6 - Sous le scaphandre

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 Elle poussa une grosse plaque de cuivre qui recouvrait l'entrée du hangar, puis se faufila à travers l'interstice qu'elle avait ainsi créé. Je l'imitai, non sans méfiance, pour découvrir un intérieur à l'aspect irréel.

 Du matériel, disposé ça et là, allant des turbines à air comprimé jusqu'à des moteurs de nouvelle génération, en passant par tout un tas d'engrenages, de courroies, de vérins de toutes tailles ainsi que de pièces d'épaves encombraient l'immense salle.

 Bien qu'aucune fenêtre ni ampoule ne daignait exister, une étrange lumière rougeâtre enveloppait tout. Elle émanait d'une grande forge au fond, qui bien que silencieuse, participait à l'odeur du lieu, un doux parfum des ateliers en action et des machineries tournant à la vapeur, si caractéristique et prenant, et pourtant assez agréable. Dans un coin du bâtiment, un amoncellement d'objets s'entassait sans ordre apparent. De loin, je suis formel, je reconnus plusieurs appareils infernaux. L'enfer était vide, tous les réveils étaient ici. Heureusement, éventrés, le mécanisme démentelé, l'aiguille bloquée ou manquant, ils ne risquaient plus de sonner.

 — Alors comme ça, vous cherchez Marion Clodobert... reprit la voix métallique dans le scaphandre, m'arrachant à ma contemplation des détails dont fourmillait l'endroit.

 — Tout à fait. J'ai besoin de ses compétences.

 — Et pour quoi faire, je vous prie ?

 Même derrière son casque, sa voix déformée révélait son aigreur et une certaine condescendance.

 — Je préfererais en parler avec elle.

  Elle refusa catégoriquement, malgré mon insistance.

 Un soupir résigné s'échappa de ma bouche, pour aller mourir dans l'ambiance mécanique et chaotique de l'atelier. Voye-vous, ce genre de femmes, j'en ai connu, et pas qu'un peu. Avec elles, impossible de négocier, elles vous font tourner en bourrique jusqu'au bout ! Sachant à quelle obscure catégorie elle appartenait, je ne vis pas d'autres solutions que de lui révéler la raison de ma présence ici, sans toutefois évoquer le secret militaire.

 — Je vois, dit-elle en levant la tête pour observer le chapeau. Et qu'est-ce qu'il a de particulier, au juste ?

 — Je l'ignore. Mais dans le doute, je préférerais le découvrir avant de le confier à des inconnus.

 — Je vois, répéta-t-elle, visiblement intriguée.

 — C'est bon, Marion, cessez votre comédie.

 La femme me répondit par un bref silence, avant de soulever le scaphandre, révélant un visage détruit, couvert de crevasses et de brûlures. Sous ce second masque de blessures et de cicatrices, restaient visibles les vestiges de ce qui avait été une jolie jeune femme.

 — Comment avez-vous deviné ? demanda-t-elle, dévoilant ses dents en or, ne levant que la moitié gauche de sa bouche, ses lèvres inférieures et supérieures ayant fusionnées sur la partie droite

 — Je n'oublie jamais le comportement de ceux que je rencontre.

 En réalité, je n'en étais pas tout à fait certain. Cette phrase était un subterfuge pour découvrir son identité. C'est ce genre de pièges qui viennent par habitude aux Trouveurs lors de leurs conversations.

 — Et vous êtes... ?

 — Clovis, un ex-amant d'Ada.

  Deux yeux d'un bleu d'acier détaillèrent mon corps.

 — Je m'occupe de votre chapeau, accepta soudainement la femme défigurée. Revenez dans trois jours, au petit matin, je devrais en avoir fini.

 — Faites attention, la plume n'en est pas vraiment une. Elle est...

 — Oui, j'avais remarqué.

 — Parfait.

 — Prenez votre temps, il me faut la réplique la plus authentique possible. Ce brigand de Flavis a le sens du détail.

 Elle leva son énorme main gantée sur mon épaule, m'indiquant que je n'avais nulle raison de m'inquiéter. Puis elle me fit signe de lui donner mon haut-de-forme.

 — Hors de question, je ne peux pas courir le risque de vous le laisser.

 — Je n'ai jamais vu un tel objet. Il me faut l'analyser.

 À nouveau, une impasse et une conversation qui ne menait nulle part. Puis elle proposa :

 — Si vous n'avez pas confiance en moi, attendez donc quelques minutes que je scanne votre chapeau. Mais vu la complexité du produit, je ne garantit pas une réplique parfaite !

 J'acceptai l'offre. Marion plaça le chapeau dans une grande cuve pour inspecter son contenu.

 Pendant l'attente, j'entretins la discussion, demandant à la brodeuse de tôle ce qu'elle devenait, évoquant des souvenirs d'Ada. Comme je m'y attendais, elle n'y participa pas.

 Un quart d'heure passa. Le précieux chapeau de nouveau sur la tête, je m'apprétais à partir lorsqu'une question surgit dans mon esprit.

 — Au fait, Marion, pourquoi vous être installée à côté du repaire des pacifisites anarchistes ?

 — N'est-ce pas évident ? Ne voyez-vous pas la beauté parfaite atteinte par mon visage ?

 — Oh, répondis-je simplement, ne sachant comment réagir, provoquant ainsi un silence gênant... Occupez-vous avec soin du chapeau. C'est Ada qui l'a conçu.

 — Je reconnaît bien là son style... souffla Marion en détournant le regard.

 Dehors, l'odeur de la pollution emplit mes narines, chassant le souvenir du fort parfum de l'atelier. Au loin, des types semblaient me regarder et détourner le regard quand je le leur rendais. Je m'empressai de quitter cette atmosphère étouffante, dont les vapeurs m'empêchaient de regagner le tramway.

 Derrière moi, des bruits de pas, suivant la cadence des miens. Arrivé au coin de la rue, j'osai jeter un regard furtif. Deux hommes prenaient le même trajet que moi, les yeux rivés sans gêne sur mon chapeau. J'accélérai le pas, eux firent de même. Plusieurs fois dans ma vie, j'avais cru à tort être victime d'une filature. Les réflexes du métier.

 Afin de m'en assurer, je rentrai dans un café. Je sentis mes poumons se décontracter lorsque je les vis poursuivre leur chemin. Tant pis, je prendrais le prochain wagon.

 L'ambiance était joviale comme à son habitude ici, bien que désormais troublée par des discussions politiques sur la guerre.

 Un verre de Martinobrian dans l'estomac, je saluai le patron d'un geste courtois, qu'il gratifia d'un sourire, puis je regagnai la gare.

 Et là, deux hommes sur le quai.

 Ils n'avaient pas pris le tramway précédent.

 Ils m'attendaient.

Auteur: Yanyan

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