Chapitre 28

5 minutes de lecture

La coiffeuse contempla la tête de sa cliente d’un air malheureux. Elle finit par craquer :

« Non, non ! Je ne vais pas couper ça ! »

De si beaux cheveux... La professionnelle de la coupe tritura nerveusement ses ciseaux. Un client, ça ne se refuse pas. Surtout que celle-ci semblait avoir un porte-monnaie bien rempli. Mais, tout de même… Ses cheveux avaient certainement pris beaucoup de temps pour atteindre leur longueur actuelle. Quel follicule pileux fertile ! Cette jeune demoiselle devait avoir de bons gènes. Et ça se voyait qu’elle en prenait soin. Bien que longs, ses cheveux restaient forts, vigoureux. Pas cassés. Volumineux.

Devant la ténacité de sa jeune cliente, la coiffeuse céda. Mais avec précaution.

« Si vous en êtes vraiment sûre, Mademoiselle… Mais à quelle longueur souhaiteriez-vous votre coupe ? »

Certainement pas trop court, se rassura la coiffeuse. Il arrivait parfois que les clients aient envie de changement sur un coup de tête. Certes, une coiffure n’est jamais irrémédiable, et les cheveux finissent toujours par repousser. Mais lorsqu’ils sont si magnifiquement longs jusqu’aux fesses…

« Je voudrais bien un carré, l’informa la jeune fille. »

La coiffeuse faillit s’étrangler.

« Je vous laisse consulter notre magazine, vous trouverez tout un tas de coiffures très sympathiques à l’intérieur. Pour cheveux longs aussi ! Prenez quelques minutes pour faire votre choix.

- C’est très gentil de proposer mais je suis absolument certaine, je veux un carré. Par contre, je ne sais pas ce qui est le mieux pour moi : plongeant ou droit ? »

En voyant le visage déconfit de la femme, Emilie décréta avec un petit sourire :

« Vous avez raison, droit. Ca ira mieux avec la forme de mon visage.. »

Désespérée, la coiffeuse finit par obtempérer. Elle se ferait un bon petit repas pour se consoler. Qu’est-ce qu’elle n’aurait pas fait pour avoir une si belle chevelure ! Et voilà que la jeune fille, elle, n’en voulait plus. Vraiment, quel gâchis…

****

Adrien avait passé toute la soirée avec Eva. Décidément, il appréciait toujours énormément la compagnie de la jeune fille. Certes, ils n’étaient plus ensembles. Mais au moins, elle lui était revenue. Enfin. Peut-être qu’ils étaient destinés à ne rester qu'amis. Le jeune homme avait encore du mal à s’en convaincre, mais l’idée lui semblait déjà de plus en plus acceptable.

Étonnamment, son père ne lui avait pas reparlé, depuis qu’il était sorti en furie du studio de répétition. Quel soulagement, en tous cas. Adrien n’aurait pas à subir la honte de participer à ce spectacle idiot. Tarzan, quelle idée !

Le jeune homme repensa subitement à sa jeune partenaire. Enfin, ancienne cavalière. Il était parti sans un mot pour elle, et en ressentait désormais une certaine forme de… Serait-ce du remords ? Cela y ressemblait à s’y méprendre. La danseuse se verrait attribuer un autre partenaire, évidemment. Adrien en ressentit un pincement au cœur, qu’il s’empressa d’attribuer à autre chose. N’importe quoi d’autre, mais pas ça. Emi ne lui plaisait pas, ne pouvait pas lui plaire. Elle n’était pas du tout, du tout, son style de fille.

Le métro arriva à la station où le garçon devait descendre, l’arrachant à ses pensées. Il sortit mécaniquement sur le trottoir et envoya un message groupé à Marc et Edouard pour les informer de son arrivée. En dehors de la soirée qu’ils avaient passée ensemble chez le premier de ses amis, Adrien s'aperçut qu’il évitait un peu les deux autres garçons depuis quelque temps. Il arrivait parfois au jeune danseur d’avoir des périodes comme celle-là, où il n’était pas très sociable. Parfois, un peu de solitude pouvait faire du bien.

Arrivé dans la cour de l’établissement, Adrien chercha ses amis du regard. Ses yeux s’arrêtèrent soudain sur une silhouette légère, qui se frayait un chemin à travers la foule d’élèves d’un pas furieux. Lorsqu’elle arriva à quelques centimètres du garçon, Emi s’arrêta. La colère ravageait le jeune visage de la jeune fille, les yeux flamboyants de fureur et de mépris, et pourtant, elle était terriblement séduisante.

« Tu… tu t’es fait couper les cheveux, remarqua lentement Adrien en la dévisageant. »

Emi passa enroula timidement une mèche autour de son doigt, nerveuse. Le regard brûlant du garçon la laissait stupéfaite. Réalisant soudain ce qu’elle était en train de faire, la lycéenne se reprit aussitôt, et croisa les bras sur sa poitrine.

« Je suis en colère, Adrien. »

Le jeune homme resta un instant interdit devant le mouvement ensorcelant des lèvres roses articulant son prénom. Puis, son cerveau enregistra le sens de la phrase qu’Emi venait de prononcer, et il lui jeta un regard prétentieux.

« Pour quelle raison ? interrogea-t-il avec arrogance. »

Emi serra les poings avec force et fulmina :

« Devine, pauvre faquin !

- Pauvre… quoi ? fit Adrien, perdu.

- Je me suis bien aperçu, depuis le moment où je t’ai rencontré, que tu n’étais qu’un gougnafier ! Un vrai pignouf, un moins-que-rien, un foutriquet ! insista Emi avec véhémence. »

Adrien lui jeta un regard moqueur.

« Tu ne pourrais pas parler comme tout le monde ? Je ne peux même pas te prendre au sérieux ; même mon arrière-grand-père s’exprime plus clairement que toi. »

Emi fut piqué au vif par son impudence. Elle se pencha vers lui d’un air menaçant.

« Ecoute moi bien, tête de pipe, tu es peut-être le fils de Monsieur Silberdorn, mais cela ne t’autorise absolument pas à me manquer de respect. J’ai été sélectionnée pour le spectacle de Noël, et je ne laisserai pas un malappris de ta sorte gâcher cette opportunité en or. »

Ah, voilà donc où elle voulait en venir.

« En quoi pourrais-je nuire à ton rêve ? Je viens de renoncer au spectacle, tu devrais être ravie, fit observer Adrien. »

Le garçon s’entendit soudain ajouter, avec un sourire enjôleur :

« Ou bien… Est-ce ça, justement, le problème… Tu ne te vois pas participer au spectacle sans moi ? »

Emi s’empourpra, et le sourire du jeune homme s’élargit.

« N’importe quoi ! risposta-t-elle, le rouge ne quittant pas ses joues. Je m’en sortirais très bien sans toi. Seulement… nous répétons depuis près d’un mois, le spectacle approche, et il serait impossible pour un nouveau venu d’apprendre toutes les chorégraphies en si peu de temps. »

Le garçon lui lança un petit regard narquois.

« Tu avoues enfin que mes talents de danseur t'impressionnent. »

Emi lui répondit du tac au tac :

« Les miens ne te laissent pas indifférent non plus. »

Adrien sentit son coeur s’emballer. Cette facette de la personnalité d’Emi lui était totalement inconnue.

« Tu m’as entendu, rappela-t-il, je ne veux plus participer au spectacle de Noël. Tu sais ce que je pense de Mlle Morvan, et je ne peux pas cautionner ça. »

La jeune fille resta muette. Adrien insista :

« Alors Emi, qu’attends-tu de moi ? »

Sa voix s’était faite plus grave, presque rauque. La danseuse en fut toute chamboulée, mais elle n’en laissa rien paraître, expliquant d’une voix posée :

« Je te dis que j’ai besoin d’un partenaire qui me fasse briller. Mlle Morvan elle-même l’a reconnu tout à l’heure, nous avons fait de grands progrès ensemble, et même si je ne te tolère pas en tant qu’être humain - car il te manque visiblement un certain nombre de neurones et un minimum de décence - je dois avouer que niveau danse, tu ne te débrouilles pas trop mal. Je ne te supplierai pas à genoux - je ne suis pas à ce point désespérée -, mais ton égoïsme me sidère, et si tu ne renonces pas à ta décision insensée, je t’en voudrai pour toujours. »

A la fin de sa tirade, Adrien baissa la tête vers elle, un doux sourire aux lèvres.

« Sois honnête, Emi. »

Il prit soudain son visage entre ses mains.

« C’est juste que tu ne supportes pas l’idée de me perdre. »

Emi n’eut pas le temps de réagir. Adrien se pencha prestement, leva son visage vers le sien, et l’embrassa avec une infinie tendresse.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Yoratou ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0