Crise

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Depuis quelque temps, je suis las d'écrire. Ça a commencé le jour où, avec une sorte de frayeur, je me suis demandé si je serais capable de ne pas écrire, pendant un certain temps au moins. Assez récemment, j'avais lu ou entendu une ou deux fois l'argument selon lequel, pour être assuré de sa vocation d'écrivain, il fallait justement se poser cette question. Si la réponse était oui, alors il ne fallait pas persister dans l'écriture, car toute écriture qui ne naîtrait pas d'un sentiment de nécessité intérieure serait, selon les sectateurs de cet argument, essentiellement vaine.

Quel cas de conscience ! Surtout pour moi qui suis toujours prêt à tout remettre en question ! J'avais senti qu'il y avait du vrai dans cette manière de tester le fondement d'une entreprise littéraire, mais ça m'effrayait. Je me demandai si oui ou non j'éprouvais cet appel irrésistible, je me fis l'avocat du diable et j'envisageai aussi les raisons qu'on aurait pour se persuader de l'existence d'une telle vocation, peut-être, en réalité, malgré son absence.

Je crois que, pour moi, le fait d'une vocation serait éventuellement la seule vraie chose capable de légitimer, de fonder une existence. Si on n'est pas là pour quelque chose, l'écriture par exemple, alors à quoi bon ? Peut-être alors se trouve-t-on arbitrairement une "vocation" pour ne pas sombrer dans ce qui serait autrement un néant de vie.

Il y a aussi autre chose. J'ai une horreur viscérale des contraintes. Si je suis obligé de faire quelque chose, mon premier mouvement (enfin, façon de parler) - et souvent le dernier aussi - sera de ne pas le faire. C'est immédiat. Et cela, même si la tâche en question est susceptible de me plaire, et malgré le sentiment affreux parfois, toujours insidieux, de culpabilité qui s'ensuit souvent.

Voilà maintenant que, dans le cas où l'écriture serait effectivement une vocation pour moi, elle tombe sous le coup de cette espèce de malédiction. C'est ce que me suggère l'idée de l'argument dont je parlais plus haut. Si effectivement je ne peux pas faire autrement qu'écrire, c'est que l'écriture est mauvaise, vaine, sans valeur.

C'est peut-être pour ça que, à une ou deux exceptions près, je n'ai jamais vraiment fait d'effort dans l'écriture.

Il faut ici que je dise ce que j'entends par "effort" en matière d'écriture. Je vais donner, non pas mes pensées à ce sujet, mais mon sentiment, parce que mes pensées sont toujours plus développées (les pensées voient plus loin, mais moins "personnellement", plus abstraitement, de manière moins incarnée), plus subtiles que leurs homologues liés au coeur, ou en tout cas à quelque chose de plus charnel, de plus incarné.

Pour moi, faire un effort dans l'écriture (idée à laquelle je me braque immédiatement), serait, déjà, d'écrire quelque chose de long. Ensuite, une histoire (je n'en ai jamais écrit). Il faudrait aussi que je fasse référence à beaucoup de choses réelles, matérielles, ce qui pour moi est une perspective épuisante, et qui me semble irréalisable, parce que j'imagine tout de suite toutes les recherches qu'il va falloir faire pour rendre le texte, l'histoire, les situations, les évènements, les gens, cohérents, consistants, vraisemblables. Il va falloir aussi donner à sentir le passage du temps. Je sais bien que cela, "ça se fait tout seul" pour ainsi dire, qu'une histoire se déroule toujours dans le temps, et que la sensation du passage du temps dans une lecture n'est jamais qu'une sorte de bénéfice secondaire, une "cerise sur le gâteau" de l'histoire, mais ça n'en reste pas moins quelque chose à quoi j'accorde beaucoup d'importance.

Il y aurait tant de choses à faire : imaginer des lieux, des décors, la psychologie de tous les principaux personnages, créer une intrigue et lier les personnages par tout un réseau compliqué de relations, imaginer les vêtements, les visages, les objets, les bâtiments, définir une saison, décrire des ciels, se renseigner pour trouver les noms précis de tout ce dont on a uniquement l'image en tête, les types de moeurs qui correspondent à telles époques, comment sont les relations entre hommes et femmes, entre nobles, bourgeois et ouvriers, les nobles sont-ils les seuls à pouvoir disposer d'une particule à leur nom de famille ? Quel pays était colonisateur de tel pays à telle époque, etc...

La seule évocation de tout ce travail me pèse incroyablement et me fait ressentir d'avance un ennui, une lassitude incommensurable, outre laquelle je ne peux pas même imaginer passer.

Là est le problème. J'ai l'impression, en quelque sorte, d'en avoir fini avec la poésie pour le moment, qui est tout ce que j'écrivais, y compris mes quelques textes en prose. J'ai l'impression d'en avoir fini avec elle, mais je ne sais pas quoi faire d'autre. L'idée, retranchée de tout ce qu'elle implique, d'écrire des histoires me séduit, mais je ne sais pas comment m'y prendre parce que tout le côté "matériel" (oui, l'adjectif est grossier, mais c'est vraiment là que j'en suis) me rebute profondément.

Je crois que si j'arrive à surmonter cet écueil, ce sera un peu comme, enfin, accepter la vie, et vivre pour de bon. Jusqu'à maintenant, je n'ai fait, par une sorte de dégoût ou du moins de réserve inexplicable, que survoler assez superficiellement la vie.

Je sens quelque chose en moi, quelque chose de magnifique, que je ne connais pas, s'agiter et vouloir sortir. J'espère bientôt pouvoir lui ouvrir une voie.

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