Lettre à .....

de Image de profil de Camille F.Camille F.

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Cher papa,

Papa... "Papa". Ce mot sonne faux depuis déjà longtemps. Pourquoi ? En as-tu la moindre idée ? Tu es presque un inconnu pour moi. Aujourd'hui, c'est comme si je n'avais jamais eu de père. Je n'ai presque aucun souvenir de quoi que ce soit avec toi. La seule chose dont je me souvienne à peu près, c'est de nos séances d'escalade lorsque j'étais petit. Là je faisais quelque chose avec toi, j'étais heureux.

Il est difficile d'écrire cette lettre pour moi, c'est comme écrire un texte sur rien. Même pas sur une absence, car l'absence implique la possibilité d'une présence, or je n'ai absolument aucune idée, aucun sens de ce que peut être ta présence.

J'allais dire que ce bonheur était probablement fictif, que ces séances d'escalade n'étaient qu'une occasion pour moi de me croire aimé de toi, parce que si tu m'emmenais, rien que moi, pour aller grimper, c'est bien que je comptais un peu pour toi. Mais en vérité je n'en sais rien. Peut-être aussi bien m'emmenais-tu parce que, "ça se fait", quelque chose comme ça avec son fils. Je ne sais rien de toi, tu ne m'as jamais montré qu'une égalité imperturbable de caractère. Sur cette surface parfaitement lisse, je n'ai jamais eu prise. Quand j'essaie de trouver la place qui est la tienne à l'intérieur de moi, je ne conçois qu'un creux, un vide. Je ne ressens rien.

Il y a dix ans, maman et toi vous êtes séparés, et maman est partie vivre avec une femme. Cette femme, elle est tout ce que tu ne seras jamais : vivante, bienveillante, emportée, attentive, pour chacun de nous trois elle a fait plus en dix ans que tu n'en as fait depuis que nous sommes nés. Infiniment plus. Elle nous a hébergé, elle nous a écouté, elle nous a observé, elle a cherché comment nous pourrions faire pour être plus heureux, elle nous a aidé, parfois douloureusement, à faire voler en éclats certaines de nos barrières les plus tenaces. Si j'ai arrêté de fumer des joints, c'est grâce à elle, si je mange à peu près sainement aujourd'hui, c'est grâce à elle (sais-tu qu'à Lyon je me nourrissais presque exclusivement de gâteaux apéritifs et de tartines de nutella ?), si je sais qu'il faut que je prenne soin de mon corps, c'est grâce à elle, si j'écris enfin mon mémoire de master avec une chance de le finir, c'est grâce à elle, qui a tout fait pour comprendre ce qui n'allait pas, et m'aider à instituer des conditions favorables à la rédaction.

Je ne te reproche même pas de n'avoir pas fait tout ça à sa place, parce que je sais que tu en es absolument incapable, et parce que je n'ai rien sur quoi me baser pour te faire de tels reproches. Ce serait comme essayer d'attraper le vent avec ma main.

J'ai bien été en colère contre toi, mais c'était une colère artificielle, une colère qui cherchait à remplir le vide que tu as laissé en moi. N'importe quoi d'autre aurait aussi bien, aussi peu fait l'affaire. Aujourd'hui encore ce vide est là, et même tout le mal que me disent de toi ma mère et ma belle-mère ne me convainc pas. Quand ma belle-mère me parle des rares occasions où elle a pu constater quelque chose comme un mépris de ta part par rapport à moi, des remarques désobligeantes, des rabaissements, je ne me souviens pas. Je veux bien la croire mais je ne sais pas quoi faire de ce qu'elle dit. Parfois j'y adhère intellectuellement, parce que ça a l'air d'être la vérité, mais je ne me sens pas concerné. Tout au plus je me sens embarrassé par ce vide et ton existence dont je ne sais pas quoi faire, qui m'encombrent comme un vieux meuble dont je ne voudrais plus.

Ce vide à l'intérieur de moi, j'aimerais maintenant te le rendre, parce qu'il ne m'appartient pas. C'est ton vide, pas le mien. Moi je ne demande qu'à me remplir de la vie, et je ne peux pas à cause de la place que prend inutilement ce vide absurde. Tu n'as pas idée du temps que j'ai passé, gâché, à flotter comme un ahuri en-dehors de mon corps, à survoler les choses qui toutes m'inspiraient la même indifférence que celle dont tu as toujours fait preuve à mon égard. Je ne te rejette pas, je ne t'abandonne pas, je te rends simplement ce qui est à toi.

On continuera à se voir une fois tous les deux, trois ou six mois, lorsque tu nous inviteras, mes soeurs et moi, à venir manger. Je ferai comme si de rien n'était et toi aussi, parce qu'il est certain que tu ne trouveras rien à dire ni à faire à propos de cette lettre. Nous échangerons quelques mots sur nos vies respectives, qui continueront très bien comme ça, nous mangerons bien, puis mes soeurs et moi nous partirons. Je t'embrasserai et te dirai "salut papa", parce que je ne sais pas comment t'appeler autrement, mais tu sauras désormais quelle irréalité recouvre ce nom.

À bientôt,

Camille.

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En réponse au défi

Ecrire une lettre

Lancé par fanny412

Je vous propose le défi d'écrire une lettre. Mais cette lettre doi-être destinée à une personne de votre famille, père, mère, soeur, frère ... peu importe !

La lettre peut être pleine de joie, de reconnaissance ou bien de colère et de haine, à vous de voir mais vous devez parler de vous. Vous devez nous faire sentir vos émotions à travers celle-ci !

Bonne chance !

Commentaires & Discussions

Lettre à .....Chapitre15 messages | 1 an

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