chapitre 21

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Sarah reste scotchée sur place, ne s’attendant pas à une réaction aussi vive de la part de son camarade. Elle ne lui aurait rien reproché s’il ne l’avait pas respecté. C’était pour le pousser, le motiver mais elle sait que ce n’est pas le genre de décision que l’on doit prendre à la légère.

Elle se dépêche de prendre ses affaires, sans oublier la deuxième bouteille qu’elle a « durement » gagnée. Son intuition lui dit qu’ils vont avoir besoin d’alcool après la rencontre, qui s’annonce forte en émotion. Sarah est obligée d’accélérer le pas pour rattraper son ami, qui semble décidé, mue par une force inconnue. Mais ce n’est pas elle qui lui dira de changer ses plans. Elle est décidée à le suivre dans tout ce qu’il compte entreprendre et à lui apporter tout le soutien possible.

Ils prennent le métro en direction de la demeure de la mère de Shawn, restant silencieux. Shawn semble enfermer dans une bulle impénétrable et Sarah ne veut pas le perturber dans sa concentration. Sarah est heureuse de ne pas devoir vivre une telle situation. L’américaine sait pertinemment qu’elle ne serait pas aussi courageuse que son camarade. C’est dans ce genre de situation que les personnes se rendent compte qu’elles se plaignent continuellement pour des broutilles, alors que comparé à d’autres, elles ne sont pas si mal loties.

A la sortie du métro, ils marchent en direction de l’habitation en question. Ils avancent en silence tandis que Shawn réfléchit à ce qu’il s’apprête à faire. Comme d’habitude, il a agi sur un coup de tête lorsque Sarah lui a proposé le petit défi. Mais il ne regrette rien, c’est son amie qui avait raison depuis le début. Il a trop attendu et si Sarah ne l’avait pas accompagnée dans ce périple, il n’aurait sans doute jamais franchi le pas. Mais maintenant il est trop tard pour faire machine arrière, il compte bien aller jusqu’au bout, rien ne l’arrêtera. Tout ce qu’il espère, c’est que Nathalie ne va pas le rejeter. Il ne s’en remettrait pas, ce serait trop dur à encaisser.

Lorsqu’ils arrivent en vue de l’habitation, il met ses idées noires dans un coin de son cerveau. Ils s’arrêtent tous les deux devant la maison, savourant ce dernier moment avant l’instant tant attendu. Le cœur de Shawn bat la chamade, il se tourne vers Sarah, manquant cruellement d’assurance. Cette dernière ébauche un large sourire confiant. Ce sourire apporte un véritable baume au cœur du jeune français. Il se sent en paix, plus serein. Avec Sarah auprès de lui, il pourrait franchir des montagnes, abattre des murs, rien ne lui semble impossible. Sarah est sa muse, la seule et l’unique.

Lorsqu’il était lycéen, un camarade lui avait dit que c’est important dans la vie d’avoir une personne proche de soi, que l’on considère comme une muse. Avec qui on se sent vraiment soi et qui donne un sens à notre existence. Cette personne nous permet d’avancer et d’affronter les nombreuses difficultés de la vie. Shawn avait toujours pensé que son camarade avait tort, qu’il ne faut compter que sur soi pour s’en sortir. Que la vie est déjà assez difficile, sans ajouter des souffrances inutiles en se faisant des illusions sur les autres. Il ne faut compter sur personne pour se sortir des ténèbres, nous sommes les seuls à avoir les clefs en main. C’est ce qu’il se disait souvent avant. Sa petite philosophie de comptoir. Mais plus maintenant, plus depuis qu’il a fait la connaissance de Sarah.

- je crois que c’est inutile de te demander si tu vas bien ? demande Sarah

- Oui c’est clair !

- Tu veux que je vienne avec toi ?

Shawn hésite quelques instants, évaluant le pour et le contre. Ce serait un véritable réconfort de l’avoir à ses côtés dans une telle épreuve. Mais il finit tout de même par secouer négativement de la tête. Il s’agit d’une situation qu’il doit affronter seul sinon il s’en voudra toute sa vie. Il doit se montrer fort, s’il veut devenir un homme. Il se rend compte qu’il est temps d’arrêter de déprimer, de pleurer dans son coin ou de se cacher derrière les autres. Il est temps de prendre ses responsabilités et d’accepter sa vie. Il a vécu trop longtemps dans la peur et ne s’est pas toujours donné les moyens d’obtenir ce qu’il veut. La vie est trop courte pour avoir continuellement des regrets. Ce soir, ce ne sera pas le cas. Ce soir tout sera dit !

- Je dois faire ça par moi-même.

- Je sais. Je t’attendrai en face dit Sarah, en désignant l’arrêt de bus.

Shawn se contente d’hocher la tête avant de lui faire un petit clin d’œil complice. Il ne veut pas qu’elle s’inquiète mais plutôt lui faire croire qu’il contrôle la situation, alors que c’est totalement l’inverse. Shawn regarde son amie s’en aller et se sent abandonné, impuissant, mais ce n’est pas ce qui l’arrêtera. Il prend une bonne inspiration avant de faire un pas devant l’autre et d’avancer lentement vers la maison.

En arrivant devant la porte d’entrée, il ne réfléchit pas et s’empresse de frapper trois coups sur la porte en bois massif. Le jeune homme attend, la respiration coupée. Ses jambes tremblent sans qu’il ne puisse rien y faire et de la sueur coule le long de son dos. Shawn tente de contenir son stress, voulant paraitre au meilleur de sa forme devant sa mère. Lorsque la porte s’ouvre, il tombe nez à nez avec sa demi-sœur : Camille. Cette dernière le reconnaît tout de suite et ébauche un large sourire auquel répond le jeune noir.

Shawn entend des bruits de pas qui viennent dans leur direction. Sa mère apparaît dans l’embrasure de la porte. Shawn déglutie avec peine et a du mal à respirer. Nathalie se tourne vers sa fille et lui dit :

- Camille, je te l’ai déjà dit. Tu ne dois pas ouvrir la porte à n’importe qui.

- Mais ce n’est pas n’importe qui. C’est le monsieur qui m’a retrouvé Teddy dit Camille, en parlant de sa peluche.

- Remonte dans ta chambre !

Nathalie se tourne vers Shawn et plisse les sourcils, reconnaissant son visage mais ne sachant pas où elle l’a vu. Elle pousse Camille à l’intérieur de la maison. La petite fille fait la moue, mais obéit à sa mère.

Une fois seuls, Shawn et Nathalie se regardent en silence pendant un instant qui semble durer une éternité pour le jeune homme.

- Je suis sûr que je vous connais, mais je n’arrive pas à savoir où ?

- C’était hier matin dans votre boutique.

- Oui, je me souviens. Vous n’êtes d’ailleurs pas venu chercher votre bouquet aujourd’hui.

- Je sais. J’ai été pas mal occupé.

- Mais que faites vous ici ? demande Nathalie, sur la défensive en fronçant les sourcils.

La mère de famille n’aime pas la tournure des choses et commence à se poser des questions. Elle se demande comment il a trouvé son adresse et surtout ce qu’il fait ici. Jusqu’à hier, c’était un parfait inconnu et maintenant il la harcèle et connait sa famille. Tout cela n’augure rien de bon. En l’observant, Nathalie sait que le jeune intrus attend quelque chose d’elle. Mais elle n’a aucune idée de ce que cela pourrait être. Elle se place devant la porte. Tenant fermement d’une main la poignée, prête à la fermer violemment au nez de son agresseur. Nathalie se demande si le passé ne l’a pas finalement rattrapé.

- Je vous ai menti. Le bouquet n’était pas pour ma mère.

- Pourquoi vous me dites ça ? Qu’est-ce que vous faites chez moi ? demande Nathalie, sur un ton agressif

Shawn lève les mains en l’air pour lui faire comprendre qu’elle n’a rien à craindre de sa part.

- Je pense que si je vous dis qui je suis, ça va peut-être vous éclairer. Par contre, ça va vous faire un vrai choc et je m’en excuse d’avance. Mon nom est Weaver, Shawn Weaver.

Nathalie pousse un hoquet de stupeur, les yeux et la bouche grands ouverts. Elle n’en revient pas. Sous le choc, aucun son ne sort de sa bouche. Nathalie commence à se sentir mal, à avoir des bouffés de chaleur et à être prise de vertige.

Shawn remarque que sa mère n’est pas au meilleur de sa forme et que sa révélation lui a porté un sacré coup. Il s’en veut de ne pas avoir pris d’avantage de pincettes. C’est seulement maintenant qu’il a un aperçu de sa bêtise. Il aurait dû prendre le temps et amener les choses avec plus de tact, même si ça n’a jamais été sa spécialité. Il s’est toujours considéré comme une personne sincère, franche et directe. Il n’aime pas réfléchir une heure sur la manière de dire quelque chose à quelqu’un.

Le jeune étudiant grimace en voyant que le visage de sa mère prend une teinte pâle. Il se demande avec horreur, si elle ne va pas perdre connaissance et tomber dans ses bras. Mais il suffit qu’il regarde ces yeux pour savoir que cela n’arrivera pas. C’est comme s’il pouvait voir une puissance nouvelle brûler dans son regard, une force qu’il ne connait que très bien. Comme le dit si bien le proverbe : « le fruit ne tombe pas très loin de l’arbre ». Il découvre avec plaisir un premier point commun avec sa mère. Shawn a l’impression de se retrouver en face de la Nathalie qui vient de se sauver du C.A.S.

- J’ai l’impression que vous avez besoin de vous asseoir.

- Et surtout d’un remontant ! Suivez-moi.

Shawn suit sa mère à l’intérieur de l’habitation. A peine a t’il fait quelques pas à l’intérieur qu’il se sent tout de suite à l’aise. La chaleur qui se dégage du foyer lui apporte du baume au cœur. Il a l’impression de pouvoir ressentir tout l’amour que les membres de cette famille se transmettent entre eux. C’est très agréable. Mais en même temps, il ressent une boule au fond de sa gorge. L’orphelin aimerait faire partie de cette famille et recevoir tout l’amour dont il a cruellement manqué durant toutes ces années.

Shawn continue à suivre sa mère, tout en découvrant l’intérieur du chaleureux logis. Le jeune homme aime beaucoup le style de la maison et la décoration qui y a été apporté. Un escalier en chêne mène aux différentes chambres à coucher. Près de l’entrée, on peut découvrir du mobilier en bois ancien composé d’une commode et d’une pendule. En continuant sur la droite se trouve une cuisine aménagée et un grand salon. Shawn ne fait pas l’inventaire des objets mais il peut dire sans l’ombre d’un doute que cette famille n’a aucun problème d’argent.

Nathalie le guide jusque dans un jardin en passant par une petite porte dans la cuisine. Malgré l’heure tardive, il fait assez doux à l’extérieur et le vent ne souffle pas. Shawn envoie une pensée chaleureuse à Sarah. Elle n’en aura jamais conscience mais ce n’est pas ce qui l’empêchera de penser à elle.

Sa mère sort de son cabanon de rangement deux chaises et une table en plastique qu’elle dispose dans le jardin. Elle l’utilise parfois pour déjeuner avec sa famille lorsque le climat se montre clément.

- Je vous en prie, asseyez-vous, je reviens tout de suite !

Shawn la remercie tout en la regardant retourner vers la cuisine. Ensuite, il la perd de vue mais le jeune homme ne s’affole pas pour autant. Il essaye d’effacer toutes les idées noires qui lui disent que sa mère va prendre la fuite et qu’il ne la reverra jamais. Shawn a décidé d’avoir confiance et de croire que sa vie va enfin prendre un nouveau tournant. Son cœur est empli d’espoir et il doit avouer que c’est agréable de ne pas tout voir continuellement en noir. Un peu de soleil dans sa vie ne lui ferait pas de mal. Il en a tellement besoin et sans fausse modestie, il pense l’avoir mérité.

Il respire une bonne bouffé d’air et regarde l’aménagement du jardin. L’espace est assez large et l’herbe est très bien taillée. Le jeune français s’imagine sans problème vivre ici. Il se voit passer le dimanche matin à tailler la pelouse avant de partager un barbecue en famille. Cela lui fait bizarre de penser à « sa famille ». Il l’a enfin retrouvé, lui qui ne croyait plus ce jour possible. C’est tellement irréel dans un sens.

Le jeune homme reste en admiration devant les plantations de différentes magnifiques fleurs. Ces dernières sont bien entretenues et l’harmonie des couleurs est magnifiquement trouvée. Shawn est perdu dans la contemplation de tous ces trésors, jusqu’au moment où il entend un cliquetis qu’il commence à bien connaitre. Il se retourne lentement pour découvrir avec surprise que son agresseur n’est autre que sa propre mère. Elle affiche un regard dur et méprisant, ne ressemblant plus du tout à la personne joviale que Shawn a découvert.

Le jeune homme n’ose pas bouger, choqué que sa mère puisse le menacer d’une arme. Il ne comprend pas comment la situation a pu dégénérer ainsi. Il déglutie avec peine, les yeux grands ouverts et reste immobile, ne voulant pas lui donner la moindre raison d’ouvrir le feu. Même s’il sait qu’il ne risque rien avec le pouvoir dont il dispose, mais ce n’est pas une raison pour jouer les casse-cous. Il veut gagner sa confiance et utiliser son pouvoir n’est pas la meilleure des solutions.

- Je peux savoir ce que vous faites ?

- Vous avez eu le culot de venir ici et surtout de prononcer ce nom. Comment osez-vous ! Vous êtes seul ? En éclairage ? Une équipe attend dehors ? Je veux des réponses ? ordonne Nathalie, d’une voix menaçante.

- Vous n’y êtes pas du tout, mais alors pas du tout ! Calmez-vous, s’il vous plait.

- La ferme ! Je sais que vous travaillez pour eux. J’espère qu’ils vous payent grassement. Ils ont été malins de choisir une personne de votre âge. J’aurai presque pu tomber dans le panneau. Vous êtes doué dans votre genre.

- Je ne sais pas de quoi vous parlez ! ment Shawn, qui sait très bien que sa mère parle du C.A.S.

- Vous me prenez vraiment pour une imbécile. Je pensais que j’avais été prudente, que l’on ne me retrouverait pas. Je ne retournerai jamais dans ce centre. J’ai une vie, une famille et personne ne me l’enlèvera dit Nathalie, les larmes aux yeux et les mains tremblantes sous le coup de l’émotion.

- Personne ne vous enlèvera ce que vous avez bâti, je vous le promets.

- J’ai arrêté de croire les promesses des autres depuis longtemps.

- J’ai une preuve de ce que j’avance.

- Vraiment ! Je serai curieuse de savoir ce que vous avez pu inventé de si brillant !

- Juste la vérité.

Shawn lève sa main droite très lentement et la glisse délicatement dans la poche de son manteau. Il dépose sur la table ses deux objets les plus chers, c’est-à-dire la bague et le médaillon que Nathalie avait glissé dans son berceau. Il a l’impression que sa mère va tourner de l’œil. Le jeune étudiant voit que sa mère est parcourue de tremblements suite au choc de cette découverte. Elle finit par abaisser son arme tandis que des larmes coulent le long de ses joues.

- Comment est-ce possible ? s’exclame Nathalie, d’une voix enrouée sous le coup de l’émotion.

- C’est grâce au docteur Myrick, que vous connaissiez sous le nom de Diezel ajoute Shawn, en voyant que sa mère ne fait pas le rapprochement.

En entendant ce nom qui semble sortir de ses pires cauchemars, Nathalie commence à se sentir prise de panique. Cet homme l’a profondément traumatisé. Elle repense à sa captivité, revoyant dans sa tête le sourire de ce psychopathe qui n’a pas arrêté de la manipuler. Elle a envie de vomir. Elle s’était pourtant promis de ne plus jamais y repenser, ayant enfouie ses souvenirs au plus profond de son esprit.

- C’est lui qui vous a amené à moi ? Il sait où je suis ? demande Nathalie, affolée.

- Il ne pourra plus vous nuire, ni à vous ni à quiconque. Il est mort maintenant répond Shawn, sur un ton serein.

- Je ne comprends plus rien soupire Nathalie, avant de s’affaisser dans une chaise.

- Il a été abattu un soir mais j’avais percé la vérité.

- J’aimerai bien en savoir plus à ton sujet dit Nathalie, se sentant tout d’un coup plus légère en apprenant qu’un de ses anciens tortionnaires est mort.

Shawn se lance dans un long monologue sur sa vie, sur ses années à l’orphelinat sans mentionner son passage en hôpital psychiatrique. Il n’a aucune envie de l’effrayer d’avantage. Il lui raconte son départ pour les Etats Unis afin de continuer ses études dans une faculté renommée. Comment il a fait la connaissance de Myrick, que c’est ce dernier qui lui a parlé de sa mère et qui lui a donné son adresse. Myrick aurait découvert sa demeure, mais aurait décidé de ne pas s’attaquer à elle, préférant garder un œil en attendant le bon moment.

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