Chapitre 27

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Adrien avait tiré deux grands principes universels de sa vaste expérience de fêtard. Premièrement, ce qui se passe en soirée, reste en soirée ; on n’en parle pas le lendemain, tout le monde fait comme si ces détails ont été oubliés, et toutes les actions de la veille resteront à jamais sans conséquence. Le garçon suivait scrupuleusement cette première règle.

Deuxièmement, les gens pouvaient être très différents en soirée. En général, ce genre d’événement était révélateur de la personnalité véritablement débridée de personnes qu’on connaissait réservées, et à l’inverse, de la retenue de certaines que l’on croyait plus intrépides. Un bon terrain d’étude pour sociologues à petit budget.

Aussi, passée son irritation à la vue de la jeune fille, Adrien avait commencé à être plutôt diverti par la nouvelle personne que la soirée de Marc lui avait fait découvrir. Emilie, bourrée. Le jeune homme n’aurait jamais cru être témoin d’un spectacle aussi singulier. La bouteille de bière dans son propre gosier y étant certainement pour quelque chose aussi, l’exécrable gamine en devenait presque plaisante. Adrien n’en redoutait que plus le moment où il se trouverait à nouveau nez à nez avec la première version d’Emi, avant mise à jour, c’est-à-dire un retour à la normale et au caractère infect de sa partenaire de répétition.

*********

Au début de l’après-midi, Emilie était entrée dans le studio de danse avec appréhension. En effet, deux de ses plus grandes angoisses actuelles étaient réunies dans la même salle : Mlle Morvan et Adrien. Elle se sentait toujours confuse par rapport à son comportement lors de la soirée, et avait du mal à s’imaginer regarder son cavalier dans les yeux.

La jeune danseuse passa donc prudemment la tête par l’embrasure de la porte, vérifiant à droite et à gauche s’ils étaient arrivés. Un soupir de soulagement lui échappa en constatant que ce n’était pas le cas. Emi commença rapidement ses échauffements afin d’avoir une excuse pour ne pas voir leur entrée.

Lorsqu’elle aperçut son cavalier, la lycéenne tenta de l’ignorer. Se souvenait-il de la soirée précédente ?

Adrien n’avait aucune envie de prendre part aux répétitions du spectacle de Noël. Il aurait aimé n’avoir jamais été sélectionné pour le premier rôle masculin. La nomination de la chorégraphe et le choix de sa partenaire n’avaient fait qu’accentuer ce sentiment, et alors que le garçon se disait que sa situation ne pouvait pas être pire, voilà qu’elle le devenait. Son propre père allait assister à l’une de leurs séances, afin de déterminer ce qui n’allait pas avec son fils, de lui remonter encore une fois les bretelles, et de remettre les pendules à l’heure pour éviter que son cher spectacle ne se solde en échec.

M. Silberdorn voulait que son grand évènement de fin d'année soit une réussite. Il ne laisserait rien ni personne nuire à son projet.

« Je vais prendre les choses en main, annonça-t-il à Mlle Morvan le lundi suivant l’altercation entre son fils et la chorégraphe. »

La femme avait acquiescé avec un sourire contrit.

« J’ai une répétition avec Adrien et Emilie cet après-midi. Souhaitez-vous y assister ?

- Avec plaisir. »

Le directeur entra dans le studio de danse quelques minutes après le début de la leçon, et constata la raideur de son premier rôle féminin. L’homme fronça les sourcils. Il lui semblait que la jeune fille était crispée. Ce qui s’expliquait en réalité par sa présence à lui, le plus illustre et puissant danseur de l’école. D’autant plus qu’Emilie était aussi en train d’essayer d’éviter son fils, pour cause de comportement indécent.

« Nous allons commencer les répétitions par le pas de deux, annonça Mlle Morvan sur un ton doux, surprenant la danseuse, habituée au ton d’ordinaire autoritaire et cassant de la chorégraphe. »

Emi oublia cependant bien vite ce détail en comprenant ce que cela signifiait. Elle allait devoir se coller à Adrien.

La jeune fille essaya de ne rien laisser paraître de sa panique intérieure et se concentra sur la danse. Elle sentit ses joues rougir. Rien, actuellement, ne l’aidait à garder son calme. La présence du directeur, la gêne entre les deux danseurs… Et la sensualité de cette chorégraphie ! Car cette partie avait été créée dans le but de mettre en avant la tendresse et la passion entre les deux personnages du ballet. Tarzan et Jane. Un choix qu’Adrien trouvait toujours aussi ridicule.

Le couple se posta face à face, et commença à bouger. Étonnamment, ils étaient parfaitement coordonnés. La soirée leur avait visiblement permis de s’habituer au contact l'un de l’autre, ce qui leur permettait de danser en accord.

Adrien non plus n’en menait pas large. Tenir la jeune fille entre ses bras, si proche de son corps, lui rappelait indéniablement le souvenir de leur chute au cours de la fête de la veille. L’effet de l’alcool étant désormais totalement évaporé, le jeune homme mesurait l’ambiguïté de la situation.

« C’est très bien ! Merveilleux ! Continuez ainsi ! s’émerveilla Mlle Morvan à voix haute, faisant sursauter les deux danseurs. »

Leur tressaillement n’était pas seulement dû à la soudaineté de l’intervention de la chorégraphe, mais c’était la première fois que Mlle Morvan leur adressait un véritable compliment. D’ordinaire, ils avaient droit à un flot intarissable de reproches et de critiques de sa part.

« C’est vrai qu’ils forment un duo parfait. Nous avons fait un très bon choix ! se félicita Monsieur Silberdorn. »

Adrien réalisa soudain la raison du changement de personnalité de leur répétitrice, qui fixait le directeur avec un grand sourire hypocrite et un regard calculateur. Evidemment. Le jeune homme savait que cette femme était une lèche-bottes, et cette situation n’en était qu’une preuve supplémentaire. Quand le regard de Mlle Morvan se posa sur lui, sentant probablement que le garçon l’observait, il se fit menaçant. Un message silencieux passa par ses prunelles brûlantes ; Adrien n’avait pas intérêt à lui causer du tort.

Emilie, elle, jeta un regard désemparé à son idole. La jolie blonde se sentait gauche et savait qu’elle n’était pas au maximum de ses capacités. Pourtant, on la félicitait comme si elle avait fait quelque chose d'exceptionnel ! Il lui parut, sur le moment, quelque peu hypocrite de la part de la chorégraphe de leur adresser de telles congratulations. Mais elle se reprit rapidement. La femme devait voir quelque chose dans leur danse qui n'y était pas auparavant. D’autant plus que le contact physique entre les deux danseurs semblait vraiment plus naturel que pendant les répétitions précédentes.

Son partenaire décida soudain que la plaisanterie avait assez duré. Il fixa son père avec un regard mauvais, qui ne présageait rien de bon pour ce dernier. Le directeur fronça les sourcils. Adrien prit une profonde inspiration, puis repoussa Emi sans crier gare, et se planta devant les deux professeurs, bras croisés.

« Je suis désolé, mais je ne vais pas pouvoir continuer. Trouvez-vous un autre pantin pour votre spectacle ridicule. »

Et, sous le regard choqué de la jeune danseuse, il tourna les talons, attrapa ses affaires dans les vestiaires, et se rua vers la grille de l’école, derrière laquelle l’attendait déjà Eva.

Emilie, qui lui courait après dans le but de lui hurler dessus pour la méchanceté dont il faisait preuve, s’arrêta net. Elle le vit s’approcher de la magnifique jeune fille au carré auburn et l’enlacer tendrement. La jeune danseuse fixa son cavalier qui partait avec cette espèce de pimpesouée aux longues jambes sans un mot, et sans pouvoir réagir.

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