chapitre 22

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Shawn aimerait lui révéler la vérité, mais cela serait trop dur à encaisser pour sa mère. Shawn se sent donc contraint d’inventer une histoire et ça lui fait mal au cœur lorsqu’il se rend compte que sa mère croit en sa version des faits. Ce n’est pas en commençant à lui mentir qu’il va réussir à créer une relation sur des bases solides. C’est juste qu’il ne voie pas d’autres solutions. Nathalie lui pose quelques questions et son fils trouve toujours une bonne réponse à lui apporter. Elle le quitte un moment pour se rendre dans la cuisine.

- Je reviens tout de suite, je crois que j’ai besoin d’un remontant.

- Vous n’allez pas chercher une autre arme, j’espère ! plaisante Shawn.

- Non, pas cette fois dit Nathalie, en souriant.

Une fois seul, Shawn se demande s’il agit de la bonne manière ou s’il existe une meilleure façon de gérer la situation. Ce qu’il est sûr, c’est qu’il refuse de lui apporter plus de problème. Il ne doit rien lui révéler sur ses pouvoirs. Il a pris cette décision au moment où sa mère l’a menacé avec une arme. Il a vu tellement de tristesse dans ses yeux qu’il a compris qu’il ne pouvait rien lui avouer. Cela ne ferait que la détruire à petit feu alors qu’elle a fait tant d’efforts pour sortir de cet enfer. Il ne veut surtout pas qu’elle le voit comme un monstre ou une aberration.

Elle a tout fait pour oublier ce qu’elle a vécu et pour se persuader que l’histoire sur Satan n’était que divagation. C’est pour cette raison qu’il a préféré improviser, même s’il n’est pas fier de lui. Il aurait préféré tout lui dire, partager son lourd secret, son don ou sa malédiction. Pour lui, rien ne serait plus beau que de pouvoir tout lui raconter : ses peurs, ses colères, ses doutes, ses rêves et ses passions. Shawn aimerait n’avoir aucun secret. Pouvoir rattraper le temps perdu. Mais il sait que l’on ne peut pas toujours faire ce que l’on souhaite et que dans la vie, c’est même souvent le contraire. Il doit la protéger, ne pas lui faire courir de risques. Moins elle en sait, mieux ce sera, tant pis si c’est lui qui en souffre. Il commence à avoir l’habitude d’endosser un tel rôle. Il doit se montrer fort émotionnellement et être capable de tout encaisser. Il n’a pas le droit d’imploser.

Nathalie revient avec entre les mains une bouteille de vin et deux verres. Elle dépose le tout sur la table et sert un verre rempli à Shawn qui accepte volontiers. Cela fait beaucoup d’émotions pour une soirée et l’alcool va l’aider à se détendre. Nathalie passe au tutoiement, voulant être plus proche de son fils.

- Quand je pense que l’on a vécu toutes ces années dans la même ville. C’est juste incroyable.

- C’est peut être le destin qui a voulu cela.

- Je n’ai jamais cru au destin.

- Moi, non plus dit Shawn, en souriant, amusé.

- J’ai tellement envie de tout savoir sur toi. De rattraper le temps perdu.

- Moi aussi, sur vous et votre famille.

Nathalie allait répondre mais soudain des larmes coulent le long de ses yeux. La mère de famille laisse le torrent d’émotions la submerger. Lorsqu’elle reprend la parole sa voix est toute tremblante.

- Je n’ai jamais voulu t’abandonner. C’était trop de pression, surtout après tout ce que j’avais vécu. Je ne voyais pas d’issue alors j’ai agi de manière égoïste. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je m’en veuille pour ce que je t’ai fait.

- Vous avez fait ce que vous croyiez être le mieux dans une situation loin d’être facile.

- Est ce qu’un jour tu me pardonneras ?

- Si ce n’était pas le cas, je ne serai pas là lui répond Shawn, avec un petit sourire encourageant.

- Cela ne t’a jamais semblé bizarre de porter un nom américain alors que tu es français.

- J’avoue que si. On s’est souvent moqué de moi à l’orphelinat.

- Je suis désolé pour ça dit Nathalie, en faisant la moue

- Oubliez, ce n’est pas grave. Par contre, j’ai une question qui me trotte dans la tête depuis toujours

- Je t’écoute

- Pourquoi avoir choisi ce prénom ? Pas que je ne l’aime pas, mais j’ai toujours voulu savoir.

- Oui, c’est vrai que tu as dû te poser la question. En fait quand j’étais petite, mon père m’a offert un chien. Je n’arrivais pas à me décider pour un prénom alors c’est mon père qui a choisi. Il adorait les vieux films américains et un de ses acteurs préféré s’appelait Shawn quelque chose. Alors pour le chien c’est devenu Shawny. C’était mon protecteur, quand j’avais peur il le sentait toujours et il était là pour me protéger. Je me suis dis que ce prénom pourrait te protéger, comme le chien l’avait fait pour moi.

C’est au tour de Shawn de sentir l’émotion l’envahir. Il ne pensait pas être du genre à craquer si facilement, mais là ça en est trop pour lui. Il laisse les larmes couler le long de ses joues. C’est rare qu’il se mette à pleurer. Pas parce qu’il pense que c’est un acte de faiblesse, mais même dans les moments d’intense tristesse, il a du mal à se laisser aller. C’est comme s’il y’avait un blocage en lui mais pas cette fois. Il ne peut pas se retenir devant sa mère et il doit avouer que cela lui fait un bien fou. Il ne se sent pas honteux.

- Merci ! Je ne pensais pas que mon prénom avait un tel sens. Je l’aime d’autant plus !

Devant un tel spectacle, Nathalie hésite quelques secondes. Ne sachant pas comment s’y prendre avant de finalement se lever et de se blottir dans les bras de son fils, souhaitant le réconforter. Shawn se serre contre elle également, trop heureux de ce contact. Il se sent si bien, en paix avec lui-même, plus léger qu’il ne l’a jamais été. Il vient de réaliser le rêve de sa vie. Il a imaginé ce moment tellement de fois, qu’il ne croyait plus que cela puisse se réaliser. C’est un jour qui restera à jamais graver dans sa mémoire.

- Merci à toi d’être venu. C’est le plus beau cadeau que l’on pouvait me faire. Je pensais ne jamais te revoir.

- Je suis convaincu que tout est toujours possible dans la vie.

- J’avais peur d’aller à l’orphelinat et de demander de tes nouvelles. Je sais que tu as traversé des épreuves difficiles et que tu as dû me détester.

- Tout ça appartient au passé. Le plus important c’est que nous avons pu nous retrouver. Ça n’a pas de prix.

Nathalie lâche à regret l’étreinte de son fils et pose sur la table un album photo.

- J’ai toujours gardé une photo de toi. C’est la seule que j’ai, c’était à la maternité dit elle avant de lui montrer.

On peut y voir sa mère, les traits tirés et le teint pâle suite à l’accouchement avec dans ses bras un minuscule bébé. Shawn n’arrive pas à croire qu’il s’agisse de lui. Sur la photo, Nathalie semble heureuse de pouvoir serrer son fils contre elle, en sécurité, loin du trouble qu’elle a vécu.

- Cette photo ne m’a jamais quitté.

- Elle est vraiment très belle dit Shawn, d’une voix étranglée par l’émotion.

Le jeune noir n’avait jamais vu de photo de lui quand il était bébé et encore moins avec sa mère. Ce qu’il a toujours aimé avec la photographie, c’est qu’elle permet de capter un moment et qu’il est impossible de mentir. Les photos montrent les véritables émotions des personnes. Et sur cette photo, il peut voir l’amour que sa mère avait pour lui. Elle ne le considérait pas comme un monstre, comme une aberration. C’est son amour, son petit trésor.

- Elle est pour toi dit Nathalie.

- Non, c’est beaucoup trop. Je ne peux pas accepter.

Nathalie sourit, tout en secouant négativement la tête, pour lui faire comprendre que sa décision est prise et qu’elle ne reviendra pas dessus. Il comprend d’où lui vient son côté buté, cela le fait sourire intérieurement.

- Je serai très heureuse de savoir qu’elle est entre tes mains. Afin que tu ne m’oublies jamais et que tu saches que je t’aime.

- Je n’ai pas besoin de ça pour le savoir. Je le sais au fond de mon cœur et c’est le plus important.

Shawn range la photo dans la poche intérieure de sa veste, près de son cœur. C’est comme si à travers la photo, sa mère lui réchauffait le cœur. C’est une sensation unique et douce. Il ne se sent plus seul et il sait qu’il ne le sera plus jamais car sa mère ne le rejettera jamais.

Nathalie se mord la lèvre, tout d’un coup nerveuse, comme si elle craignait de tout gâcher en parlant d’un sujet en particulier. Shawn s’en rend compte, partageant le même trait de caractère. Il n’arrive jamais à garder les choses enfouies en lui. Quand il doit dire quelque chose à quelqu’un, il se lance, sauf avec Sarah. Il a trop peur de la perdre ou de lui faire peur en lui disant tout ce qu’il ressent pour elle.

- Est ce que Diezel t’a parlé d’un sujet particulier ou sur d’autres femmes qui auraient été en contact avec moi pendant une période.

- Oui, il m’en a parlé.

Shawn sait qu’il entre sur un terrain très épineux et qu’il doit redoubler de prudence sur ce qu’il s’apprête à dire. Le teint de sa mère redevient pâle.

- Il m’a parlé de l’usine où vous aviez toutes été enfermées.

- Il t’a dit pourquoi on s’est retrouvé las bas ? demande Nathalie, d’une voix tremblante.

Shawn sent que le fait d’aborder ce sujet demande un gros effort à sa mère. Mais elle a besoin de savoir, même si cela lui en coûte.

- Oui, il pensait que vous alliez enfanter le fils de Satan.

- Je sais que cela totalement ridicule mais est ce que tu t’es senti un jour … diffèrent ? demande Nathalie, en insistant bien sur le dernier mot.

- J’ai toujours cru qu’il était complètement malade quand il m’en parlait. Il m’a fait pas mal de test et il est arrivé à l’évidence qu’il s’était trompé. Je n’ai rien de satanique. Il a fini par s’en convaincre. Le groupe qui en avait après vous n’existe plus, il a été dissolu. Ma vie est tout ce qu’il y’a de plus ordinaire. J’étudie à la fac, j’ai des amis et je suis amoureux. Tout ce qu’il y’a de plus normal.

- C’est vrai, ce n’était donc pas réel souffle Nathalie, soulagée, la voix étranglée par un sanglot.

- Vous pouvez dormir tranquille. C’est un cauchemar qui ne s’est pas réalisé.

Shawn pense que s’il lui avait tout révélé, elle aurait été compréhensible et l’aurait aidé. Mais il en est hors de question et il veut paraître normal à ses yeux. Elle ne mérite pas la replonger dans l’enfer qu’elle a réussi à quitter. C’est un fardeau qu’il doit porter seul sur ses épaules. Il préfère souffrir en silence plutôt que de l’entrainer à nouveau dans l’horreur.

- Que comptes-tu faire maintenant ? Je parlerai à mon mari, c’est un homme merveilleux. Il sera compréhensif et nous pourrons former une famille unie. Nous avons tellement de choses à rattraper.

Shawn reste silencieux pendant un moment, l’émotion l’empêche de s’exprimer avant de se reprendre et de répondre :

- J’ai tellement rêvé de ce moment. J’ai toujours espéré entendre ces mots.

- Ta place est près de moi. Comme tu l’as dis, tout est toujours possible quand on s’en donne les moyens.

Shawn n’arrive pas à croire ce qu’il s’apprête à faire, cela lui arrache le cœur mais il n’a pas le choix. Il prend sur lui, sachant qu’il va décevoir sa mère, avant de dire :

- J’ai le cœur qui saigne de devoir refuser… pour le moment s’empresse d’ajouter Shawn.

- Je comprends, tu n’es pas encore prêt dit Nathalie, déçue mais compréhensive.

- Je suis prêt depuis toujours. Mais je dois d’abord finir mon année à la fac de Chicago. Tout régler de mon coté et ensuite vous rejoindre, si vous voulez toujours de moi. Et de votre côté, vous aurez tout le temps nécessaire pour préparer mon retour. Je reviendrai en Juillet promet Shawn.

- Je vois que tu es une personne raisonnable et censée. Tes grands parents seraient fiers. J’en suis heureuse. Ces mois sans toi vont être très difficiles. Mais tu as raison, c’est la meilleure chose à faire. Ne nous précipitons pas. Nous aurons tout notre temps après.

Quand Shawn a mentionné le fait de régler les choses de son côté. Il veut surtout parler de cette maudite prophétie et de ses ennemis jurés. Maintenant, il est décidé à y mettre un terme et il a jusqu’au mois de juillet pour en finir. Il se force à ne pas penser de ce qui adviendra de sa relation avec Sarah. Il a encore plusieurs mois devant lui pour y réfléchir.

- Quand est ce que tu repars ?

- Demain malheureusement. J’ai des cours qui m’attendent et j’ai pris pas mal de retards.

- Déjà ! Je pensais que nous aurions un peu de temps devant nous dit Nathalie, ne s’attendant pas à cette nouvelle.

- Nous nous rattraperons à mon retour.

Nathalie se résigne et acquiesce en souriant du mieux qu’elle le peut. Son mascara noir coule sur son visage. Shawn lève sa main droite et la passe délicatement sur la joue gauche de sa mère pour effacer les traces de maquillage.

- J’ai hâte de commencer cette nouvelle vie dit-il.

- Moi aussi, tu n’as pas idée. C’est juste fou. Qui aurait cru qu’un tel jour arriverait. Et dire que j’ai menacé mon propre fils avec une arme ! pouffe Nathalie, n’en revenant pas.

- Oui, je l’ai échappé belle rit Shawn, faussement soulagé.

Shawn aimerait tant pouvoir parler toute la soirée avec sa mère. Il a tellement de sujet dont il aimerait s’entretenir avec elle. C’est surtout le fait d’être près d’elle qui lui donne terriblement envie. Il voudrait que ce moment ne s’achève jamais. Mais il sait mieux que personne que tout à une fin. Plus il attend, plus il sera difficile de la quitter. Sarah l’attend dehors et le mari de sa mère ne va pas tarder à rentrer. Ce n’est pas la meilleure des façons de faire sa connaissance.

- Est ce que nous pourrons au moins rester en contact ? demande Nathalie, qui sent que cette rencontre touche à sa fin.

- Bien sûr, quelle question ! s’exclame Shawn avant d’écrire son numéro de téléphone et son adresse mail.

Nathalie fait de même de son coté et ils s’échangent leurs coordonnées qu’ils gardent précieusement dans leurs mains. Il s’agit pour eux du plus grand trésor de tout les temps.

- Je dois y aller dit Shawn, à contrecœur.

- Je sais dit Nathalie, en faisant la moue.

Il leur faut prés de cinq minutes avant qu’ils ne trouvent la force de se quitter. Nathalie le raccompagne à la porte et regarde son fils dans les yeux, voulant graver ce moment à jamais.

- Est ce qu’un jour, tu me pardonneras pour ce que je t’ai fait enduré ? Je sais que c’est ma punition pour t’avoir abandonné. Mais j’ai besoin de savoir si j’ai une chance de me racheter auprès de toi.

- Il n’y a rien à pardonner, rien à racheter. tu t’es sacrifié pour moi. Pour ma sécurité ! Je t’aime et je ne cesserai jamais de t’aimer.

- Oh Shawny ! s’exclame Nathalie, avant de se jeter dans les bras de son fils.

Shawn ferme les yeux et respire le doux parfum de sa mère, ne voulant jamais l’oublier. Il espère qu’il sortira en un seul morceau de la guerre qu’il s’apprête à mener et qu’il pourra mener une nouvelle vie auprès de sa famille. La vie qu’il a toujours rêvée et méritée. Il aimerait tout abandonner et vivre avec eux dés à présent. Mais il sait que c’est impossible, son passé finirait toujours par le rattraper. Comme Cheyenne lui a dit un jour, il doit faire face à ses peurs et les embrasser. Ce n’est qu’ainsi qu’il se sentira enfin libre.

Il se détache lentement de l’étreinte de sa mère et lui sourit avant de prendre congé sans rien ajouter, le cœur léger. Sa mère le regarde une dernière fois avant de refermer doucement la porte d’entrée. Shawn descend avance dans l’allée et se fond dans l’obscurité. Il entend du bruit derrière la porte, il sait qu’il s’agit de sa mère qui s’est effondrée en sanglot. Elle a été très courageuse. Elle a attendu qu’il soit parti pour laisser ses émotions prendre le dessus. Ses jambes commençaient déjà à trembler avant qu’il ne s’en aille. Shawn se sent terriblement responsable mais il sait que ce n’est qu’un mauvais moment à passer et que sa mère en sortira grandie.

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