Petite anecdote rigolote

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Bon, il va quand même falloir que j'établisse le contexte (je pourrais dire, à l'instar d'Aragon qui écrivait : "Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson / Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare", "Ce qu'il faut de travail pour la moindre anecdote", sans déroger au dodécasyllabe). Depuis environ un an, je suis livreur et préparateur de commandes (polyvalence oblige, à croire que si on n'est pas polyvalent, on n'est pas valent du tout) pour la CERP, la Coopérative d'Exploitation et de Répartition Pharmaceutique. Je livre des médicaments aux pharmacies (parfois, mais rarement, aux hôpitaux aussi) de ma région (oui, ça fait large). Ce n'est pas très prestigieux, surtout quand on a conscience du caractère pour le moins suspect de l'industrie pharmaceutique, ni très édifiant, mais c'est un job qui, jusque là, me plaît pour ses "bénéfices secondaires". J'aime beaucoup conduire et être seul sur les routes, je profite du port USB de l'autoradio pour me concocter de savoureuses petites playlists, j'écoute aussi parfois des livres audio, des conférences, des podcasts d'émissions que je télécharge en me déléctant d'avance. Je n'ai personne sur le dos, je peux chanter comme un fou, me taire et écouter religieusement pendant des heures des paroles quelquefois passionnantes, et je ne me lasse jamais des paysages - surtout des ciels toujours différents et souvent somptueux, la fin d'après-midi notamment, sous lesquels j'évolue - que je commence à connaître par coeur.

Mais bref, cet après-midi j'étais de service sur la tournée 21, une tournée d'importance et de durée moyenne, pour laquelle on part du dépôt à 17h et on revient à 19h. C'est une des trois tournées du "troisième tour", comme on l'appelle. À savoir qu'il y a trois "fournées" de tournées, trois "services", un le matin très tôt, un deuxième en tout début d'après-midi, et un dernier en fin d'après-midi. Toutes les pharmacies ne sont pas livrées trois fois, ce sont seulement les plus gros clients, et ceux qui profitent d'être sur la même tournée que ceux-là, qui bénéficient de ce traitement. Encore que plus pour longtemps, le "troisième tour" devant être supprimé à partir du 10 février, à la faveur du plan malicieusement nommé "Optimisation 2 Tours", "O2T" pour les intimes. Je passe sur ce qui, en conséquence de ce chambardement, a parfois semblé de véritables crises existentielles pour certains de mes collègues, qui seront désormais contraints à plus de "polyvalence". Eh oui, le nombre d'heures devant être préservé pour tout le monde, y compris pour mes collègues exclusivement livreurs, ceux-ci devront se résoudre à faire aussi de la préparation de commandes ou de la réception. Ce n'est pas un problème pour mes collègues livreuses, au nombre de quatre, qui, étrangement, contrairement à tous les livreurs hommes, font toutes aussi, très régulièrement, de la préparation de commande. Il est assez cocasse de constater que tous ceux qui sont exclusivement des préparateurs, sauf un, sont des préparatrices, et que je suis le seul livreur masculin à travailler aussi dans cet autre service.

Enfin, pour une petite anecdote, ça devient un peu long. Je partis donc pour ma tournée. La toute première pharmacie, il arrive de temps en temps qu'on n'ait rien à lui livrer, ce qui réjouit toujours et fait économiser cinq précieuses minutes (les horaires de cette tournée sont à peine trop serrés, à cinq, dix minutes près). C'était le cas aujourd'hui. Sauf que, absorbé par une émission intéressante, mû par l'habitude et peut-être pas aussi présent d'esprit qu'il aurait fallu - j'avais déjà une longue tournée du "deuxième tour" dans les jambes - je me suis présenté comme une fleur à cette première pharmacie, me rappelant au dernier moment, juste après avoir sonné à la porte de l'entrée de service, que je n'avais rien pour elle. Prenant mon étourderie à la rigolade, j'ai souri d'un air mi-amusé, mi-embarrassé à la pharmacienne qui venait d'ouvrir la porte, et je lui ai simplement dit : "Vous allez rire, en fait je n'ai rien pour vous, je suis venu par habitude, désolé de vous avoir dérangé pour rien !" Elle a souri aussi, visiblement amusée, et m'a répondu du tac-au-tac, rapide à la comprenette : "Oh mais c'est pas grave, c'est pour vous ! Tenez j'peux vous donner cette caisse vide au moins !" Je l'ai remerciée et saluée, d'un air toujours un peu penaud, j'ai rangé dans mon camion la caisse vide que j'avais moi-même livrée quelques heures plus tôt (cette tournée-ci est à peu près la même que celle que j'avais faite juste avant, avec seulement moins de pharmacies à livrer, et dont le sens en est inversé), et je suis parti, me reprochant un peu d'avoir décidément voulu allonger cette tournée déjà si à l'étroit dans ses horaires.

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