Epopée: Chapitre VII

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VII : Les noctambules

Une fois le dîner terminé, les aventuriers se virent chacun attribué une chambre dans l'aile des invités. Le silence emplit le château en même temps que l'obscurité.

En entrant dans sa chambre, Elio posa délicatement son épée sur le lit, un lit de seigneur pensa-t-il, beaucoup plus confortable que sa couche au palais du Roi Achab...

— C'est vrai qu'il va manquer aux Royaumes, dit-il tout bas. Il va tous nous manquer.

Il regarda longuement son épée, allongé dans les couvertures molles, sa garde représentait une tête d'aigle, les rayons de la Lune pénétrant par la fenêtre s'y reflétaient et piquetaient la pièce d'une multitude de petites étoiles argentées. Une arme unique et merveilleuse, l'épée de son père. Il s'en était toujours montré digne et il était aujourd'hui persuadé que sa lame pourrait écrire l'histoire des Quatres.

Il ne réussit pas à dormir, trop agité pour fermer l'œil. En plus, il avait soif. Il se leva, chercha le seau, qu'il trouva. Vide. Qu'à cela ne tienne, il était déjà venu ici et se souvenait de l'emplacement des cuisines. Il décida de passer par le rempart car l'air de la nuit lui ferait du bien, songea-t-il, et il pourrait voir la Muraille. Il enfila rapidement ses chausses et sortit sur la pointe des pieds, le garde en faction devant sa porte ronflait comme un sonneur sur sa chaise. Il s'engagea dans l'escalier en colimaçon qui conduisait sur le rempart nord.

Lorsqu'il déboucha dehors, il ressentit une légère brise lui rafraîchir le visage, il ferma les yeux et inspira longuement. Le chevalier contempla le paysage droit devant lui. Il était face à la Muraille, un énorme rempart de granit de plusieurs mètres d'épaisseur entouré d'une légère lueur bleutée, la barrière magique.

— Bonsoir messire Elio. Vous aussi vous venez admirer la vue ?

Le jeune homme sursauta. Il se retourna vers la voix qui venait de le surprendre dans sa contemplation.

Devant lui se tenait, adossée au mur de la tour, une jeune femme. Elle portait une magnifique chemise de nuit bleu marine par-dessus laquelle elle avait enfilé une robe de laine blanche, cet harmonieux ensemble rehaussait le teint de sa peau mate. Elle le fixait d'un regard fier qu'encadrait un doux visage légèrement pointu. À son cou pendait une fine chaîne d'argent ornée d'une épée de saphir.

Elio se ressaisit subitement et devint rouge pivoine, il venait de se rendre compte qu'il dévorait des yeux la Princesse du Nord, Élyse Perce-neige. Cette dernière sembla s'amuser du désarroi du chevalier car son beau visage se fendit d'un léger sourire.

— À couper le souffle n'est-ce pas ? Dit-elle en venant s'appuyer sur le rempart.

— Hein ? Euh...veuillez m'excuser votre altesse je...

— La vue, le coupa-t-elle, elle est impressionnante vous ne croyez pas ?

— Oh. Et bien...Oui, vraiment magnifique.

Il fixèrent tous deux le paysage au-delà de la Muraille. Devant eux s'étendaient les Terres Bannies. Large bande de steppe grise argent surplombée par un ciel opaque de nuages parfois zébrés d'éclairs rouges vifs plongeant vers la terre.

Malgré ses dires, Elio sentit un pincement au cœur quand ses yeux embrassèrent la plaine désertique qui lui faisait face. Au petit matin, il partirait avec ses compagnons pour un périple qui les emmènerait là où nul autre n'avait osé poser le pied depuis plus de trois cent ans. Là-bas, l'aventure et le destin les attendaient. Il fut une nouvelle fois tiré de sa rêverie par la Princesse.

— J'aime venir ici la nuit pour observer les Terres Bannies, contrairement à tous ces gardes somnolant, cela m'aide à me rappeler que malgré les remparts et la magie, nous ne sommes jamais complètement à l'écart du danger. Un bon dirigeant doit savoir mettre son peuple en sûreté. Je dois garder cette leçon en tête pour le temps où je régnerais à mon tour.

— Je n'ai jamais douté que vous puissiez être une excellente Reine, répondit Elio.

Ils restèrent un instant, à admirer la vue, laissant le vent frais porter le silence de la nuit jusqu'à leurs oreilles. La princesse appuyée nonchalamment sur le rempart, les yeux perdus dans le vague et le chevalier, debout à ses côtés, les bras croisés.

— Mais depuis quand ne nous sommes-nous pas vus, chevalier ?

— Je crois que c'était lors de la dernière visite de mon regretté souverain il y a trois ans, il a toujours tenu à se déplacer en personne, même quand il était au plus mal...

— Je me souviens. Vous teniez tellement à sa protection qu'on vous aurait pris pour son ombre.

— Je m'efforçais d'accomplir ma tâche de garde du corps au mieux, dit-il avec un sourire. Mais en parlant d'ombre, depuis quand votre père connait-il Jambar ?

— Il ne m'en a jamais parlé en détail, je sais juste que Jambar est entré au service de mon père bien avant ma naissance. Mais ils sont tous deux amis de longue date.

— Étrange...Je n'avais aucune idée de son existence avant qu'il ne me contacte...

— C'est que sa fonction ne gagne pas à se faire connaitre j'imagine.

— En effet vu sous cet angle...

Ils regardèrent une nouvelle fois le paysage au-delà de la Muraille pendant quelques minutes, puis la Princesse se releva pour repartir vers l'escalier de la tour mais elle s'arrêta à mi-chemin pour se retourner vers Elio.

— Sir chevalier ?

— Oui votre altesse ?

— Il me semble avoir croisé votre compagnon en chemin, il m'a dit se rendre aux cuisines.

— Ah...Laissez-moi deviner, il devait s'agir de Orm.

— Le colosse qui ne sort jamais sans son équipement ?

— Celui-là même...

— D'accord. Dans ce cas bonne nuit chevalier, et bonne chance. Je compte sur vous pour nous protéger du danger.

— Vous pouvez compter sur moi majesté, il s'inclina. Je vous le jure.

Elle sourit.

— Au revoir, sir Elio.

Il attendit que sa silhouette disparaisse dans le clair-obscur de l'escalier.

— Au revoir Princesse Élyse. Vous pourrez toujours compter sur moi.

Elio retrouva facilement son chemin jusqu'aux cuisines. La Princesse avait raison, il y avait de la lumière et on pouvait entendre le bruit caractéristique d'un glouton en pleine mastication. Il poussa la porte.

— Alors toi aussi tu as du mal à dormir ? Dit le chevalier en entrant.

Orm avait rallumé un feu dans l'un des fours éteint par les domestiques quelques heures plus tôt, il régnait une douce chaleur dans le coin où le colosse s'était installé, près des placards... Après la fraîcheur des remparts, cela fit du bien à Elio qui prit une chaise et s'assit en face de son compagnon. Ce dernier semblait surpris.

— Du tout, répondit-il. J'avais juste la dalle et ma chambre est un étage plus haut.

Elio le détaillait du regard.

— Tu dors vraiment toujours avec ton équipement ?

Une nouvelle fois, la Princesse avait vu juste.

— Toujours ! Et jamais dans une couverture.

Le jeune homme était décontenancé.

— Pardon ? Pourquoi cela ?

— Tu serais étonné du nombre de personnes qui seraient encore en vie s'ils n'avaient pas été empêtrés dans leur duvet, fit le barbare avec un drôle de sourire.

— J'imagine...je crois.

— Tiens au fait, j'ai croisé un joli brin de fille sur le chemin, vachement polie, noble et tout et tout. Le genre de gonzesse à pas se laisser marcher sur les pieds. J'aurais volontiers enlevé mon équipement pour elle si tu veux mon avis !

— Orm ! C'était la Princesse Élyse Perce-neige ! La fille du Roi !

— Oh merde.

— Comment ça ? Qu'est-ce que tu lui a dit ?

— Mais rien enfin j'suis quand même capable d'être courtois avec les dames non ? Et puis...Attends...

— Quoi ? Et puis quoi ? Qu'est-ce que tu as fait ?

— T'es tout rouge, Orm souriait. Me dis quand même pas que...

— Que rien du tout !

— Si si si !

Le guerrier se releva pour se diriger vers les placard en riant comme un fou.

— Et tu...pffrt...et tu vas l'emmener sur ton cheval blanc ? Et après vous vivrez heureux et vous aurez, il pouffa, BEAUCOUP D'ENFANTS !

Il eut besoin de s'appuyer sur un mur pour reprendre sa respiration, puis il ouvrit l'un des placards.

— Ah ! Il y a un reste de pain de viande ! T'en veux, pour te consoler ? C'est dur à vivre les amours impossibles tu sais, il faut te ménager.

— Mais pas du tout ! Je...

— Est-ce que tu veux du pain de viande ?

— Oui...

Le jeune chevalier, tout penaud, semblait regarder un point perdu dans les reflets du sol carrelé.

— Bien, Orm se rassit en posant un plat et deux couteaux sur la table. Tu préfères qu'on parle d'autre chose ?

— S'il te plait.

— Tu penses quoi de notre compagnie ?

Elio découpa une grande tranche de pâté et se l'enfourna dans la bouche. Quand il eut finit de mâcher, il répondit :

— Je me méfie de Jambar...

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas...Je n'arrive pas à le cerner, je suis sûr qu'il nous cache encore quelque chose.

— Tu sais, fit Orm en se servant lui aussi, notre quête consiste à zigouiller le pire vilain que cette terre ai portée. Enfin c'est balaise quoi ! Alors je trouve normal qu'il y ai des zones d'ombre.

— Tu as raison...Mais nous n'avons aucune chance d'échouer ! Nous avons tout de même une véritable légende pour nous accompagner !

— Tu parles de ce taciturne d'Anton ?

— Euh...oui. Qui d'autre ? Il est le plus célèbre des Commandants de la Garde Pourpre ! On raconte qu'il a terrassé une armée de milles hommes à lui tout seul ! C'est le plus valeureux épéiste des Quatre !

— Valeureux ? Fit l'autre sarcastique. Ça se voit que tu es un jeunot, tu me déballe la version édulcorée.

— Pardon ?

— Les milles gars dont tu parles, c'étaient les siens. Enfin en grande partie.

— Quoi mais...impossible ! La Garde a été dissoute pour préserver la paix des Royaumes !

— La question c'est : dissoute par qui et comment.

Elio semblait plus que perdu, il ne disait plus un mot, il regardait désespérément Orm qui continua son histoire.

— Pour les vieux de la vieille comme nous, ça remonte à une autre époque...Enfin...Tu as évidemment entendu parler de la fameuse bataille du Trouble ? Celle où ton héros a trucidé plus d'une centaine de gusses et pas tout seul d'ailleurs, il avait quand même une trentaine de mercenaire, dont moi quand j'étais encore tout fringuant...Mais moins habile avec les femmes.

— Rhaaa continue !

Orm raconta :

— Comme je te l'ai dit, les centaines de guerriers morts ce jour-là étaient avec Anton, enfin pas exactement. C'était des déserteurs. La fin des conflits aux frontières des Royaumes avait entraîné des scissions au sein de la Garde Pourpre. Anton, alors Commandant, souhaitait la dissolution du corps de mercenaire, je pense qu'il aspirait à autre chose, une nouvelle vie sans doute. Mais Sangor Tullarion, un vieux lieutenant réputé pour son nombre impressionnant de combats, organisa une mutinerie contre leur chef. D'après le vétéran, la Garde avait le droit d'asseoir son autorité sur les Quatre.

— Il voulait créer un nouveau Royaume ? Mais c'est de la folie !

— C'est précisément ce que pensa Anton. Il destitua Sangor et tous les dissident, mais les laissa partir.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Aucune idée, mais je crois que le grand guerrier c'était quelque peu assagit. Enfin tu penses bien que quelques jours plus tard, Sangor et sa troupe refirent parler d'eux, et pas de la meilleure façon qui soit.

— Mais alors, la bataille du Trouble...la dernière bataille menée sur les terres des Royaumes, c'était pour vaincre Sangor ?

— Exactement, mais Anton était en sous nombre et il exigea qu'aucune aide des Royaumes ne lui soit apportée. Je faisais partie des réservistes de la Garde, alors...

Orm semblait perdue dans ses souvenirs, mais Elio était pendue à ses lèvres, captivé.

— La pire bataille de ma vie ! Un carnage ! Des centaines d'anciens frères et sœurs d'arme qui s'entre déchiraient au milieu des cris de guerre et d'agonie. Un tourbillon d'acier gorgé de sang, avalant la chair et broyant les os. Une cacophonie de milliers d'aiguilles qui transperçaient nos tympans et nous faisait trembler de la tête aux pieds ! Je n'ai jamais pu m'en passer après ça...Le sang des autres sur notre corps, notre propre sang nous montant à la tête, du sang, du rouge, partout. Son odeur ferreuse et infecte nous emplissait les narines, nous suffoquions. Mais nous étions vivant ! Nous nous sentions plus vivant que jamais ! Vibrant à l'unisson au milieu du combat que nous perdions sans nous en rendre compte !

Et soudain, la chaleur. Nous avions une magicienne dans nos rangs, la meilleure que j'ai jamais connue. Soufflant le feu et semant le chaos parmi nos ennemis. À ses côtés courrait Anton, Faucheuse déchirant l'air autour de lui. Je n'avais jamais vu pareille maîtrise ! Chaque mouvements causait la mort, il semblait invincible ! Le massacre dura encore une bonne heure. Nous nous en sortîmes victorieux mais à quel prix ? Nous n'étions pas plus de dix encore sous le choc de l'intensité de ce que nous venions d'accomplir. Avant de tomber à genoux, exténué, vivant, j'aperçu Anton à quelques mètres, effondré lui aussi. Derrière je remarquais Sangor, planté au sol par Faucheuse, ses mains encore crispées sur l'énorme lame. Mais Anton ne lui prêtait pas attention, on aurait dit qu'il avait perdu la raison, les yeux grands ouverts, la mâchoire crispée dans un rictus enragé. Au sol, devant lui, il y avait le cadavre de la magicienne, une lance lui transperçant la poitrine. « Le dernier sang. » pensais-je avant de m'effondrer de fatigue.

Orm s'arrêta, devant lui Elio ne bougeait pas, le temps reprit son court.

Dans l'aile est du palais, dans sa chambre, Anton ne dormait pas non plus. Accoudé à la fenêtre, il tenait fermement un petit médaillon d'or dans sa paume. Il le tint devant lui un instant, le métal précieux s'illumina, le médaillon s'ouvrit. Une flammèche brillait en son centre, flottant dans l'air. Soudain, elle s'anima pour danser sur les bords du pendentif, puis autour de la main d'Anton, elle émettait un léger chuintement, comme un minuscule courant d'air. Le mercenaire referma le talisman et le serra contre son cœur. Il murmura :

- Je tiendrais ma promesse...Xian.

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