Chapitre 12

4 minutes de lecture

Lorsque Franz Silberdorn avait créé son Académie, le danseur avait repris le schéma de l’Ecole où il avait été brillamment formé et qui était désormais, selon les saisons, sa principale concurrente ou son associée : la célèbre école de danse de l’Opéra de Paris. Tout comme les petits rats, les élèves de l’école Silberdorn étaient suivis par d’illustres diététiciens pour qui le quotidien des jeunes sportifs n’avait aucun secret. Leurs journées étaient divisées entre enseignement général de niveau lycée, le matin, et cours de danse, l’après-midi.

Le directeur, qui avait dû se battre pour faire reconnaître l’excellence de son institution parmi les esprits conservateurs de la capitale, ressentait toujours une grande fierté devant l’immensité de ses locaux, avec ses énormes salles de spectacle et ses grands studios modernes, et se targuait d’être l’un des chefs d’établissement les plus avant-gardistes au monde, pilotant avec des résultats époustouflants une équipe enseignante on ne peut plus éclectique.

L’événement majeur du premier semestre était, sans conteste, le spectacle de Noël. Depuis le discours de M. Silberdorn le jour de la rentrée, les élèves n’avaient qu’un mot à la bouche, « auditions », et qu’un objectif en tête, décrocher un rôle important. Les répétitions seraient très exigeantes, et le temps était compté. Seuls les meilleurs danseurs seraient sélectionnés, afin de faire honneur à leur établissement. Les auditions constitueraient une première occasion pour chaque jeune danseur de faire ses preuves.

« Les auditions pour le spectacle de Noël seront une occasion unique, pour les plus méritants d’entre vous, d’impressionner Mlle Morvan, dont vous avez certainement déjà entendu parler, déclara Franz Silberdorn devant l’assemblée d’élèves à nouveau réunie devant lui. Mlle Lise Morvan a obtenu la médaille d’or à l’issue de ses années dans notre école, est actuellement la plus jeune chorégraphe du corps de ballet Silberdorn et a été distinguée au Concours international de Varna, l’an dernier. C’est cette jeune étoile bretonne, admirée pour son talent remarquable et son travail acharné, qui aura l’honneur de mener la danse cette saison ! Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, veuillez accueillir sous un tonnerre d’applaudissements, Lise Morvan ! »

Au troisième rang des gradins, Emi sentit ses yeux s’illuminer. Cette jeune femme était exceptionnellement talentueuse et, même si la jeune fille ne souhaitait pas devenir chorégraphe mais danseuse, elle trouvait son parcours encourageant et impressionnant. Mlle Morvan avait, à la seule force de sa volonté, réussi à se faire une place importante dans ce monde essentiellement masculin.

La lycéenne contempla avec adoration la frêle silhouette qui gravissait les marches menant à l’estrade. Les longs cheveux châtain de son idole voletaient délicatement autour d’elle tandis que ses doux yeux bruns se promenaient tranquillement sur l’assemblée. Ces derniers étaient mis en valeur par des cils interminables, sombres et fournis. Son visage était lisse et sans imperfection, sa bouche pulpeuse était couverte d’un charmant rouge à lèvres rosé, et à ses oreilles pendaient des créoles dorées, ornées de petits pompons. Sa robe était claire mais pas blanche, si bien qu’elle n'apparaissait pas maladive, le risque lorsque, comme elle, on avait une peau si pâle. Au contraire, la jeune prodige avait bien choisi car la couleur de sa tenue réhaussait celle de son rouge à lèvres et illuminait son teint. Enfin, ses petits pieds étaient enveloppés par de délicats escarpins en daim marron, ultime preuve du bon goût de la nouvelle chorégraphe.

Lorsque la jeune femme prit la parole, Emi ne put s'empêcher de sentir sa gorge se serrer. La voix rocailleuse qui prononçait le discours était profonde, chaleureuse et profondément rassurante. Et, en plus d’être une excellente oratrice, ce que disait la nouvelle venue était profondément juste et positif. En quelques mots, elle avait conquis son auditoire et rassuré les plus anxieux des élèves. La jeune fille continua à la détailler.

Soudain, Emilie se redressa, les épaules crispées. Son voisin avait émis un petit ricanement de mépris devant son émerveillement qu’il jugeait puéril. Emi se retint de lui jeter une remarque bien sentie, premièrement parce qu’elle était bien élevée, mais aussi parce que la dernière fois qu’elle s’était disputée pendant un discours, elle avait été humiliée. Elle ne se tourna pas vers lui, ne lui jeta même pas un regard.

Si lui n’avait pas évolué et appris de ses erreurs la dernière fois, c’était son problème. Pour sa part, Emi en était sortie grandie et n’avait plus l’intention de laisser son caractère quelque peu tempétueux lui attirer les foudres du personnel enseignant. Que cette espèce de larve sous-évoluée continue de se comporter comme un gamin, elle ne rentrerait plus dans son jeu.

Les pensées de cette “larve” étaient tout aussi dédaigneuses à l’égard de sa jeune voisine. Adrien avait été complètement révolté, lorsqu’on l’avait barbarement obligé à s’asseoir entre les deux représentantes les plus abjectes de l’espèce humaine - dans un souci d’intégration de la minorité masculine, le conseil de direction avait jugé bon d’imposer une alternance fille-garçon, dans la mesure du possible, lors de discours officiels. C’est ainsi qu’Adrien avait vu s’installer autour de lui, d’un côté, une sangsue rose fluo qui refusait de lui lâcher le bras et, de l’autre, évidemment, il avait fallu que ce soit cette… Inutile de perdre son temps en qualificatifs qui, de toute manière, ne parviendraient jamais à rendre compte de l’horreur que lui inspirait cette personne, dont le regard ébloui refusait de quitter la scène.

Qui dévorait-elle ainsi du regard ? Mlle Morvan. Le jeune homme frémit. Si Emi avait connu, comme lui, le vrai visage de la chorégraphe, elle n’aurait sans doute pas été aussi enthousiaste… Enfin, aucun risque qu’elle le découvre un jour, se dit Adrien, cette gamine insupportable ne sera certainement pas sélectionnée pour le spectacle de Noël.

Le danseur lança un regard mauvais à sa voisine. Si elle comptait l’agacer avec son petit minois tout lisse, son nez d’enfant et ses lèvres roses… ses lèvres obstinément pincées, qui refusaient résolument de lui adresser la parole… c’était plutôt réussi ; Adrien avait rarement été aussi horripilé par une personne qu’il venait de rencontrer. Il arracha son regard de la bouche d’Emi, mais l’image de son visage resta encore quelques instants imprimée dans son esprit. Quelle vision d’horreur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Yoratou ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0