Chapitre 30

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Le matin du jour où Adrien avait annoncé, dans le studio de répétitions, qu’il renonçait à son rôle dans le spectacle de danse, Eva lui avait envoyé un message. La jeune fille lui avait demandé s’il voulait qu’elle le retrouve à sa sortie de l’école. Le lycéen avait accepté avec joie, après un court instant d’hésitation. Il commençait à se faire à l’idée de la voir régulièrement, comme avant.

Le danseur n’avait pas prémédité sa démission. Il avait passé un pacte tacite avec son père, et refuser de représenter l’établissement de ce dernier à Noël lui avait toujours paru être une idée aussi tentante que dangereuse. Franz Silberdorn était un homme rancunier. Son fils savait qu’il valait mieux ne pas lui donner trop de raisons de le détester.

Et voilà qu’Adrien avait sauté le pas. Pourtant, il ne parvenait pas à regretter sa décision impulsive. Quand il avait raconté l’épisode à Eva, son amie d’enfance n’avait pas paru surprise, et s’était même réjouie avec lui. Mais désormais, la jeune fille n’était plus si certaine qu’Adrien avait fait le bon choix. D’après ses dernières révélations, sa décision lui semblait même plutôt absurde.

« Remarque, songea-t-elle à voix haute, Si tu ne l’avais pas abandonnée au milieu d’une répétition, tu n’aurais probablement jamais eu l’occasion de l’embrasser. »

Adrien retint un glapissement de surprise. Eva n’était pas censée se réjouir de ce dernier événement ! Quelle idée d’en parler à son ex, aussi… En même temps, à qui d’autre aurait-il pu raconter cet épisode ? Certainement pas à Edouard et Marc. Le jeune danseur était conscient que ses meilleurs amis auraient dû être ses premiers confidents. Mais avec deux commères pareilles… Ce n’était vraiment pas une bonne idée. Eva, elle, était extérieure à tout ça. Et surtout, elle ne connaissait pas Emi.

« Je n’ai jamais voulu l’embrasser ! répliqua Adrien, le ton paniqué, Je ne sais pas du tout ce qui m’a pris. »

Eva lui lança un regard sage.

« Mais elle te plaît. »

C’était un constat, pas une question. Adrien se gratta la tête. Autant se rendre à l’évidence, sortir du déni et faire face à la réalité. Même si cette attirance était totalement dénuée de sens.

« Peut-être, admit-il. Un petit peu. »

Un sourire radieux éclaira le visage harmonieux de la jeune fille.

« Je suis tellement heureuse pour toi ! s’exclama-t-elle en lui sautant au cou, Et j’ai hâte de la rencontrer ! »

Le jeune homme s’empressa de rappeler Eva à la raison. Il ne savait pas depuis quand son regard envers Emi avait changé, et sa soudaine attirance pour cet être abject restait un mystère pour lui.

« T'emballe pas trop, on n’est pas fiancés. Il y a peut-être une certaine attirance physique entre nous, mais Emilie reste une gamine insupportable. On n’a jamais réussi à avoir la moindre conversation civilisée. »

Son amie d’enfance fixa le garçon avec une moue pensive tout en sirotant son thé glacé, et triturant sa paille entre deux doigts.

« Je te rappelle que de la haine à l’amour, il n’y a qu’un pas, fit-elle avec un sourire en coin. »

Adrien ricana, sceptique :

« Merci pour la philosophie de comptoir, je ne suis pas sûr que ça va beaucoup m’aider. »

Eva n’insista pas, mais l’ombre d’un sourire continua à planer sur ses lèvres.

« En tout cas, argua-t-elle, tu as tout intérêt à revenir sur ta décision de quitter le spectacle de Noël. »

Voyant que le danseur ouvrir la bouche pour protester, la jeune fille l’en empêcha rapidement :

« Ecoute au moins mon raisonnement. A mon avis, tu n’as rien gagné en renonçant à ton rôle dans le spectacle de Noël. Je pense que tu devrais leur annoncer que tu es toujours partant. »

Adrien se rebiffa avec force :

« Tu sais bien que je n’en ai aucune envie. »

Eva soupira.

« Crois moi, ce n’est pas comme ça que tu parviendras à gagner l’approbation de ton père. Au contraire, ça ne doit vraiment pas lui plaire. Tu seras majeur dans un an, et tu pourras faire ce que tu veux. D’ici là, tu devrais tout faire pour renouer un semblant de confiance avec lui. »

Le jeune homme aurait pu riposter à nouveau, mais il commençait à croire que son amie avait raison. Pourtant, d’ordinaire, Adrien ne supportait pas les discours moralisateurs.

« Tu as sans doute raison, fit-il avec lassitude, Je vais y réfléchir.

- Tu as intérêt, oui. Surtout si tu veux avoir une idée plus claire de tes sentiments pour Emi. »

Le lycéen faillit s’étouffer.

« Mais quels sentiments ? Je l’ai juste embrassée, je te dis ! »

Eva lâcha un petit ricanement, amusée par la gêne de son ami.

« En tout cas, continuer les répétitions te permettra de la revoir. Tu dois quand même culpabiliser un peu de l’avoir laissée en plan comme ça. »

Le jeune homme hocha la tête, affichant tout d’un coup un visage pensif.

« Je n’ai pas du tout l’intention de lui parler du baiser qu’on a échangé. En tous cas… pas tout de suite. J’ai effectivement besoin d’y voir plus clair de mon côté.

- Tu ne sais pas ce que tu veux. »

Adrien leva la tête, et la regarda dans les yeux.

« C’est un reproche ? »

La jeune fille nia en levant les yeux au ciel :

« Pourquoi est-ce que tu prends toujours tout mal, comme ça ? C’était juste une remarque. Je crois que tu es perdu, Adri. Et je veux juste t’aider. »

Le garçon sentit son corps se raidir. Ce fichu ego lui portait toujours malheur. ll se força à se détendre. Ce n’était qu’Eva.

« Je sais, désolé, s’excusa le danseur avec une désagréable sensation de défaite. C’est juste que… Comme tu dis, je suis perdu. Et ça m’angoisse. »

Eva posa une main réconfortante sur celle du jeune homme.

« Tu ne veux pas être danseur. »

Adrien hocha la tête avec assurance.

« C’est déjà bien d’avoir cette certitude. Il ne nous reste plus qu’à déterminer ce que tu veux faire à la place.

- C’est bien le problème. Tant que je n’ai pas de plan B cohérent, mes parents ne voudront même pas m’écouter. »

Eva resta quelques instants silencieuse, avant de reprendre calmement :

« Il faut les comprendre. Tu es leur seul enfant, et ils rêvent depuis toujours de te voir suivre leurs pas.

- Mais moi, je ne le veux pas. Je ne l’ai jamais voulu.

- Je sais. Depuis qu’on est tout petits, tu me l’as toujours dit.

- Pas de danse.

- Pas de danse. »

Il s’esclaffèrent. Un rire un peu triste.

« Bon, je vais y aller, annonça Eva en se levant, Je te laisse réfléchir à tout ça. Si t’as besoin de parler, n’hésite pas. Et puis de toute manière, on se revoit bientôt ! »

Les deux amis d’enfance se firent la bise, et la jeune fille partit, laissant le garçon seul avec ses pensées.

Le soir même, le danseur fit part de sa décision à son père. Il jouerait Tarzan, comme prévu.

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