Chapitre 20

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Le lendemain du dîner avec la famille d’Eva, Adrien s’était imposé une règle stricte. Résister à l’envie d’aller fouiller le profil Instagram de son ex, pour trouver qui était son nouvel homme mystère. Un surfeur australien. Super.

Le jeune homme aurait voulu parler à quelqu’un, n’importe qui, de son mal-être. Pas à ses parents, bien sûr. A Edouard et Marc ? Pourquoi pas, mais ses amis avaient déjà eu du mal à comprendre ses émotions peu de temps après sa rupture avec Eva. Que penseraient-ils de sa déprime actuelle ? Leur couple était mort et enterré depuis longtemps déjà.

Le garçon parvint tant bien que mal à exclure Eva de ses pensées pendant la semaine qui suivit. Ses cours et les répétitions pour le spectacle de Noël occupaient bien ses journées et le soir, il repoussait l’heure de son retour chez lui au maximum, préférant noyer son chagrin en flânant tranquillement dans les rues animées de la capitale, une playlist entraînante dans les oreilles.

C’était sans compter sur les plans de son amie d’enfance. Un jour qu’Adrien rentrait chez lui, il remarqua un appel manqué sur son téléphone, d’un numéro inconnu, qui lui avait laissé un message. Le jeune danseur n'ouvrit pas immédiatement ce dernier, se disant que sa chambre serait un endroit plus adapté que le métro pour l’écouter. Arrivé chez lui, il prit le temps de prendre une douche et de se servir un petit en-cas, avant de s’installer sur son lit. Il déverrouilla son portable avec nonchalance, appela sa messagerie, et activa le haut-parleur.

Une voix féminine sortit du combiné :

« Adrien ? Coucou ! C’est Eva. Tu vas bien ? »

Adrien jeta un regard épouvanté vers l’appareil. Il n’avait pas appelé sa messagerie. Quel idiot. Pourquoi les concepteurs de son téléphone n’avait-il jamais songé à placer la fonctionnalité « Rappeler votre correspondant » autre part ?

« Eva ? croassa-t-il. »

La jeune fille gloussa.

« Eva Summers, gros bêta. Je sais que je n’ai pas été très présente ces dernières années, mais je compte bien y remédier, maintenant que je suis de retour à Paris ! »

Adrien glapit, se reprit rapidement en réalisant que son interlocutrice avait dû l’entendre, et émit un petit rire gêné.

« Ah, mais oui, bien sûr. Ça pourrait être très sympa. Avec plaisir. »

Heureusement que la langue française regorgeait de formules de politesse toutes faites. Le cerveau d’Adrien aurait été incapable d’en inventer, dans l’état d’affolement où il se trouvait. Eva voulait le revoir. Ce qui aurait pu être une bonne nouvelle, dans d’autres circonstances. Mais elle ne devait évidemment voir en lui qu’un vieil ami, et ne pas avoir d’autres idées derrière la tête. Ce qui promettait d’être très frustrant.

« Génial ! On se boit un verre ce soir, alors ? »

Ce soir ?! Panique à bord.

« Oh, et bien oui, ce soir ce sera très bien. Je n’ai rien de prévu. »

Il entendit avec effroi ces dernières paroles couler de ses lèvres traîtresses.

« Et bien, c’est parfait ! Il y a un petit bar très sympa à Bastille, donc à mi-chemin entre chez toi et chez moi. Rendez-vous à dix-neuf heures là-bas, je t’envoie l’adresse ! »

Adrien eut envie de disparaître sous terre, mais il se força à répondre d’un ton enjoué, avant de raccrocher. Comment fallait-il se présenter pour une rencontre amicale avec son ex ? Le jeune homme n’avait aucune idée de la manière dont il s’allait habiller. A quelle heure devait-il arriver ? Un peu plus tôt - au risque de paraître trop impatient -, pile à l’heure - ce qui imposerait une entrée dans le bar ensemble et de potentielles situations gênantes si les serveurs les prenaient pour un couple -, ou un peu en retard - ce qui pourrait être perçu comme un manque de politesse ?

Le beau brun se posait beaucoup trop de questions, il en avait conscience. S’efforçant tant bien que mal d’écarter toute inquiétude de son esprit, Adrien trouva de quoi occuper ses pensées toute la journée, en se plongeant dans la lecture d’un roman passionnant qu’on lui avait offert pour son dernier anniversaire et qu’il connaissait déjà sur le bout des doigts. Quand vint l’heure de partir, il passa son peigne dans ses cheveux, se parfuma, et s’engagea dans le boulevard devant chez lui.

Finalement, Adrien n’arriva ni avant, ni après Eva. Tandis qu’il rêvassait dans le métro, le jeune homme sentit une main lui tapoter l’épaule. Il se retourna en un sursaut de surprise.

« Eva ! s’exclama le danseur en la reconnaissant avec un doux sourire, qu’elle lui rendit. »

La jeune fille était sublime. Sa peau claire faisait ressortir ses grands yeux bleus en amande et ses cheveux auburn étaient, comme toujours, coupés au carré avec une éternelle frange. Adrien avait toujours eu un faible pour les filles aux cheveux courts. Eva lui lança un regard espiègle :

« Incroyable. Qui aurait cru qu’on se croiserait dans le métro avant d’arriver à Bastille ? C’est dommage, j’avais préparé une entrée fracassante ! »

Le lycéen lâcha un petit rire, amusé. Visiblement, Eva n’avait pas changé. Elle le mit tout de suite à l’aise, et ce fut comme si elle n’était jamais partie. Bien sûr, il y avait une certaine ambiguïté entre eux. Mais la jeune fille semblait être réellement passée complètement à autre chose, et vouloir renouer le lien si spécial qui les unissait depuis l’enfance… amicalement, juste amicalement.

Adrien savait qu’Eva avait raison de se comporter ainsi, et qu’il lui serait sans doute plus simple d’admettre, maintenant qu’elle était de retour, que l’eau avait coulé sous les ponts, et qu’il était plus que temps pour lui de se libérer du souvenir de leur couple et de leur rupture.

Après avoir été sevré de tout contact avec son amie d’enfance, voilà qu’elle tentait de reprendre contact et de se faire à nouveau une place dans sa vie. Ils ne s’étaient pas quitté en très mauvais termes, mais la rupture avait été inattendue pour Adrien, et l’avait plongé dans une grande tristesse, leur relation s’étant finie à cause de la distance géographique et ce, malgré des sentiments toujours bien présents. Le jeune homme avait essayé de se convaincre qu’il fallait détester son ex, en vain.

Les deux jeunes gens avaient été amis longtemps avant de devenir amants. Si pour l’heure, une certaine gêne subsistait entre eux, Eva ne doutait pas que leur amitié reviendrait bientôt à la normale, nourrie de souvenirs partagés, de nombreux amis d’enfance communs et de confidences gardées secrètes depuis le jour où elles furent livrées. Il lui semblait tout à fait absurde de penser que malgré une confiance si forte et une compatibilité si parfaite en termes de qualités humaines, leur amitié dût être vouée à l’échec. Rien ne se perd, tout se transforme. Le naufrage de leur vie amoureuse ne devait pas signifier celui de leur affection.

« Tu vois encore Marc et Edouard ? s’enquit Eva. »

Elle savait combien leur trio était important pour Adrien, depuis sa formation au début des années collège.

« Bien sûr ! Ils vont très bien. A vrai dire, aucun d’entre eux n’a vraiment changé. »

Le jeune fille pouffa :

« Toujours Edouard, l’éternel coureur de jupons, et Marc l’adorable poupon taquin, alors ? »

La description collait parfaitement, faisant sourire Adrien.

« Et tu as pu rencontrer d’autres personnes ? »

Le choix de mots était prudent. Eva ne souhaitait pas aborder le sujet des éventuelles nouvelles relations amoureuses, ce qui promettait d’être gênant autant pour lui que pour elle, et la jeune fille évita aussi d’évoquer l’aveu qu’elle avait fait chez Adrien, au sujet de sa situation personnelle. L’amie d’enfance du garçon ne posa aucune question sur les cours du jeune homme, ni sur l’évolution de sa relation avec ses parents, sachant ces sujets historiquement délicats.

Adrien repensa aux catastrophiques répétitions avec Emilie, et se dit qu’il ne servait à rien de parler d’elle à Eva. Cette gamine insupportable n’en valait pas la peine. S’installant à une table en terrasse du bar, le jeune danseur répondit :

« Personne de très intéressant. Parlons plutôt de toi, nous n’avons pas vraiment pu en placer une pendant le dîner l’autre soir. Raconte-moi ce que tu deviens ! »

Eva sourit. C’était bien le genre d’Adrien d’éviter les confessions intimes avec d’habiles techniques de changement de sujet. Le temps finirait bien par leur rendre leur complicité passée.

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