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- Petit clin d'oeil vers le prologue ;)))) -

– Qu’est-ce qu’il s’est passé, en fait ? s’enquit doucement Cornélia.

Blanche se souvint de sa séance d’espionnage, à l’auberge. « Depuis que ton secteur a été ravagé, les gens… sont pas super enthousiastes à l’idée d’être sous tes ordres. »

Elles crurent qu’Aaron allait leur répondre que cela ne les regardait pas, mais contre toute attente, le garçon entrouvrit un peu sa carapace.

– Un truc banal dans la Strate, dit-il sourdement. Actéon et ses potes ont annexé notre territoire. (Il rentra la tête dans les épaules, fixant la table.) Ce jour-là, Aegeus était parti voir Homère. J’étais avec lui. Il prenait toujours un boyard pour voyager chez un allié, jamais plus. On avait laissé les autres sur place, comme d’habitude… Tout était vraiment comme d’habitude.

Il déglutit. Cornélia observait ses phalanges blanchir sur le bord de la table.

– Mais quand on est revenus… C’était… C’était un carnage. Quelqu’un les avait tous tués, humains et nivées. Même les monstres de combat. On les a retrouvés ouverts en deux dans leurs enclos, pour ceux qui étaient encore là. Un massacre. Il y avait encore les harpies sur place… Elles finissaient le travail… Bordel, ces salopards avaient payé les archanges et les harpies pour nous foutre en l’air. Tout était dévasté. Il restait plus rien.

Il expira dans un souffle.

– Même Enzo… Asmar…

Sa voix portait tant de douleur que même Blanche n’osa pas demander à qui appartenaient ces noms. Iroël se taisait, un peu en retrait, un éclat de compassion dans ses prunelles sombres. Aaron remarqua enfin que tout le monde était pendu à ses lèvres – et que la pitié luisait dans leurs yeux. L’adolescent se redressa d’un coup et leur lança un regard venimeux, si noir qu’il aurait pu leur brûler la peau. Soudain, il avait retrouvé son masque cynique.

– Qu’est-ce que vous regardez ?

Cornélia toussota et leva les yeux vers le plafond, espérant que la tension se dilue un peu, qu’ils pourraient revenir à cette histoire de carte beaucoup moins oppressante, mais Blanche ne l’entendait pas de cette oreille.

– Mais attends, Actéon, les archanges… s’exclama-t-elle. Les coupables ont été punis ? Pour avoir tué…

– Y a pas de coupables dans la Strate, répondit Iroël. Parce qu’il y a pas de loi. Il y a juste des forts et des faibles. Et c’est facile de passer de l’un à l’autre.

La blondinette se tut un instant, le temps d’intégrer ce nouveau paramètre à sa vision – très floue – de la Mégastructure.

– Bon d’accord, mais si c’est la guerre perpétuelle, alors pourquoi Aeg est parti comme ça, en laissant son territoire ouvert à tous les vents ? s’indigna-t-elle. Il n’avait pas… Il n’y avait rien pour défendre l’endroit ?

Aaron eut un éclat de rire sans joie, très bref.

– Des gars et des filles armés, des monstres de combat de classe A et même un doppelgänger, tu appelles ça sans défense ? Ils se sont battus. Mais les harpies sont invincibles. (Il pressa les poings sur ses yeux fermés.) Les harpies, putain. Actéon et les autres ont dû les payer une fortune. Avant, Aegeus avait des alliés... Des immortels qui dissuadaient ses ennemis. Mais ses relations s’abîmaient depuis quelques temps, parce que des salopards allaient braconner chez eux en se faisant passer pour nos gars. Comme si le chef ne respectait plus leurs accords et allait leur piquer des bêtes. (Il secoua la tête.) Putain, ces connards avaient tout préparé, c’était parfait. D’abord saboter ses alliances, ensuite raser tout le secteur. Et maintenant, il appartient à Actéon.

Il serra les dents.

– Les corps de nos gars doivent encore y pourrir. À moins qu’elle les ait vendu à Argos en pièces détachées… mais ce tordu préfère abattre ses obèses plutôt que faire le charognard chez les voisins.

Il crispa ses poings gantés de cuir noir. Il portait encore ses mitaines ; c’était à croire qu’il ne s’en séparait jamais.

Tout le monde se taisait dans le salon. L’adolescent exsudait tant de colère et de chagrin que Cornélia n’osait pas placer un mot – et que dire ? Blanche n’eut pas tant de scrupules. Elle ne savait pas réagir à la souffrance des autres, ce n’était pas nouveau. Irrémédiablement, elle paniquait et sortait la première phrase qui lui passait par la tête… et cette fois, elle n’avait plus de question à poser.

– Hé, mais j’ai quelque chose qui peut vous aider !

Elle rougit sous le feu des regards qui se braquaient sur elle.

– Pour votre trajet, je veux dire, précisa-t-elle.

Elle courut à sa chambre pour échapper aux yeux inquisiteurs d’Aaron et revint en brandissant un grand livre relié de cuir rouge, enluminé d’or.

– Regardez ça ! s’exclama-t-elle. Je l’ai trouvé à l’auberge. Vous n’avez pas besoin de faire votre carte à la main : toute la Vingt-Cinquième heure est cartographiée dans cet atlas !

Cornélia soupira, à peine surprise devant son culot. Iroël et Aaron ouvrirent des yeux ronds.

– Tu as volé un des livres de Morta ? articula l’adolescent.

– Emprunté, pas volé, décréta Blanche en levant les yeux au ciel. Je rends tout, moi, ok ? Je l’ai même pas encore ouvert, d’ailleurs.

Il lui prit le livre des mains en secouant la tête, résigné.

– Les frontières bougent tout le temps, commenta-t-il en cherchant dans l’index. Le bouquin sera peut-être complètement à côté de la plaque, selon l’époque à laquelle il a été fait. Voyons voir… Ah, c’est là. 2000-2050.

Il ouvrit l’atlas en grand. Une double page apparut sous leurs yeux, découpée en une infinité de zones, chacune d’une teinte sépia légèrement différente. Ils se penchèrent tous dessus et les deux sœurs écarquillèrent les yeux.

La rose des vents en haut de la page, dont chaque flèche représentait un crâne de dragon en arabesques, n’indiquait pas l’ouest, ni l’est. À la place, elle clamait « passé » et « futur ».

Graduée sur une ligne horizontale, cette portion de carte s’étendait de l’année 2000 à l’année 2050.

– Qu’est-ce que… commença Cornélia, perplexe.

– Les magouilles temporelles… chuchota Blanche d’un air émerveillé.

– Bon, c’est pas trop mal, marmonna Aaron. Le livre a l’air récent. Certaines frontières ont bougé depuis et le secteur du chef est passé aux mains d’Actéon, mais on va faire avec.

Il s’empara du stylo et commença à corriger les tracés directement sur les pages vernissées de l’atlas, ce qui hérissa les poils de Blanche.

– Mais fais pas ça ! glapit-elle. Sagouin ! Recopie la carte, c’est pour ça que je te l’ai apporté !

Elle voulut lui arracher le grand livre, mais il chassa sa main d’une tape et continua de le martyriser.

– Il est à la vieille, on s’en fout, siffla-t-il entre ses dents. Autant que ça nous serve. Bon, regardez, l’auberge est là. (Il leur montra un symbole minuscule en forme de porte entrouverte.) Sur les cartes, les passages qui relient les deux dimensions sont représentés par des portes. C’est d’ici que le convoi partira. Lyon, 2020. Votre ville, à votre époque. (Il souffla avec rage.) Dans la Strate, c’est en plein milieu du putain de territoire d’Actéon.

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