Épopée: Chapitre XIX

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XIX. Des os dans les roues

L'avertissement de Jambar les prit de court. Trop occupés à écouter l'histoire du chevalier, ils avaient oublié, pendant un bref instant, que les Terres Bannies recelaient des danger aussi mortels qu'opportuns. Le Carrosse venait de percuter de plein fouet quelque chose qui eut le temps de planter profondément une lance tordue et rouillée dans l'avant du véhicule. Une fumée gris sale accompagnée de gerbes d'étincelle crépitantes s'échappèrent par l'ouverture béante.

— Tout le monde va bien ? demanda Anton en essayant d'écarter les volutes âcre lui obscurcissant la vue.

— C'était quoi ça ? Une attaque ? Orm porta la main à sa lourde hache et manqua de blesser Elio.

— On aurait dit une espèce de bruit de cloche non ? fit remarquer le jeune homme en empoignant son épée.

— Maître ! Au secours...

Emilia se débattait avec quelque chose se trouvant sur ses genoux. Quand la fumée fut quelque peu dissipée, les aventuriers virent ce qui posait tant de problèmes à l'apprentie magicienne. Un crâne humain, jauni par les années et recouvert d'une fine pellicule de poussière grise. La chose tressautait sur place en ouvrant et fermant frénétiquement sa mâchoire édentée pour attraper les doigts de la jeune femme qui essayait de le maintenir en place avec dégoût. Une lueur semblable à celle des Ombres brillait au fond de ses orbites vides, plus terne peut-être. La grosse main gantée de Orm saisit le crâne, le balança d'un geste nonchalant à l'extérieur et le regarda rouler au loin.

— Une petite frayeur, rien de plus, dit-il en baissant sa hache. Comment ça se porte à l'avant Jambar ?

— C'est difficile à dire. Mais je crois que...

Il fut interrompu par un cri du côté d'Elio.

— Lâche moi créature démoniaque !

Un squelette se hissa jusqu'au chevalier en agrippant la portière, ses doigts osseux s'étaient refermés sur le bras d'épée du jeune homme. Le mort-vivant portait les restes débraillés d'une cotte de maille rouillée et un casque en métal sombre, cabossé, bringuebalait sur son crâne lisse.

D'une torsion du poignet, le chevalier lui fit lâcher prise et envoya le pommeau de son arme droit entre les deux cavités creuses qu'avaient été les yeux de la créature. Le crâne craqua et s'enfonça de plusieurs centimètre au niveau du nez, le choc projeta l'assaillant squelettique en arrière, il perdit l'équilibre et fut éjecté du véhicule.

Anton était lui aussi aux prises avec l'une de ces créatures. Armé d'une dague rouillée, le squelette tentait tant bien que mal d'égorger le mercenaire. D'une poigne de fer, ce dernier saisit l'avant-bras osseux qui le menaçait, empoigna l'arrière du crâne rendu rugueux par un séjour prolongé sous terre et le bascula en avant, lui faisant rencontrer sa lame décrépite. Anton se débarrassa de la carcasse désormais définitivement immobile et lança aux autre en jetant un coup d'œil autour d'eux :

« — Ces saloperies sortent de terre comme des flèches, faites très attention.

Puis, à la vue des piques et débris d'armures poussiéreuses jonchant le sol terne, ses yeux sombres s'étrécirent.

— Un champ de bataille, murmura-t-il, amer. »

D'autre squelettes se hissaient, de plus en plus nombreux, silhouettes grises ou jaunes se découpant sur l'horizon de nuage noires et d'éclairs rouges.

— Le Carrosse ne va pas tarder à s'arrêter, expliqua Jambar, inquiet. Mais je peux encore le pousser pendant quelques temps.

— Assez pour nous sortir de là ? demanda Sol en joignant ses paumes.

Des étincelles orangées dansèrent entre les doigts de l'érudit, la terre trembla et se dressa sous les pieds décharnés des squelettes qui furent projetés dans les airs, leurs mâchoires claquants dans une cacophonie cadavériques.

Les yeux gris de Jambar étaient braqués sur le paysage mort devant eux, imperturbables. Enfin, il se redressa sur son siège.

— Là ! s'écria-t-il. L'entrée d'une caverne, juste devant nous !

Effectivement, un monticule de pierre s'élevait au-dessus du désert de poussière. Sur un promontoire, accessible depuis le sol, on pouvait distinguer le pourtour d'une grotte.

— Tu veux qu'on se réfugie là-dedans ? s'écria Orm. Je te rappelle que ces truc se cachent sous terre. Se planquer dans un souterrain, ça me paraît pas être une très bonne idée !

— Tu as une autre suggestion peut-être ? Mais que... !

Jambar n'avait pas remarqué qu'un squelette s'était glissé jusqu'à lui, il ne put pas réagir à temps, les mains toujours sur le guidon du véhicule. Déjà une épée courte émoussée plongeait vers son cou. L'homme à la capuche essaya d'esquiver au dernier moment mais, gêné par sa conduite, ses chances étaient beaucoup trop minces. Alors que le crâne du squelette se fendait d'une grimace morbide, la lames rongée par la rouille s'arrêta net à quelque millimètres de la gorge de Jambar. Pas seulement la lame, mais tous les os du mort-vivant semblaient figés dans un étrange brouillard parcouru d'ondulation. Une exclamation triomphale de Sol accompagna l'étrange phénomène.

— Bravo apprentie ! Maintenant, débarrasses nous de cette vieille carcasse.

Emilia tendait ses mains tremblantes de concentration vers le squelette figé dans l'espace. Ses bras décrivirent un arc de cercle et la créature fut renvoyée à toute vitesse de là d'où elle était venue... par la voie des airs. Le squelette décrivit une splendide pirouette avant de se fracasser dans la poussière plusieurs dizaines de mètres plus loin.

— Excellente maîtrise Emilia, jubila le vieux géomancien. Une emprise parfaite, sur une créature magique en plus ! Je suis fier de toi.

Les joues couvertes de taches de rousseur de la jeune femme se tintèrent de rouge face au compliment de Sol. Puis elle considéra le visage dissimulé de Jambar.

— Merci... dit-il simplement.

Emilia pointa à son tour l'anfractuosité devant eux.

— je suis d'accord avec messire Jambar ! Il vaudrait mieux nous réfugier là-dedans que d'affronter ses choses au milieu du désert.

Comme pour souligner ses propos, le Carrosse émit un toussotement mécanique suivi d'une gerbe d'étincelles bleutées et commença à ralentir petit à petit. Jambar ouvrit sa portière et sauta au bas du véhicule.

— C'est ce que je craignais... Orm ! Prend autant de sacs de provisions que tu le peux, pas la peine de prendre le bois, juste l'eau et la nourriture.

— Compris ! répondit le colosse en sautant hors du Carrosse, sa hache de nouveau accrochée à sa ceinture.

— Sol, Elio, aidez-moi à tenir les squelettes en respect.

Anton avait empoigné Faucheuse et se dirigeait vers Orm, en train de décharger le Carrosse. Le chevalier et l'érudit lui emboîtèrent le pas. Jambar attrapa Emilia par le bras et lui fit signe de le suivre jusqu'à la caverne. Aussi vite que lui permettait sa robe ample, la jeune femme suivit tant bien que mal le mystérieux employeur, abandonnant le véhicule désormais inutile. Elle jeta malgré tout un regard en arrière pour voir Orm, les bras chargés de sacs, se précipiter dans leur direction. Sol leva les bras en l'air, dessina un large cercle avec ses mains qu'il plaqua ensuite au sol. Une immense gerbe de terre envoya valdinguer une dizaine de squelette. La jeune femme entendit le fracas de la lame d'Anton contre les os secs et le boucan de l'armure de plaque de Elio qui courait à la suite du barbare. Elle remarqua que le chevalier lui faisait de grands signes, comme pour la prévenir de quelques chose... Elle reporta son attention devant elle, pour tomber nez à crâne avec un squelette qui l'agrippa par les épaules en brandissant une masse d'arme tordue. La jeune fille n'eut même pas le temps de crier que, sortis de nulle part, les longs doigts de Jambar saisir la créature par derrière. Il la tira vers lui et effectua une torsion avec ses main au niveau de la "nuque" de la chose. Il y eut un claquement sec, le corps squelettique tomba en tintinnabulant, le crâne était resté dans les mains de Jambar. Il le jeta par-dessus son épaule.

— C'est bien la première fois que je fais ça sur un mort-vivant... Je suppose qu'on est quitte maintenant. Allez viens ! lança-t-il nonchalamment à Emilia.

Heureusement pour eux, les squelettes n'avaient ni l'agilité, ni la rapidité des Ombres et progressaient dans une parodie de marche rapide, ajoutant un caractère erratique à leurs silhouettes décharnées. Cependant, leur nombre croissant et les quelques pièces d'armures ou d'armes décomposées en faisait des adversaires plus coriaces au corps à corps. De plus les attaques à l'épée, à moins de leur transpercer directement le crâne, n'avaient presque aucuns effets sur leurs os durs et glissants. La méthode la plus efficace consistait à les briser en mille morceaux ou leur broyer le crâne à l'aide d'une masse. Anton tenait d'ailleurs son large espadon par la lame, se servant de la garde comme d'un immense marteau.

Après une progression difficiles au milieu des morts toujours plus nombreux à sortir de terre, ils atteignirent le monticule de pierre où Jambar et Emilia les attendaient. L'apprenti se servant de sa télékinésie pour faire pleuvoir des morceaux de roches sur les squelettes. Ils aidèrent Orm à monter les provisions et les autres se hissèrent au sommet de l'excroissance minérale. Elio, toujours gêné par son équipement mal conçu pour l'escalade, s'y repris à plusieurs fois et eut besoin de l'aide du mercenaire pour le tirer, ainsi que d'un squelette plus rapide que les autres dont il utilisa la tête comme appui. Ils n'eurent que peu de temps pour reprendre leur souffle, les carcasses s'approchaient de plus en plus et nul doute qu'elles pourraient se hisser sans trop de mal jusqu'à eux.

— Dans la grotte ! cria Elio en ouvrant la marche dans l'obscurité grise de la cavité.

— S'il te plais dis-moi que c'est pas un cul de sac, souffla Orm, toujours chargé des sacs de victuailles.

— Il y a une pente douce... ça n'a pas l'air glissant. Je crois qu'on peut y aller.

D'un coup de pied, Anton envoya un squelette s'écraser au bas du monticule. La horde caquetante était presque sur eux.

— On y va ! Maintenant ! vociféra-t-il.

Ils empruntèrent donc la piste descendant dans les ténèbres de la caverne.

— Sol, bloquez l'entrée pour qu'ils ne puissent pas nous suivre, ordonna Jambar à l'érudit.

— Quoi ? Mais nous n'avons aucune idée de... protesta le vieille homme.

— Faites ce que je dis, le coupa sèchement l'homme au foulard.

Ne sachant trop quoi faire, Sol appliqua ses mains sur la paroi de pierre. Un éclair orange s'échappa de ses paumes et le plafond de la caverne trembla. Les quelques squelettes déjà en train d'escalader furent surpris par un éboulis de roche qui scella l'entrée de la grotte. Plongeant les aventuriers dans le noir complet.

Tous restèrent silencieux...

— ...

— ...

— ...

— Sol ?

— Oui ?... Oh ! Désolé.

Les paumes du magicien s'illuminèrent de nouveau, il serra les doigts et les rouvrit en faisant le même geste que s'il jetait quelque chose en l'air. Une petite boule de lumière bleu se mit à flotter au-dessus du groupe, éclairant les parois du souterrain comme en plein jour.

— Restez groupés et ne me perdez surtout pas, leur dit Jambar en passant devant.

Tous hochèrent la tête et le groupe repris sa route, sans véhicule, dans les profondeurs des Terres Bannies.

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