Chapitre 15

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Emilie avait toujours eu ce petit côté… expressif. Mais ce jour-là resterait dans les annales. La jeune fille vivait un véritable ascenseur émotionnel et le faisait savoir à tous ceux qui se trouvaient autour d’elle. Si ses amies y étaient habituées, les inconnues qui attendaient encore avec elles de passer semblaient un peu perturbées. En effet, les lycéennes la regardaient toutes avec de grands yeux choqués. Certaines murmuraient au sujet de sa mère, connue elle aussi pour être très exubérante. D’autres semblaient la maudir de toutes leurs âmes. D’autant plus qu’Emi retenait ostensiblement son souffle à chaque fois que la porte s’ouvrait, stressant encore plus ses camarades.

En réalité, la jeune fille imaginait tout ce qui pouvait mal se passer pendant l’audition. Et si elle tombait sur un partenaire qui ne savait pas danser ? Pire, si elle tombait sur l'espèce de larve impolie et stupide ? La jeune danseuse ne s’en remettrait jamais. Ce serait l’humiliation de trop. L’idée même de toucher son corps, qui en plus était probablement très poilu, la dégoûtait. Et comment ferait-elle pour lui faire comprendre ce qu’il devait faire ? Ce genre de personne était incapable de reconnaître la supériorité des autres.

La porte du studio s’ouvrit, interrompant les élucubrations d’Emi, et laissa passer M.A., qui venait de terminer son audition.

La jeune fille se redressa et sauta au cou de son amie qui, bien que raide, lui rendit son étreinte avec toute la tendresse qu’elle pouvait fournir, en tapotant maladroitement le haut de son dos.

« Oh, M.A., comment ça s’est passé ? Tu n’étais pas trop stressée ? Tu as dansé avec qui ? s’exclama Emi avant de changer de ton. Oh mon dieu, j’espère tant tomber sur un charmant cavalier, j’ai si peur de me ridiculiser. Je le vivrais comme une cruelle défaite… Bref, reprit-elle sans plus s’occuper de la performance de son amie, je dois me reconcentrer, donc cesse de me parler. Je te dis à toute à l’heure. »

Charlotte, qui avait fini son audition sereinement quelques minutes auparavant, lança un regard amusé à M.A. Dans ces moments de stress intense, tout se mélangeait dans la mignonne petite tête de leur amie, lui donnant un comportement encore plus étrange qu’à l’accoutumée.

Soudain, la voix mélodieuse de Lise Morgan retentit dans le couloir.

« Emilie d’Abaracourt. »

Cette dernière se redressa, carra les épaules et, sans un regard vers ses amies, rentra dans le studio. Elle écouta religieusement les instructions pour l’audition. Quand, enfin, l’objet de toutes ses pensées sortit de la salle pour les laisser travailler, la lycéenne découvrit son partenaire. Il s’agissait d’un jeune homme de sa classe, qui faisait à peu près sa taille. Emilie s’arrêta, interdite. La jolie blonde avait déjà vu ce garçon quelques fois lorsqu’elle était en classe mais ne lui avait jamais parlé. Comment les deux danseurs pourraient-ils improviser quelque chose ensemble alors qu’ils ne se connaissaient même pas ?

Alors que la jeune fille restait plantée sur le parquet sans bouger, le jeune homme s’approcha.

« Salut Emilie, je m’appelle Alexandre. Tu préfères quoi comme type de musique ? »

La lycéenne resta immobile quelques secondes encore avant de réagir.

« Je suis très musique classique. Tu connais les danses d’Opéra ?

-Euh… Je ne sais pas vraiment, balbutia le jeune homme. Je dois avouer que je suis plus contemporain. »

Les danseurs se dévisagèrent quelques secondes avant qu’Emi ne reprenne les choses en main.

« Bon, j’imagine que s’ils nous ont mis ensemble, c’est pour qu’on se serve des spécialités de chacun pour créer un genre nouveau. Montre-moi un peu ce que tu sais faire. »

Alexandre obtempéra sans trop râler. Le garçon avait bien compris qu’il ne serait pas le danseur dirigeant…

Emi étudia ses mouvements et tenta de les reproduire. Elle enregistra les points forts et les points faibles de son partenaire, avant de l’arrêter.

« Maintenant, le porté. On fait quoi ? »

Ils continuèrent à travailler avec application, jusqu’au retour de la chorégraphe prodige.

« Bien mes jeunes amis. Quel morceau avez-vous choisi ? »

Les deux danseurs échangèrent un regard avant qu’Emilie ne s’avance, déterminée.

« Nous avons choisi la chanson Still Loving You, de Scorpion. »

La jeune femme se redressa, surprise. C’était un choix audacieux, très moderne. De l’autre côté de la pièce, le directeur de l’école esquissa un sourire. M. Silberdorn avait bien connu la mère d’Emi et devait avouer que la lycéenne lui ressemblait plus que ce qu’il avait pensé la première fois qu’il l’avait vue. Les deux danseuses avaient le même caractère flamboyant, la même rage de réussir. S’il s’avérait qu’Emi avait en plus hérité du talent de sa mère, le directeur serait comblé.

Les deux jeunes danseurs se mirent en place et commencèrent à se mouvoir. Leurs gestes étaient très accordés, et Alexandre suivait assez aisément les pas de sa partenaire. Leur style de danse était un mélange très réussi entre le classique et le moderne. La chorégraphie n’était pas très compliquée mais exécutée à la perfection. Les deux jeunes donnaient une véritable âme à leur danse. Leurs corps racontaient une belle histoire d’amour, un récit qui n’aurait pu être relaté avec des mots. Ils semblaient, tout deux, glisser dans l’air, même si Alexandre manquait parfois un peu de grâce. L’esprit d’Emi avait quitté son corps et vibrait sur la musique. La jeune fille se sentait légère, si légère… Elle était en paix, déconnectée de ses soucis, comme seule au monde. Cette sensation d’infinité que lui procurait la danse était sa raison de vivre, celle qui la poussait à aller chaque jour aux limites de ce que son corps pouvait supporter.

Les jeunes danseurs terminèrent leur performance sur l'élégant porté qu'ils avaient travaillé. Ils restèrent ainsi quelques instants, se fixant, immobiles dans le silence retrouvé de la salle, et respirant d'un souffle court, à l'unisson.

« Merci pour votre prestation, vous pouvez y aller. »

Emilie se dirigea lentement vers les vestiaires, les jambes flageolantes. Elle entra dans la pièce et s’effondra sur le banc. Charlotte et M.A. s’approchèrent doucement, pour ne pas la braquer, et posèrent délicatement leurs mains sur ses épaules. Soudain, la blondinette éclata en sanglots. Ses amies l’entourèrent de tout leur amour jusqu’à ce que les larmes se tarissent. Elles savaient que le retour à la réalité après avoir dansé était compliqué pour Emilie.

Emi finit par prendre une longue inspiration et, adressant un sourire reconnaissant à ses deux amies, elle se redressa et sortit dignement de la salle.

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