Chapitre 1 : L'épreuve

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Après des heures de recherches, elle est enfin là. La Précieuse. Nous avons tourné en rond, à la faveur de la lune, le long de ruelles crasseuses pour la trouver. Le plan dessiné par notre examinateur laissait à désirer, mais notre talent nous a permis de faire la différence. Lorsque nous nous sommes rendu compte que nous lisions la carte à l'envers, le reste n'a été qu'une formalité.

Nous sommes un trio de voleurs en apprentissage. Lorsque la Confrérie des Ombres noires – quel nom stupide ! A-t-on déjà vu des ombres vertes ou bleues, je vous le demande ? - nous a pris sous son aile, nous avons saisi l'opportunité de marcher dans le glorieux sillage de nos pères. Après une rude formation de plusieurs semaines, nous voilà prêts à relever notre premier défi. Si nous réussissons la mission que le Grand Conseil nous a assignée, nous rejoindrons l'organisation en tant que voleurs attitrés ! Mais ne sautons pas les étapes.

Le « nous » désigne le « Trio des Prodiges ». Nulle vantardise dans cette appellation pompeuse. Juste le lourd fardeau que nous devons porter chaque jour en l'honneur de notre illustre descendance. Il est en effet difficile de succéder à mon père le Phénix Ecarlate, une sommité dans le domaine du larcin. Quand je dis larcin, je ne parle pas de vol à la petite semaine dans une rue miteuse de la basse ville. Mais de grands coups qui ont défrayé la chronique, au point de devenir des chansons épiques déclamées par tous les ménestrels et les troubadours du pays. Au grand dam des autorités, qui jamais, malgré tous les efforts déployés, ne parvinrent à mettre la main sur lui et ses complices, Erasmus le Glorieux et Eldor l'Eclatant. Avec des noms de scène pareils, il faut assurer derrière, croyez-moi. Pourtant, jamais nos parents ne firent honte à leurs surnoms. Vous vous souvenez sûrement du vol de la Trou-pète d'Augustin Flatulus, cet instrument à vent qui s'insère entre la raie des... enfin, pas besoin de vous faire un dessin, je crois ! Bref, alors qu'un concert très attendu devait avoir lieu en ville un soir d'abros 1243 [1], Le Phénix Ecarlate et ses compères pénétrèrent dans la loge du célèbre musicien et s'emparèrent du précieux engin, au nez et à la barbe de tous. Depuis ce jour, on peut l'admirer dans la salle des trophées de mon père, en bonne place entre le Collier de Jade de la princesse Orlane et l'Artichaut Suicidaire Widget, entre autres souvenirs d'opérations de haut vol.

Autant dire que la pression qui accompagne notre quête est bien réelle. Moi, Le Grand Martini, escorté de mes fidèles acolytes Eros le Humble et Grégoire le Simple, sommes prêts à braver tous les obstacles !

Quoi ? Vous trouvez que nos surnoms manquent d'éclat ? Certes, vous n'avez pas tort, mais au moment de choisir nos sobriquets, un immense poids nous a soudainement contraints à jouer la modestie. Et si, malgré le sang des héros qui coulait dans nos veines, nous n'étions pas dignes de l'empreinte laissée par nos géniteurs ? Ne vaut-il pas s'effacer d'abord pour mieux briller ensuite ? Je vous incite à réfléchir à cette pensée, avant de poursuivre votre lecture.

Bref, mon vrai nom est Arturio San Pellegrino. Vous voyez le souci ? Pourquoi pas Perrier, tant qu'on y est ? Sachant que notre famille se targue d'avoir une des meilleures descentes d'alcool de la région, notre patronyme est un affront à notre mode de vie. Il m'a donc semblé tout naturel de réparer cette erreur que le destin nous a infligée, à moi et à ma famille. Je suis ainsi devenu Le Grand Martini qui rappelle, outre un célèbre magicien de troisième zone, que l'ivresse rythme ma vie chaque soir depuis ma naissance - ou presque - sauf cette nuit, bien entendu. Je suis exceptionnellement sobre afin de mettre toutes les chances de notre côté.

Près de moi, mes servi... compagnons : Emile Constantinos dit Eros le Humble et Grégoire Astis, dit Grégoire Le Simple. Je sais ce que vous vous demandez : pourquoi cet idiot a-t-il gardé son prénom ? La réponse est dans la question : c’est un idiot ! D'où le complément : « Le Simple ».

Tous les trois, nous prouverons à nos parents que nous sommes dignes de leurs exploits d'antan et qu'ils ont commis une erreur en nous refusant l'entrée dans leur propre confrérie.

Vous pensiez que nous étions dans la même guilde que nos pères ? Eh bien non ! Et croyez que ça nous a surpris autant que vous ! Les voies du pist... du succès nous tendaient les bras et voilà que la dure réalité se rappelait à nous. Nous devions faire nos preuves par nous-mêmes et faire fi de notre glorieux héritage familial, sans toutefois renier le chemin de nos prestigieux aînés. Que de belles paroles pour nous dire de nous démerder seuls ! Je peux vous assurer que je l'ai senti passer, ma gueule de bois, ce matin-là.

Mais qu'importe ! La Confrérie des Ombres noires – pourquoi noires, bon sang ? - nous offre l'opportunité de nous démarquer et montrer au monde ce dont nous sommes capables ! Notre mission consiste à nous emparer d'une étrange statue qui parle, dans la villa d'un riche marchand de retours d'un de ses voyages d'affaires. La particularité de cette effigie, outre le fait qu'elle est plus bavarde que mon perroquet, réside dans son intelligence. Vous pouvez discuter avec elle de la pluie et du beau temps. Elle vous répondra. Plus fort encore, elle a, parait-il, le don de prescience. Oui, vous ne rêvez pas ! Elle connaît avant moi, la couleur du slip que je porterai le lendemain. Troublant, je vous l'accorde.

Je subodore la supercherie, mais qui suis-je pour refuser cette mise à l'épreuve ? Nous ne serions pas les fils de nos pères si nous reculions devant pareil challenge. C'est ainsi qu'après deux heures à déambuler dans les rues où se mêlent entre autres des odeurs de nourriture et d'urine, nous arrivons devant la porte. Celle marquée d'une croix sur notre plan gracieusement fourni pour notre maître-voleur.

Les choses sérieuses commencent maintenant. Si nous voulons accéder au sous-terrain qui nous mènera vers la résidence du dit marchand, il va nous falloir la franchir. Et vite, car il nous a fallu deux heures pour la trouver au lieu des cinq minutes estimées par notre instructeur.

J'ordonne à mes complices de surveiller les environs pendant que j'évalue à quoi nous avons affaire. Je me souviens des dernières paroles de Maître Octavio, avant notre départ de notre repaire secret, dans les égouts de la ville.

— Prends garde Martini, m'avait-il dit en fronçant les sourcils. D'après mes sources, cette entrée n'est pas comme celles que nous avons l'habitude de crocheter. Tu devras faire preuve d'ingéniosité pour percer ses défenses.

Allons bon ! Le contraire aurait été étonnant. Heureusement, je me suis préparé à toute éventualité. Mon sens du bagou va une fois de plus nous sortir de la panade. J'en suis persuadé. J'ai appris par cœur les formules à réciter en cas de porte récalcitrante.

À première vue, celle que j'ai en face de moi ne déroge pas aux milliers d'autres que j'ai traversé au cours de mes dix-sept années d'existence. Ce n'est pas celle-ci qui y changera quelque chose.

Toute de fer vêtue, elle se dresse fièrement devant moi. Je m'attends à une demande de mot de passe, mais elle reste obstinément muette.

— Ouvre-toi, clamé-je alors. Je te l'ordonne.

Je fais rouler les « r » comme on me l'a appris durant ma formation en « crochetage magique ». L'accent hispanique « brise » plus facilement leur défense, parait-il. Ne vous étonnez pas. Désormais, la magie n'est plus réservée aux seuls mages. Nous les voleurs, nous disposons aussi de sorts simples, mais censés ouvrir les passages les plus tenaces. En théorie.

Je répète mon incantation, mais rien ne se passe. À tous les coups, je suis tombé sur le tout dernier modèle. Celui formé pour rester sourd aux injonctions magiques. Les portes qui savent tenir leur langue se font rares de nos jours. C'est bien ma veine.

Je décide de changer de tactique. Elle ne va pas me résister longtemps, soyez-en sûrs !

Après avoir épuisé mon stock de sortilèges en pure perte, je commence à croire que notre aventure va prendre fin avant de commencer.

Puisque c'est comme ça, passons aux choses sérieuses. Les ordres ne fonctionnent pas ? Pas de problème. Phase 2. Le tactile. Avec douceur, je caresse la surface métallique en un lent va et viens et lui susurre des mots doux. Cette fois, je suis sûr de mon coup. Aucune porte ne peut rester de marbre face à un tel traitement. Je jette un œil derrière moi, espérant que personne ne soit témoin de mon petit jeu. Ce genre de douceurs est d'ordinaire réservé aux femmes. En venir à de telles extrémités avec une porte relève presque de la prostitution. Heureusement, à part Eros et Grégoire, il n'y a pas âme qui vivent aux alentours. Je peux donc m'avilir sans retenue. Vas-y que je te la bichonne cette fichue porte. Je la masse, je lui chante une chanson. Je lui récite même un poème que j'ai écrit pour une donzelle un soir de beuverie, mais rien n’y fait. Elle refuse de s'ouvrir la sauvageonne !

Mon petit jeu dure bien une quinzaine de minutes avant que Grégoire déclare d'un air innocent :

— Si on utilisait un philtre d'amour ? Avec ça, elle va céder, c'est certain.

Je soupire un grand coup avant de me retourner. Je l'attendais, cette remarque, je l'attendais !

— Non, non, mon cher Grégoire, il est hors de question de te dépuceler avec une porte. On te la déjà dit pourtant !

— Mais puisque rien ne fonctionne !

Comprenez-le, le pauvre. En plus d'être simple, notre ami Grégoire n'est pas ce que l'on pourrait appeler un canon de beauté. Il n'a jamais pu tremper sa nouille, au grand désespoir de son père, un coureur de jupons invétéré. Alors forcément, le philtre d'amour « spécial porte », ça vous titille les hormones.

Tout le monde sait qu'il ne faut jamais utiliser ce genre d'artifice pour franchir un passage gardé. Une fois le sortilège lancé, la porte sort de ses gonds et ne vous lâche plus d'une semelle. Elle vous suit partout, nuit et jour, en vous harcelant de la « combler » . Par combler, je veux dire... sexuellement. Oui, je sais ça fait peur, n'est-ce pas ? Vous avez vu la taille d'un trou de serrure ? Maintenant, regardez la taille de votre engin et vous comprendrez qu'il y a I.N.C.O.M.P.A.T.I.B.I.L.I.T.E. Un homme n'est tout simplement pas fait pour assouvir ses besoins avec une porte. On a déjà vu des spécimens menacés de se suicider, si son partenaire refusait l'acte. Il n'est pas rare d'assister d'observer des personnes à bout se jeter d'un pont plutôt que céder aux avances de ces furies nymphomanes.

Bref, les philtres d'amour, c'est pour les cas désespérés. Je suis d'ailleurs en train de me demander ce qui serait préférable : me faire poursuivre par cent kilos d'acier en manque de zigounette ou bien revenir la queue entre les jambes auprès de nos pères après cet échec cuisant.

Heureusement, on peut toujours compter sur Eros pour nous sortir des situations délicates. Alors que je suis prêt à capituler face aux caprices de Grégoire, le troisième larron de notre équipe de choc nous apostrophe :

— Et si cette porte était un modèle de l'Ancien Monde ?

Le gus nous sort ça, les paupières plissées, comme s'il était en grande concentration. Il faut savoir qu'Eros a toujours eu les yeux bridés. Il est né comme ça. C'est le seul dans sa famille à posséder cette particularité. Son père le regarde souvent bizarrement, avant de pousser un profond soupir. Je suppute que son père ne soit pas son père, mais jamais, au grand jamais, je n'irais lui vendre la mèche. Il risquerait de mal le prendre et de quitter le trio. Comme c'est le plus intelligent du groupe, je ne pense pas que ce soit une bonne idée qu'il s'en aille. Alors, on fait comme si de rien n'était. On lui répète souvent qu'il tient de son paternel (qui qu'il soit) et ça lui remonte le moral aussitôt. Heureusement l'intelligence a ses limites.

Mais revenons à notre porte (oui c'est effectivement le mot le plus répété de cette histoire. Tu as un œil de lynx, cher lecteur).

La remarque d'Eros n'étant pas dénuée d'intérêt, je reporte mon attention sur le battant.

— Regarde, rajoute-t-il, confiant. Il y a même une poignée comme dans les illustrations des vieux livres des légendes.

Le bougre a raison ! Comment ce détail avait-il pu m'échapper ? Nous aurions donc affaire à un modèle qui ne parle pas, qui a une poignée et qu'il faut tourner manuellement ? Impensable ! Il me suffirait de tourner le bouton pour accéder au sous-terrain ? Avec appréhension, ma main s'approche et fait pivoter d'un coup sec la clenche. Elle s'ouvre. Comme ça ! J'ai perdu une demi-heure à me donner en spectacle face à un panneau de métal antique sans aucune conscience !

Le ridicule ne tuant pas, je repris vite contenance et intimait à mes compagnons de me suivre.

Notre mission a débuté depuis maintenant plus de deux heures trente et nous avons enfin ouvert la porte. L'aventure peut commencer. Qui sait quels dangers nous devrons relever dans ces sombres tunnels ?

Ne manquez pas la suite des péripéties rocambolesques du « Trio des Prodiges ».

[1] Note de l'auteur. Cette histoire se passe dans un monde imaginaire. Ne m'en veuillez pas si les mois ne sont pas ceux communément admis. De plus, toutes ressemblances avec des lieux, personnages ou objets existants ne seraient que pures coïncidences (la plupart du temps en tout cas). Merci de votre compréhension.

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