Chapitre 1

4 minutes de lecture

Un homme se dirigeait vers moi. Je ne distinguais que le contour de son corps. Il était à plus de cinq cents mètres, mais nous le savions. Notre mort était imminente, je connaissais déjà notre destin.

 Mais avant que vous ne vous imaginiez que je suis folle, laissez-moi vous conter mon histoire…

 Tout commença le deux Juillet de l’année deux mille deux cent douze. Ma maman allait mettre au monde le plus beau des bébés. A ma sortie, les médecins étaient formels, je devais mourir quelques jours après. J’avais développé un cancer des os alors que je n’étais encore que dans le ventre de ma mère, vers mes vingt premières semaines de vie.

 En apprenant cette nouvelle, ma maman comptait me donner les plus beaux jours de ma vie sans songer à ma future mort. Et c’est là que tout bascula. Je découvrais que je n’oublierais jamais la sensation de ma naissance, ni même de ma vie d’embryon. Je me souviendrais de ses mots qui me réconfortait tant quand j’avais peur de la solitude dans son ventre. J’avais une mémoire parfaite, une mémoire eidétique.

 Les trois premiers jours, je pleurais. Pas seulement de faim ou de sommeil, mais les médecins expliquaient chaque jour les protocoles de mon enterrement. D’après eux, il fallait y penser. Les infirmières s’occupaient chaque jour de moi en ayant de peur de me blesser. Mon corps était si faible mais mon esprit si fort. Je songeais déjà à mon avenir près de ma mère. Je l’imaginais me regardant jouer dans les pâquerettes de notre jardin, où je tomberai sur un petit escargot et que je l’appellerai Léo, mais qu’il s’enfuirait et qu’elle serait là pour m’expliquer que, lui aussi, avait une maman qui l’attendait pour le dîner.

 Le quatrième jour, je n’arrivais plus à me nourrir au biberon. Personne ne voulait que je prenne le sein, alors que c’était ce que je recherchais. Je souhaitais avoir un contact physique avec ma maman. Je désirai plus que tout sentir sa chaleur, ses câlins qu’elle m’avait promis, ces balades dehors avec le soleil qui taperait ma peau de bébé.

 Le cinquième jour, il fallait que je réagisse. Les infirmières suppliaient les Dieux d’épargner ma vie et je n’en pouvais plus de les entendre. Alors comment leur faire comprendre que c’était ma maman dont j’avais besoin ? J’avais commencé à distinguer les formes trois jours auparavant, et depuis la veille, le monde était devenu clair. Je distinguais du son sortir de leur d’une forme vers le bas de leurs visages. Ça s’ouvrait, se fermait, s’étirait, se déformait à leurs grés. Avais-je la même chose ? Avais-je deux lignes roses, pulpeuses ou non, petites ou grosses, avec des formes aussi différentes les unes des autres sur mon joli minois ? Mais alors, étais-je capable de créer des sons avec cet appareil ? Si les adultes, comme maman les appelait, savait les émettre, j’étais apte aussi. L’entrainement était la clé. J’essaye alors des choses simples mais le manque de nourriture se faisait ressentir, j’allais m’endormir sans même avoir réussi.

 Mon sixième jour, je le consacrais à l’exercice. Les infirmières m’écoutaient gazouiller et, d’après elles, il était beaucoup trop tôt pour le faire. J’en concluais que j’étais en avance sur les autres bébés. Peut-être n’avaient-ils pas ma mémoire ? Il ne fallait plus perdre de temps, la sonde qui reliait la poche à mon estomac me nourrissait, mais ne me permettait pas de vivre. D’ailleurs, je devais dormir quand il me l’avait posé, je n’en avais aucune souvenir.

 Le septième jour, mon apprentissage porta ses fruits.

 - Ma-ma-ma-man

 Oui, j’avais réussi. J’étais arrivé à prononcer mon mot préféré. Maintenant, il fallait recommencer devant une infirmière. Sauf si…

 - Le bébé a parlé, je t’assure ! Je ne suis pas folle, il a dit maman !

 Bon, il fallait que je le refasse. C’était le moment de me battre pour ma future vie près des pâquerettes.

 - Ma-ma-man

 - Non d’un hiver glacial… Ce bébé parle…

 Je croyais, à l’époque, que tous les bébés parlaient dès leurs plus jeunes âges. Encore une mauvaise déduction.

 - Bon, bon, bon… s’il réclame sa mère, appelez-la, faites quelques choses !

 Elle avait l’air paniqué, les trois infirmières autour de moi me déplaça dans une autre salle. Je discernai les mots test, monstre et divin sans pour autant comprendre le sens de la discussion.

 - Madame, excusez-nous de vous déranger, mais nous pensions que votre bébé voudrait vous voir. 

 J’allais enfin entendre la voix de ma maman.

 - Pour de vrai ? Ai-je le droit de porter mon bébé ? Ou peut-être… Va-t-il mourir ?

 En fait, j’avais l’impression qu’elle était affolée plutôt qu’heureuse.

 - Nous avons des tests à lui faire, mais pour l’instant nous souhaitions que vous profitiez de votre enfant.

 - Puis-je le prendre ?

 - Bien sûr. Installez-vous sur le fauteuil juste ici.

 Enfin, j’allais voir autre chose que le plafond. Pourrai-je enfin voir le visage de ma mère ? Était-elle aussi belle que je pouvais me l’imaginer ?

 - Il faut que je vous prévienne d’une chose, nous pensons que l’enfant... parle…

 - Parler ? Mais il n'a qu'une semaine ! Comment est-ce possible ?

 - Nous n’en savons rien pour le moment, c’est pour cela que nous souhaitions faire des tests. C’est peut-être ce qui expliquerait le fait que nous ne savons pas si c'est un garçon ou une fille…

 - Faites les tests qu’il faudra. En attendant, passez-moi mon enfant.

 Je désirais ce contact depuis plus de neuf mois. Ma maman allait enfin me donner ce que je souhaitais, ses défenses. L’infirmière me porta alors aussi délicatement qu’une plume qui se déposerait sur l’eau puis elle m’amena vers ma génitrice et me déposa dans un cocon d’amour. J’étais enfin où je me languissais d’être, dans les bras de ma maman.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Sandy Beauvallet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0