Épopée: Chapitre XXII

6 minutes de lecture

XXII. L'éveil de la cité engloutie.

La ville a sombré

Par son gardien entraînée

Au fond des eaux sombres du lac nourricier.

La ville a sombré.

Aucun des aventuriers n'osa bouger ne serait-ce qu'un cil, estomaqués. Aux premières notes sorties de la bouche asséchée du gardien, un grondement sourd, presque indistinct, c'était propagé dans l'immense caverne. Les eaux sombres du lac ondulèrent en fines vaguelettes en même temps que le chanteur se relevait, passant une main décharnée au-dessus de la surface troublée.

De l'envahisseur elle fut protégée

Dans les profondeurs lui aussi happé

Que son nom à jamais s'éteigne

Quand celui de l'impériale lignée,

Sous l'Astre illuminé,

Reprend son règne.

La ville a sombré

La ville a sombré.

Un autre grondement, plus intense, semblable au souffle lointain de quelque bête immense. Subjugués, les six compagnons écoutèrent le gardien. Sa voix rêche et rocailleuse s'était changée en un timbre puissant et sonore qui emplissait la grotte avec une acoustique renversante. Ils pouvaient sentir le chant résonner dans leur crâne, vibrer dans leur poitrine. Peu importe que le gardien s'exprima dans une langue qui leur était inconnu, le plus vil des êtres serait lui aussi tombé en admiration devant ce chant aux accents mélancoliques. La voix de Stentor du gardien la rendait plus poignante encore, telle la poigne phénoménale d'un géant de regret vous saisissant le cœur.

Son gardien appelle maintenant par le Chant

Les servantes de l'onde,

Témoins de l'aube du monde

À honorer le pacte de sang

Que les anciens forgèrent

Par le sacrifice de nos pères.

La ville a sombré

Afin que survive pour l'éternité

L'impériale lignée.

La ville a sombré.

L'eau s'agita de nouveau, bouillonnante. Des formes indistinctes passèrent à la lisière de sa surface, rapides traits d'argents éclairés par le plafond étoilé de la caverne. Celui-ci trembla quand un troisième grondement se propagea depuis les profondeurs. Des pans colossaux de roche se détachèrent des parois pour s'abîmer dans le lac, soulevant d'impressionnants geyser chargés d'écume étincelante. Au milieu de cette orchestre de fin du monde s'élevait toujours le chant devenu éclatant du gardien, les bras en croix, campé fermement sur ses jambes maigres, inébranlable fasse aux éléments déchaînés. De la mélancolie jaillit le solennel, le regret se changea en une fierté brûlante. Un baume chargé de vigueur et de force. Tous écarquillèrent les yeux quand les bras rachitiques du gardien se nimbèrent d'un éclat doré qui explosa en une aura presque divine une fois qu'il eut joint ses mains. Le grondement s'était changé en un tonnerre minéral. Des blocs de pierre gigantesques continuèrent de pleuvoir des parois d'où émergea une lumière éclatante, égale à celle recouvrant le gardien. Des trous béants jaillirent des chaînes titanesques, incandescentes, qui plongèrent dans l'eau d'où remontait maintenant un chœur chanté par des voix surnaturelles. Une douce mélopée s'ajoutant au chant, ajoutant une note chaleureuse, chargée d'espoir.

De l'abysse aujourd'hui libérée

Sa grandeur enfin retrouvée.

De l'ennemi qui fut purgé

Ne restent que les cendres

Que les dignes citoyens ici rassemblés

Aux quatre vents iront répandre.

La ville ressurgit

La ville ressurgit.

Un choc sans précédent manqua de faire chuter les aventuriers, ne revenant toujours pas de ce qu'ils voyaient. Le gardiens les engloba d'un geste circulaire avant de ramener ses avants bras au niveau de ses hanches, puis il remonta ses mains en l'air, paumes tournées vers le ciel, plus éclatant que jamais. Le chœur lui répondit dans un élan formidable. Un spectacle dépassant l'entendement se joua alors face aux aventuriers à l'esprit déjà bien tourmenté. Une pointe creva la surface du lac, transparente, faite d'un matériau semblable à du verre aux reflets irisés. La pointe était surmontée d'une statue de sirène, visiblement façonnée dans un alliage d'or, tenant le soleil à bout de bras. La pointe s'éleva encore jusqu'au firmament de la caverne, révélant une tour formidable, ruisselante d'eau et d'écume. Les chaînes remontèrent anneau après anneau. Puis une autre tour s'éleva, suivie d'une autre, plus loin, et d'encore une autre. Bientôt, des toits de verre multicolores transpercèrent l'eau en ébullition. Aussi loin que le regard pouvait porter au fond de l'interminable caverne, des rangées d'habitations cristallines, de manoirs éblouissants de rues pavées de jade verte émergeaient dans des gerbes d'écume. Le gardien chantait toujours, hurlant presque pour couvrir le vacarme de la ville jaillissant des eaux. Dans une envolée flamboyante, sa voix explosa dans une avalanches lyrique irradiant les cœurs d'une chaleur fantastique.

Louées soient les servantes de l'onde

Inégalées dans la beauté de leur faconde.

Le sacrifice de sang est honoré

Par le Chant ainsi entonné.

L'âme de nos pères peut reposer

Dans la cité qu'ils ont fondé.

La ville ressurgit

Pour encore des millénaires

À la bienveillance de l'astre solaire.

La ville ressurgit !

Un cris de joie tonitruant ponctua l'envolée finale du gardien, tout son corps tendu en direction de la première tour à avoir jailli. Celle d'un incroyable palais aux dimensions gargantuesques, encore plus impressionnant, plus écrasant par sa magnificence que le Grand Temple de Pentapolis. Une merveille architecturale s'accordant dans un entrelacs de colonnes, tourelles et balcons éclatants. Du soleil tendu par la statue, au sommet de sa plus haute tour, partit une lumière blanche aussi vive et mordante que celle de l'Astre lui-même. C'et bientôt toute la caverne qui fut illuminée comme en plein jour. D'autre lumières, plus douces, s'allumèrent un peu partout dans la ville. Une multitude de minuscules boules lumineuses, comme celle que Sol avait fait apparaître dans le tunnel, diffusaient une ambiance paisible depuis des réceptacles posés au bout de fines colonnes translucides dans les rues. Le grondement avait cessé, le chœur se tut petit à petit, devenant un simple murmure cristallin au fond de l'eau. Emilia, son cœur battant toujours la chamade dans sa poitrine, vit une créature singulière les observer depuis le lac, à quelques brasses du bord.

Une visage un peu plate, féminin et une chevelure verte, drue et lisse flottant autour de deux grands yeux entièrement noirs, comme des algues ondulant autour d'un rocher. Elle ne semblait ne pas avoir de nez. Sa mâchoire s'apparentait à celle d'un humain, en plus large, avec un menton extrêmement fin, presque pointu et garni d'étrange petits points luisant d'un blanc laiteux. Dès qu'elle remarqua le regard étonné de le jeune femme, la créature s'en retourna au fond de l'eau en fouettant la surface d'une longue queue membranée, elle aussi garnie de points lumineux.

— Maître vous avez vu ? chuchota l'apprentie.

— Des sirènes. Plusieurs centaines de spécimens d'eau douce, répondit Sol.

Orm s'éclaircit la voix, visiblement tout aussi choqué que le reste du groupe.

— Désolé d'avoir douté Jambar. Il y a bien une ville, fit-il, penaud.

Le gardien s'agenouilla de nouveau, referma son livre et, après avoir reposé son front contre sa couverture, se retourna vers les aventuriers. Dos à la ville, il semblait les attendre. La jeté était reliée à la ville par une longue passerelle de jade verte surmontée par un portique de cristal gravé de lettres d'argent.

Lascim i zbrae u vhoda, lut Elio à voix haute. Une invitation ? Une formule de bienvenue ?

Jambar se tourna, embarrassé.

— Ahem... Ça signifie "Veuillez laisser vos armes à l'entrée", traduisit l'employeur.

Il pointa une petite loge sur leur droite, munie de râteliers. Le jeune homme haussa un sourcil et tordit la bouche dans un rictus blasé. Orm quant à lui, serra instinctivement la garde de sa hache.

— Heureusement pour nous, personne n'est là pour vérifier, ricana-t-il. Eh ! Qu'est-ce qui lui prend ?

Le gardien venait de partir en courant vers le palais aussi vite que ses jambes squelettiques le lui permettaient, criant des propos indistincts, même pour Jambar. Au même instant, toutes les lumières de la ville changèrent de couleur. Une lueur verte menaçante recouvrit Lubinapolis.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jb Desplanches ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0