certains se révélaient seulement la nuit, d’autres scintillaient quand il faisait gris ou lumineux. Partout elle cachaient des visages des habitants du village dans ses dessins et tous se piquaient au jeu de les retrouver. Elle était actuellement en train d’immortaliser l’exploit de son fils. C’était son cadeau pour honorer son exploit.

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