Épopée: Chapitre IX

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IX. Imprévus :


Effectivement, un homme se tenait debout juste en face du Carrosse. Il avait les cheveux grisonnants, des yeux vert profond et son visage buriné exprimait une extrême incompréhension. Il portait une longue tunique orange du côté droit et bleu nuit du côté gauche, elle était maculée de poussière, une sacoche en cuir usée pendait à son épaule. On pouvait distinguer une broche accrochée à son col, visiblement en or. Elle représentait un soleil et une lune entrelacés. Le soleil avait cinq rayons.

Jambar se crispa sur son siège, il détestait les imprévus.

— Bonjour, lança-t-il incisif. Nous ne savions pas que la Guilde du Clair-Obscur avait des affaires à traiter dans les Terres Bannies. À vrai dire nous ne nous attendions pas à y trouver âme qui vive.

— Bonjour messieurs, salua l'inconnu. Je me présente : Maître Sol, de la Guilde du Clair-Obscur comme vous l'avez judicieusement deviné.

« Il faut dire que vous n'êtes pas difficiles à identifier, pensa Jambar. »

— Je peux parfaitement comprendre votre étonnement, continua Maître Sol, et croyez bien qu'il est partagé ! Moi-même, je suis des plus intrigué par votre présence ici. D'ailleurs, qui êtes-vous ?

Jambar ne laissa pas les autres répondre, il dit simplement d'un ton froid :

— Nous sommes une troupe d'aventuriers, nous nous rendons jusqu'à la forteresse du Seigneur Noir pour mettre un terme à ses exactions.

— Quelle coïncidence, s'exclama l'autre ! Il se trouve que c'est là que nous nous rendions, mon apprentie et moi, avant que les protections magiques de la Muraille ne coupent le transfert thaumaturgique...Elle ne devrait pas tarder.

À ce moment précis, une vive lumière blanche apparut à environ un mètre au-dessus du sol. Les aventuriers sentirent un souffle d'air chaud à l'instant où quelque chose fut expulsé par la lumière. La chose, qui portait elle aussi une tunique dans le même style que Sol, roula dans la poussière juste devant ce dernier.

— Ah ! La voilà, dit-il en l'aidant à se relever.

Il s'agissait en effet d'une jeune femme, d'à peu près une vingtaine d'année. Elle avait un petit visage rond, des cheveux roux reliés en une longue natte qui lui descendait jusqu'au bas du dos et ses grands yeux noisette regardaient en tous sens, affolés. Elle haletait.

— J'ai réussi Maître ! C'était...wow ! Il faisait chaud, et puis très froid, et puis toutes ces couleurs ! C'était normal l'odeur de mandarine ?

— Tu t'en es très bien sortie, lui dit Sol en l'époussetant. Penses que tu aurais très bien pu être désintégrée en cours de route ou bien perdre un membre dans le processus.

Il recula un peu pour détailler sa disciple, non, il ne manquait rien.

— Maître Ré avait raison Maître : la Muraille a posé problème, nous n'avons pas du tout atterrit au bon endroit, je dirais environ une centaine de kilomètres trop tôt...

— Du calme mon enfant, du calme, coupa Sol, tu vois bien que nous ne sommes pas seuls.

Elle avisa alors les aventuriers.

— Ahem...Salut, fit Anton.

La jeune femme sembla quelque peu retrouver son calme, elle s'inclina brièvement puis dit d'une voix vibrante.

— Excusez-moi messieurs. Je me présente, Emilia Baritonelli, apprentie sous la tutelle de Maître Sol.

— Et nous n'attendons personne d'autres ? Jambar était au bord de l'implosion.

— Oh, et bien à moins que Maître Do nous envoie quelqu'un...

Anton crut bien entendre un juron étouffé par le foulard de Jambar.

— Ne vous inquiétez pas, dit Sol. Personne d'autre ne devrait nous suivre. Emilia, ma petite, il se trouve que ces messieurs sont des aventuriers en route pour occire le Seigneur des Ténèbres.

— Vraiment ? Mais c'est une excellente nouvelle ! Elle se tourna vers Jambar, dont l'écharpe fumait presque. Dans ce cas nous allons vous...

— Accompagner ? Certainement pas, grogna Jambar. Notre quête est loin d'être l'une de vos petites promenade pour enquêter au milieu de la forêt des gentils lutins. Alors vous allez regagner la Muraille où la garde s'occupera de vous.

— Eh ! Attends une seconde Jambar. Orm passa la tête à l'extérieur du Carrosse. Vous êtes des mages non ? Vous pourriez nous être utiles, c'est quoi votre spécialité ?

Emilia semblait soucieuse après le ton acide qu'avait pris Jambar. Elle appela son maître à l'aide du regard.

— Malgré ce que vous pouvez penser de nous mon bon ami à la capuche, commença-t-il subitement moins aimable, notre Guilde ne fait pas que dans les "gentils lutins", de plus votre compagnon à raison : nous pourrions vous être utiles. Mon apprentie possède des prédispositions pour la télékinésie à grande échelle et je suis moi-même un expert géomancien.

Elio détourna son attention d'un des champignons violets qu'il aurait juré avoir vue bouger pour dire à mi-voix :

— Tiens, c'est drôle ça, un géomancien qui s'appelle Sol...

Les autres le regardèrent bizarrement mais l'intéressé se mit à rire aux éclats.

— Alors là, messire, je crois bien que vous êtes le seul à avoir jamais relevé la chose !

— Mais, Maître, commença Emilia, vous voulez dire que...

— Je l'ai fait exprès ? Evidemment, c'était trop tentant de choisir une spécialisation pareille !

— Qu'est-ce que je disais : les gentils lutins, murmura Jambar entre ses dents.

— Peut m'importe, s'écria Orm. Vous venez avec nous ! On a bien assez de place et de provisions et avoir des mages sous la main, c'est toujours pratique.

Emilia frappa dans ses mains.

— Parfait ! Merci beaucoup messire.

— Mais tout le plaisir est pour nous mademoiselle, roucoula le barbare.

En dépit de la mauvaise humeur de Jambar, les deux mages montèrent dans le Carrosse qui reprit sa route plus en avant dans les Terres Bannies.

— Sinon, pourquoi avez-vous atterris ici ? Demanda Elio à Sol.

— La Guilde a enregistrée une énorme fluctuation thaumaturgique au Nord, nous nous doutions depuis plusieurs mois que le Seigneur Noir couvait quelque chose et tout semble indiquer qu'il est prêt à entrer en action. Notre mission consiste à enquêter pour savoir ce que ce monstre prépare.

— On a à peu près le même but alors, dit Orm. Sauf que nous on veut l'empêcher de finir ce qu'il a commencé...Enfin le boulot d'aventurier classique vous voyez. Il s'adressa ensuite à Emilia. Baritonelli... Vous êtes sudienne ?

— Oui, répondit la jeune femme. Je suis originaire de Firentine. Comment avez-vous deviné ?

— J'ai pas mal voyagé, pour le travail. Il se trouve que vous avez ce trait typiquement sudien : vous roulez parfois les « r ». Cela dit, je n'en avais encore croisé aucun pratiquant la magie, vous êtes unique en quelque sorte. Il appuya sur le "unique" en levant un sourcil évocateur.

— Je suppose que l'on peut dire ça comme ça, elle rougit. Mais vous avez raison, mes compatriotes sont pour beaucoup étranger aux arcanes...Je suis née avec des dons particuliers dans une famille commerçante comme il en existe beaucoup dans le Royaume du Sud. Malheureusement, ces dons ont commencé à poser problème et ma famille s'est mise à me considérer comme...

— Un putain de troll ! Beugla Orm.

— Pardon ? Les cheveux roux d'Emilia se dressèrent sur sa tête.

— Accrochez-vous !

Jambar donna un brusque coup dans le guidon du Carrosse. C'est alors qu'un rocher gros comme un veau s'écrasa à quelques mètres sur leur droite, aplatissant à la volée une dizaine de petits champignons qui émirent des sifflements spongieux. Un grondement semblable à un troupeau de chevaux en pleine débandade se fit entendre droit devant le véhicule.

Comme l'avait si clairement souligné Orm, un énorme troll leur fonçait dessus en projetant de gigantesques nuages de poussière à chaque pas. Sa bouche de granit écumait et ses petit yeux rouges brillaient tels deux rubis.

— Magnifique spécimen, souffla Sol. À en juger par la strate rocheuse sur son dos, c'est un très vieux mâle.

Tout en prenant appui sur un marchepieds, Anton lui cria :

— Ça nous fait une belle jambe ! Vous qui contrôlez la terre, vous pourriez pas vous occuper de ce gros tas de caillou ? Fonce Jambar !

— Certes, répondit Sol, je pourrais l'immobiliser.

— Si je me souviens bien, dit Elio alors que le Carrosse partait à vive allure en direction du troll fulminant, leur point faible se trouve juste sous le menton. Là où la couche de pierre s'arrête dans la pliure du cou.

Déjà le Carrosse se trouvait à moins de dix mètres de la créature, Anton se tint prêt en prenant appui sur son perchoir. Le monstre leva ses deux poings colossaux pour les écraser une fois pour toute.

— Maintenant Sol !

Le mage tendit les main en direction de la créature dont les deux énormes jambes s'enfoncèrent subitement dans le sol. Le troll perdit l'équilibre en même temps qu'Anton plongeait, Faucheuse à la main. Il sentit sa lame s'enfoncer dans la gorge du monstre avec un crissement aiguë, il avait visé juste, le troll s'effondrait, les yeux vitreux. Anton délogea Faucheuse en prenant appui sur la créature. Après un saut parfaitement exécuté, il retomba au sol avant même que le troll ne morde la poussière. Depuis le Carrosse, les autres applaudirent.

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