Épopée: Chapitre V

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V. Le Royaume du Nord :

Anton ouvrit les yeux, il avait bien dormi. Il se redressa dans son sac de couchage et vit Jambar devant le feu, en train de remuer des œufs et du bacon dans une poêle. Il avait ôté ses gants et relevé ses manches, révélant des mains aux doigts fins maniant la poêle avec une grande habileté. Le mercenaire remarqua qu'une série impressionnante de cicatrices courraient sur les avants-bras de Jambar. Rien d’anormal pour un aventurier, Anton avait lui-même son lot d’estafilades, mais là…elles étaient trop nombreuses, trop profondes.

— Bien dormi ?

Anton s’aperçut alors que Jambar avait les yeux braqués sur lui. Décidément, il ne supportait pas ce regard, il lui donnait l’impression désagréable de scruter un point précis à l’intérieur de son crâne. Il répondit :

— Pas mal. Une nuit plutôt tranquille, il se tourna vers les deux autres. Ils dorment encore ces deux-là ?

Elio s'agita dans son sac de couchage, visiblement il était réveillé.

— Oh ! Ça fait un moment que je ne dors plus, c’est juste que j’aime profiter d’un petit moment de calme au réveil.

Ce fut soudain Orm qui se mis debout sur le tas d’herbe qu'il avait choisit en guise de lit. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire, considéra les trois autres avant de se diriger vers Jambar et de dire :

— Fait gaffe, tu fais trop cuire les œufs là.

Puis il prit quatre assiettes dans leur sac de victuailles et les passa à leur employeur qui servit le petit déjeuner.

Ils reprirent la route quelques minutes plus tard à bord de leur étrange moyen de transport. Elio l’avait baptisé “le Carrosse“, selon lui cela sonnait mieux que "le machin", étant donné que ça n'était pas un chariot. Ils voyagèrent encore trois bonnes heures et la forêt se faisait de plus en plus dense, troquant ses bosquets de chênes pour d'épaisses rangées de sapins aux aiguilles bleutées. Le climat aussi changeait, il faisait un peu plus froid, l'air devenait piquant.

A la fin de la troisième heure, Jambar ralentit à un tournant. Devant eux venait d’apparaître une cabane d’où s’échappait un fin filet de fumée. La route était coupée par une barrière de fer devant laquelle se trouvaient deux gardes à la mine fatiguée. Ils étaient immédiatement reconnaissables à leurs lourds hauberts matelassés et surtout, à leur blason d’azur à l’épée d’argent : les armoiries du Royaume du Nord. C’était un poste frontière. Jambar avança le véhicule pour que l’un des gardes, qui leur faisait signe de s'arrêter, puisse se placer à son niveau. Ce dernier semblait d’ailleurs assez circonspect.

— Bonjour, dit-il. Vous vous trouvez actuellement à la frontière du Royaume du Nord, sous l'administration directe de notre bien aimé Roi Trodrïn Perce-Neige. Veuillez énoncer clairement les affaires que vous désirez y traiter. Si ces dernières concernent de près ou de loin le vol, la contrebande, le meurtre ou le vice, vous serez invités à descendre de votre….véhicule pour que mon collègue ici présent vous remette à chacun une paire de menottes.

Jambar, très calme, sortit un papier de sa manche et le tendit au garde en disant :

— Ne vous en faites pas pour ça mon brave, nous sommes une troupe d’aventuriers tout ce qu’il y a de plus honorable.

Les trois autres ne cillèrent pas, ils avaient confiance en Jambar. Seul Anton fixait le papier d’un air soucieux. Le garde lut la lettre avec une concentration intense, son nez collait presque à la feuille. Il considéra Jambar avec des yeux ronds d’étonnement, puis le papier, puis de nouveau Jambar. Il fit signe à son collègue qui alla lever la barrière. Il sortit ensuite une petite clochette de sa ceinture et l’agita, elle émit un tintement cristallin. Il s’écoula quelques secondes avant qu’une troupe d’une dizaine de cavaliers sorte des bois autour d’eux. Ils étaient montés sur des chevaux robustes. Armés de lances, ils arboraient eux aussi l’emblème du Nord.

— Monseigneur, fit le garde en dit respectueusement à l’adresse de Jambar. Trois de ces hommes vont vous accompagner jusqu’à Nordgrad où vous pourrez rencontrer son excellence. Je vous souhaite bonne route. Il inclina la tête.

— Merci mon brave, répondit Jambar.

Il jeta un coup d’œil à ses compagnons, médusés.

L’un des cavaliers s’avança. Un grand jeune homme au cou de taureau qui leur adressa un large sourire :

— Bien le bonjour mes seigneurs, je me nomme Ardin Drevik, je suis chargé de vous escorter jusqu’à la capitale avec deux de mes gars, deux autres trottinèrent dans leur direction. Voici Ildh Râhn et Vincent Aldmar, ils saluèrent. Nous avons encore quelques heures de voyage devant nous avant d’arriver à Nordgrad, nous nous arrêterons dans une auberge en cours de route mais je vous promets que nous arriverons le plus rapidement possible auprès du Roi. Sur ce, en route !

Alors que la troupe s’ébranlait, Orm apostropha Jambar.

— Eh bien en effet, on peut avoir pleinement confiance en tes contacts ! Le Roi Trodrïn en personne ! Puis il éclata de rire.

L’escale à l’auberge se fit sans encombre. Les soldats étaient des habitués et l’ambiance de l’établissement s’accordait pleinement à l’humeur joyeuse de nos quatre aventuriers. Anton en avait même oublié ses questions au sujet de leur étrange employeur et leur mission.

Ils arrivèrent à la capitale en début de soirée. Nordgrad, bastion de la lutte contre le Seigneur des Ténèbres. Ses murs vieux de plusieurs siècles, taillés dans le fameux granit blanc du Nord, s’élevaient majestueux et luisants à la lumière du couchant. Mais le plus impressionnant était sans doute l’entrée principale de la ville. Aussi haute que les murailles, taillée dans la même pierre lumineuse, ses portes titanesques en chêne massif doublées d’acier dominaient la foule en contrebas ainsi que l’énigmatique véhicule de nos héros. Tous regardaient le fronton de cette formidable entrée. Sur une large plaque de lapis-lazuli étaient gravés en lettres d’or les mots suivants :

Quiconque franchit ces portes en ami est le bienvenue, mais le froid du Nord châtiera celui dont le cœur est empli de haine.

— Il se dégage de ces murs une certaine…majesté, souffla Elio dont le regard ne quittait pas les portes. Ce n‘est pas la première fois que je me rends à Nordgrad mais je ne peux jamais m’empêcher de contempler les remparts.

Le cavalier qui chevauchait de son côté, Vincent Aldmar, lui décrocha un sourire.

— En effet messire, depuis que la cité fut construite, ni siège ni envahisseur n’ont réussi à venir à bout de ses murailles. Cela fait près de cinq cent ans que la paix règne entre les Royaumes mais on raconte qu’en temps de guerre, les portes étaient la meilleure protection de la ville.

Une fois les portes passées, la troupe se retrouva sur l’artère principale de Nordgrad. Bondée de chariots, de badauds et vendeurs à la sauvette, l’atmosphère résonnait de la harangue des marchands, du claquement des sabots, de la musique des bardes ambulants et de temps en temps, le cri d’un passant attristé que sa bourse ait subitement disparue s’ajoutait à cette cacophonie. L’ambiance typique d’une grande ville en somme.

Anton troubla alors la contemplation de ses compagnons.

— Au fait Jambar, pourquoi avons-nous rendez-vous avec le Roi du Nord ? Je croyais que notre quête suivait un but qui t’est purement personnel.

Jambar resta impassible sous son foulard pendant quelques secondes pour savourer la rumeur de la foule et répondit.

— Comme vous l’avez compris, le Roi Trodrïn est mon principal contact pour franchir la Muraille sans encombres, de plus nous nous connaissons depuis…un certain temps.

Ils continuèrent leur route le long de la grand rue. Bordée d’échoppes et grouillante de monde elle s’étirait sur plusieurs kilomètres pour déboucher devant les marches du palais royal.

Surplombant la ville entière, la demeure du roi Trodrïn Perce-neige ressemblait à une immense montagne blanche au milieu d’une mer de pierres grises et de tuiles orangées. La lumière du crépuscule naissant jouait avec sa surface immaculée pour lui donner des reflets d’or. On eut cru que ses hautes tours bardées de créneaux perçaient les nuages, s'élevant tel des phares de dentelle scintillante. Le palais resplendissait d’une lueur protectrice, rassurante. Plus loin, on pouvait distinguer la Muraille, dernier rempart avant les Terres Bannies, ultime défense des Royaumes se dressant face à l’avancée du Seigneur Noir. Nos héros le savaient, leur périple les attendait de l’autre côté.

Leur escorte les laissa devant l’entrée du palais, Jambar montra une nouvelle fois le sauf-conduit marqué par le sceau du roi et ils s’engagèrent dans l’enceinte. Après avoir laissé leur véhicule à un palefrenier aussi surpris que désemparé, un domestique vint à leur rencontre pour les guider le long des couloirs du château jusqu’à une antichambre garnie d’épais fauteuils. Le serviteur les pria de patienter en attendant son excellence puis s’éclipsa. Ils s’assirent confortablement, sauf Orm qui s’adossa à un mur pour contempler la pièce. Une haute fenêtre laissait entrer la clarté du couchant, il s’en approcha et tapota légèrement du bout de l’index sur le verre. Elio l’interrompit.

— Fait attention, c’est extrêmement fragile! Tu n’avais jamais vue de vitres avant?

— Bien sûr que si, répondit l’autre, vexé. C’est juste que de là d’où je viens, on n’a pas les moyens de s’offrir un tel luxe.

C’est alors que les portes de l'antichambre s'ouvrirent en grand, laissant passer une cohorte de domestiques en costume bleu ciel qui s'alignèrent pour former une haie d'honneur. Des pas énergiques retentirent dans le couloir. Une voix se fit entendre. Une voix d’homme, forte, assurée, noble. Une voix de Roi.

— Je remarque que vous admirez mes fenêtres. Ce genre d’invention plaît toujours à mes invités. Mais vous n’êtes pas ici pour discuter de l’aménagement de cette grande bâtisse n’est-ce pas ?

Trodrïn Perce-neige, souverain du Royaume du Nord, apparut dans l’embrasure de la porte attenante à l’antichambre. Il arborait une longue tunique bleu azur ornée d’une épée cousue de fils d’argent, en dessous, on pouvait deviner une côte de maille. Sur ses épaules reposait une épaisse cape de fourrure de loup blanc et le médaillon royal pendait à son coup : un cercle d’or où s’imbriquait l’emblème de son Royaume. Le roi Trodrïn, un homme proche de sa soixantième année n’avait cependant rien perdu de sa prestance, son dos restait droit, son large menton saillant et son regard bleu profond ne cillait jamais, brillant d’une sagesse acérée.

Tous s’étaient levés à son entrée et Orm rougit en se mettant dans une position qui ressemblait étrangement à un garde-à-vous. Le roi fit face à Jambar en le surplombant de son imposante stature et lui étreignit les avants bras.

— Te voilà enfin de retour mon ami, il fit ensuite face au reste du groupe. Et bien tu as judicieusement choisi tes compagnons de route. Enfin tu as toujours su t’entourer, je sais de quoi je parle.

Trodrïn lança un clin d’œil complice à Jambar et continua de parler.

— Il se trouve que je connais la plupart de ces visages…Anton Sang-d’acier, de nombreux événements ont eu lieu depuis notre dernière rencontre, vous avez beaucoup changé.

Les yeux perçants du roi se posèrent quelques instants sur l’épaule droite d’Anton où se trouvait un insigne : une tête de démon, pourpre, rayée sur toute sa longueur. Le mercenaire répondit :

— Votre altesse, les gens changent avec le temps. Mais bien que notre rencontre remonte à une dizaine d’année, le temps semble n’avoir aucune prise sur vous. Il se tint droit, le poing serré sur le cœur pour saluer.

— Je vous remercie, dit Trodrïn avec un petit sourire. Elio Kalos, je suis absolument dévasté par la mort de votre seigneur le roi Achab. C’était un ami très proche et un monarque des plus remarquables, bien meilleur que moi si j’ose dire. Mais malgré les mots de sir Anton, le pouvoir royal ne donne aucun privilège face au temps qui passe. Et vous êtes resté jusqu’à la fin à ce qu’on m’a rapporté. Votre père aurait été fier de vous, sachez que mes portes vous seront toujours ouvertes.

Elio exécuta une révérence parfaite dans son armure de plaques.

— Je vous suis reconnaissant pour cette offre votre altesse, mais ce fut un honneur de le servir et je serai tout aussi honoré de protéger le nouveau roi du Royaume de l’Est.

Le roi plissa les lèvres d'un air légèrement déçu.

— Je comprends parfaitement cela chevalier. Et vous messire, dit Trodrïn en se plaçant devant Orm. Je ne crois pas vous connaître, bien que votre visage me dise vaguement quelque chose…

Le colosse parût gêné.

— Et bien…votre sérénissime…altesse. Vous m’avez sans doute déjà vu représenté sur quelques affiches louant mes services ou, bien entendu, certains de mes faits d’armes. Je m’appelle Orm et je ne possède pas de nom car mon père n’en possède pas lui-même, je suis né dans les plaines de l’Ouest et je suis, sans vouloir me vanter, le meilleur chasseur de primes de tous les Royaumes…votre altesse.

— Merci pour ces précisions, répondit le roi, amusé. Je constate que Jambar n’aurait pas pu trouver meilleurs compagnons que vous et cela ne sera pas de trop pour le voyage qui vous attend. Mais pour l’heure, vous dînerez à ma table ce soir.

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