Le Point et le Spectre

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Je vais plutôt vous expliquer une distinction qui, depuis assez longtemps déjà, me tient à coeur. Il s'agit d'une distinction entre ce que j'appellerais deux grands types humains. Le premier grand type, il fait à peu près 1m95 et... non je déconne. Voici tout de suite les noms de ces grands types : Averell et... non je déconne. Le premier type est le type "ponctual" (plutôt que "ponctuel", pour éviter une confusion avec l'adjectif bien connu), le second, par opposition, est le type "spectral". Non, ce n'est pas un fantôme. Le type "ponctual" se caractérise par une expérience de la vie en forme de points. Je m'explique : celui-ci aura l'impression de voir sa vie se constituer d'une multitude de points privilégiés dont il lui semblera difficile, voire impossible, de concevoir la liaison. Un amour pour un livre, une image saisie au vol, une idée venue à quelque moment, un moment donné, une sensation, une émotion... Pour moi, ces points prennent, entre autres, la forme de phrases que je me formule intérieurement. J'avise quelque chose de beau, de surprenant, de bizarre, ou bien j'ai l'impression de comprendre quelque chose, et immédiatement je "commente", je forme une phrase, une proposition qui pourrait figurer dans un livre où l'objet, la chose, l'évènement en question apparaîtrait. En somme, tout ce que je trouve digne d'intérêt, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de moi, donne lieu à un commentaire de ma part que je m'imagine idéalement comme un extrait du livre de ma vie. Seulement, si ce livre était vraiment écrit, il ne serait qu'une liste de propos complètement décousus, mêlant sans vergogne la poésie, la psychologie, la philosophie (merde, ça donne envie du coup, c'était pas le but), sautant sans cesse du coq à l'âne ; à le lire, on se trouverait dans la situation d'un personnage qui regarderait une course automobile à travers une très étroite fente n'ouvrant le champ de la vision que sur un très petit angle (un angle très aigu... ça me fait penser qu'on dit de quelqu'un qu'il est "obtus" quand sa vision est étroite, bornée, pourtant l'angle obtus, par rapport à l'angle aigu, est le plus ouvert) on ne verrait, tout au plus, que quelques taches, peut-être vaguement colorées, coupant successivement, sans régularité, la colonne d'espace disponible au regard. Voilà ce dont est composée la vie du type "ponctual", une succession de saillances plus ou moins espacées entre elles, se détachant sur un fonds apparemment tout à fait indifférent. Le type "spectral", a contrario, fait la part belle à la continuité, à la processivité, c'est par excellence celui qui est capable de planifier sa vie sur des années, et de se tenir à ce plan. La totalité des évènements de son existence, de ses impressions, de ses sensations, de sa vie intérieure serait semblable, par exemple, au spectre des couleurs, dans lequel on peut bien distinguer des unités (les couleurs) autonomes, mais sans que celles-ci soient détachées les unes des autres comme dans le type "ponctual". La tendance bien humaine à défendre et illustrer son propre parti me pousse à formuler le soupçon selon lequel les "unités de vie" du type "spectral" seraient moins savoureuses, moins vivaces, mais qui me dit qu'il en est ainsi en réalité, et qu'on ne peut pas avoir à la fois la continuité et l'intensité ? Peut-être s'agit-il, pour chacun de ces deux types, à force de vivre, de réussir finalement à intégrer l'autre.

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