Épopée: Chapitre XIII

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XIII. La ville des murmures:


Ils levèrent le camp en vitesse. Malgré la défaite qu'ils avaient infligé aux ombres, ils ne souhaitaient pas s'attarder plus longtemps. Enfin... plus que cela, c'était surtout l'appât du gain qui poussait Orm à s'activer. L'idée de profiter de bénéfices supplémentaires en pillant les restes de l'ancienne cité le mettait en joie.

— Vous vous rendez compte ? Son ton trahissait l'envie. Une ville marchande, rien que pour nous ! Je vois d'ici les richesses planquées dans chaque recoin...

Sol fronça les sourcils.

— Mais cela serait du pillage pur et simple ! Et je maintiens que nous ne devrions pas nous rendre là bas. Imaginez les horreurs qui peuvent nous y attendre !

— Ouais, firent les autres.

— Vous êtes complètement fous... Le mage secoua la tête et monta dans le Carrosse aux côtés d'Emilia.

— Ça aussi ça fait partie du boulot, dit Orm en les rejoignant.

Elio contesta :

— Excuse moi, mais la folie ne fait pas partie de mes attributs.

Le barbare lui décocha une œillade amusée.

— Oui. C'est sûr que s'imaginer des choses avec une princesse, c'est être sain d'esprit, fit-il, railleur.

— Une princesse ? Emilia avait les yeux brillants. Vous entretenez un amour interdit Sire Elio ? Comme cela doit être excitant !

— Ah pour ce qui est de l'exciter...

— Orm, je t'en prie ! Les joues du jeune homme se tintèrent de rouge.

Anton se frappa le front du plat de la main.

— Je me disais aussi que tu regardais Élyse bizarrement ! S'écria-t-il.

— La princesse Élyse Perce-neige ! Emilia était au bord de l'hystérie.

— Oh mes Dieux, lâcha Jambar en levant ses yeux gris vers le ciel...

Le Carrosse roula encore deux bonnes heures. Le désert de poussière s'étendait toujours devant eux quand Sol demanda à Jambar de stopper le véhicule.

— Vous le sentez aussi maître ? Emilia écarquillait les yeux et semblait fixer un point précis juste en face d'eux.

— De la magie oui, répondit le géomancien. Mais c'est étrange, elle n'a pas la même essence que la malédiction des ombres. En tout cas, il s'agit d'un enchantement de masse immense. C'est impressionnant.

— On y va ? Orm s'impatientait.

— Tout de suite.

Jambar avança prudemment le Carrosse. Au bout de quelques mètres, l'avant du véhicule commença à disparaître comme avalé par une créature invisible. Le métal entrant au contact de la magie émettait un crépitement étrange. Ils allaient eux-même entrer dans le champ magique quand...

BONK

Suivit d'une légère secousse à l'avant.

— Zut, dit Jambar, on a heurté quelque chose. Une ruine d'habitation sans doute. Quelqu'un va voir ?

Orm était déjà descendu et marchait droit devant lui, hache à la main. Il prit sa respiration et fit un grand pas en avant. Ses compagnons le virent disparaître d'un coup. Une minute passa...

— Orm ? Fit Anton, inquiet. T'as trouvé quelque chose ?

Pas de réponse.

— Attendez ! Emilia pointa leur droite du doigt. Le voilà, il nous fait signe de venir.

Orm se trouvait en effet une centaine de mètres plus loin et faisait de grands gestes. Jambar manœuvra le Carrosse pour se mettre à la hauteur du barbare. Orm arborait un large sourire.

— C'est con, déclara-t-il, à quelques foulées près on était pile à l'entrée. Mais vous allez voir.

Le Carrosse s'engagea de nouveau au travers du charme d'invisibilité. Ce qu'ils virent leur coupa le souffle.

Une ville, immense. Ils se trouvaient sur ce qui avait dû être l'une des grandes artères de Pentapolis. Autour d'eux s'étendaient de larges bâtiments en briques rendues grises par le temps et la poussière. On devinait d'anciens comptoirs de commerce donnant sur la rue, chaque construction possédant plus de deux étages. L'alignement de chaque maisons démontrait un excellent travail de symétrie et bien que de nombreuses battisses se soient en partie effondrées sous le poids des siècles, on pouvait toujours apercevoir d'impressionnantes mosaïques sur chacune des façades. Certaines dépeignaient des scènes du quotidien ou bien le travail qu'exerçait le propriétaire de la maison. D'autres, en revanche, montraient d'étranges créatures volantes ou marines encadrées par des moulures de roses sculptées. D'épais remparts entouraient toute la ville, ils ne semblaient pas avoir subis de dégâts. La route continuait encore pendant plusieurs kilomètres vers le nord et s'élevait doucement pour atteindre le somment d'une colline au centre de la cité.

Là s'élevait un édifice monumental. Une immense ziggourat dominait toute la ville. Même d'aussi loin, on avait le sentiment d'être écrasé par sa taille irréelle.

— C'est... commença Elio.

— Prodigieux, termina Sol. Une civilisation incroyablement en avance sur son temps. Chaque construction témoigne d'un talent architectural et artistique fabuleux.

— C'est sans doute la plus importante découverte de notre temps maître. Emilia en avait les larmes aux yeux. Cette ville devait bien compter plusieurs centaines de milliers d'âmes.

— Et elles ont toutes été balayées depuis longtemps, fit la voix étouffée de Jambar, amère. Dirigeons nous vers le Haut Temple.

— L'énorme bâtiment droit devant ? Demanda Anton. Comment tu sais ça ?

— C'est ce qui est gravé sur cette borne là.

Jambar pointa un doigt vers un gros bloc de marbre. Sur l'une de ses faces, une flèche d'onyx incrustée pointait dans la direction de l'imposante structure. En dessous de la flèche étaient gravés d'étranges symboles formant des lignes, des spirales et des points.

— Vous savez lire le tragentopolien ? La question de Sol ricocha en écho sur les murs des maisons.

— Plutôt bien, répondit l'homme à la capuche. Quand nous reviendrons, je demanderais l'accès à la bibliothèque royale au roi Trodrïn pour votre guilde. Certains parchemins vous intéresseraient surement.

Le mage eut un sourire amical à l'adresse de Jambar.

— Merci, dit-il.

— Chut.

Anton avait posé un doigt sur ses lèvres et tendait l'oreille. Ils se turent.

Ils entendirent de petits sifflements. Comme un millier de brises soufflant à travers la ville. En étant plus attentif, cela ressemblait à une litanie. D'innombrables voix chantant à l'unisson dans une langue oubliée du monde.

Un air de profonde mélancolie parcourait les ruines.

— Quelqu'un ou quelque chose habite cet endroit. Mais nous ne sommes pas les bienvenues.

Elio était concentré à l'extrême, il détaillait chaque bruit, chaque pouce de terrain. Son métier de garde du corps lui avait appris à sentir quand quelque chose ne tournait pas rond. C'était trop calme.

— Où est passé Orm ?

Anton c'était retourné, aucune trace du colosse.

— Et merde ! Siffla Jambar entre ses dents. Il a dû sortir fouiller une maison pendant qu'on s'émerveillaient comme des idiots.

— Là, cria le chevalier.

Il montrait l'une des maisons les plus richement décorées, la porte était ouverte en grand.

— Restez ici, fit calmement Jambar. Je vais le chercher.

— Hors de question ! On t'accompagne.

— Non, protégez les mages et surveillez l'entrée. Je ne serais pas long.

Avant qu'ils ne puissent protester, Jambar s'était élancé vers la maison.

Orm montait un large escalier. Cette maison lui semblait l'endroit idéal pour commencer. Tous les autres baillaient aux corneilles de toute façon. Ils ne remarqueraient pas son absence qu'il serait déjà revenu.

— Tient, voilà que j'entends de la musique, dit-il tout haut.

En effet, une étrange musique lui parvenait depuis la pièce en haut de l'escalier. Lancinante, magnifiquement bien composée. Quelqu'un jouait de la cithare ! Et merveilleusement bien en plus.

Il pressa le pas.

Une fois arrivé en haut de l'escalier, il s'arrêta net. Il se trouvait dans une chambre luxueuse, décorée avec goût. En son centre trônait une immense pile du coussins brodés d'or et d'argent mais ce ne furent pas ces derniers qui intriguèrent le barbare.

Sur les coussins était assise une femme sublime. C'était elle qui jouait. Orm se dirigea à pas de loup dans sa direction. Il détailla sa taille fine, ses longues jambes nues langoureusement posées sur les coussins, sa peau foncée à peine couverte de soie bleue... L'exquise apparition arrêta sa musique, posa délicatement son instrument et se leva pour avancer lentement vers lui. Chacun de ses pas était semblable à une danse, ses hanches se balançant gracieusement. On eut dit que ses pieds ne touchaient pas le sol.

— Quelqu'un est enfin venu. Un sauveur ?

Sa voie cristalline fit frémir Orm de désir. Elle continua :

— Vous êtes mon sauveur ? Celui qui m'arrachera à la tyrannie de mes infâmes maîtresses et de cette ville maudite ?

Elle était désormais à quelques centimètres de lui. Le guerrier ne dit pas un mot. Elle s'agrippa à son cou et plongea ses grands yeux verts dans les siens.

— Vous êtes mon sauveur. Comment pourrais-je vous remercier ?

Il l'enlaça à son tour et remonta sa main droite pour caresser ses longs cheveux noirs. Elle approcha son visage, leurs lèvres se touchaient presque, un autre frémissement parcourut le colosse.

Il l'embrassa.

Jambar fit irruption dans la pièce du haut. Ce qu'il vit lui glaça le sang. De longs doigts se refermaient sur le dos de Orm. Il devina immédiatement ce qu'il se passait. Deux dagues apparurent dans ses main alors qu'il hurlait :

— Orm, non ! Éloigne toi tout de suite !

Il entendit soudain un horrible craquement.

— NON !

Jambar bondit en avant.

La femme tomba inanimée sur le sol, la nuque tordue dans un angle bizarre. Un filet de sang vert perlait au coin de sa jolie bouche.

— Désolé chérie, fit Orm en se retournant en ricanant, ça n'aurait jamais pu marcher entre nous.

Il remarqua Jambar qui se précipitait vers lui, lames tendues. Ce dernier s'arrêta net.

— Une succube, dit Orm simplement. Dommage, certaines sont inoffensives et d'une excellente compagnie... "Toujours vérifier si elle a pas des cornes." C'est ma devise avant de conclure.

Un bref coup d'œil à l'arrière du crâne du monstre servit à Jambar pour confirmer les dires de son compagnon.

— Bon, rien à prendre par ici. Au moins, ça me fera une autre bonne histoire à raconter...

Orm sortit en soupirant.

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