73 - Des surprises devant la porte

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Cornélia revit la créature qui avait surgi dans la rue pour s’abattre sur la meute d’anges, au même instant que le chien noir. La bête était trapue comme un ours, avec ses pattes courtaudes, son pelage de blaireau et son sourire démesuré, ourlé de crocs. Sortie de nulle part pour obéir à Aegeus, elle avait eu le même effet sur les anges qu’une moissonneuse-batteuse dans un champ de blé.

« Il doit être en train de se rhabiller quelque part. »

Tout s’assembla dans sa tête.

Elle saisit le bras de Blanche et s’apprêta à la tirer en retrait pour lui déballer ses conclusions, mais fut coupée net dans son geste en apercevant la porte de leur appartement.

Plusieurs cartons de grande taille étaient posés devant. Greg les reniflait, l’air très intéressé par l’odeur qu’ils portaient.

Muette, Cornélia jeta un œil vers Iroël, adossé au mur, qui attendait patiemment qu’elle se décide à déverrouiller la porte. Il lui retourna son regard sans aucune réaction.

– C’est quoi, ça ? lança-t-elle enfin en désignant les colis empilés. T’es sérieux, vraiment ?

Elle avait déjà prévu de mettre dehors leurs hôtes indésirables – sa sœur et elle venaient de frôler la mort à cause de leur présence – et ce comité d’accueil lui confirmait qu’elle avait raison. Blanche poussa un cri surexcité en apercevant les boîtes mystérieuses, avant de s’y précipiter. Le jeune homme fronça les sourcils, fusillé du regard par l’aînée.

– Quoi ? C’est pas moi.

– Très drôle, marmonna Cornélia.

Elle contourna Aaron, qui s’appuyait à moitié contre le mur en y laissant des empreintes sanguinolentes, et rejoignit sa sœur dans son déballage.

Lorsque Blanche ouvrit le plus grand des cartons et jeta un coup d’œil à l’intérieur, son expression ravie changea du tout au tout. D’abord vint la surprise. Puis la peur. Une peur qui se changea bientôt en terreur.

– Qu’est-ce que… balbutia-t-elle.

– Ah ! sourit Aegeus, qui les observait calmement. C’est peut-être pour moi, en fait. La cargaison a dû arriver plus tôt que prévu.

Cornélia se pencha sur le contenu et verdit d’un coup.

Une dizaine de canons longs et noirs, meurtriers et silencieux, côtoyaient des gâchettes aux angles acérés.

Des mitraillettes.

Le carton était rempli d’armes.


***


– Je veux que vous partiez, articula Cornélia.

Aegeus continua d’inspecter méthodiquement sa marchandise, sortant les armes les unes après les autres pour les poser sur leur tapis.

– Ah oui ? dit-il d’un ton distrait.

Elle tapa du pied. Une fois. Ce réflexe d’Oupyre avait fini par la contaminer – d’ailleurs, la hase sursauta à l’autre bout du salon en l’entendant faire. Aegeus leva enfin la tête vers elle.

– Oui, martela-t-elle, les dents serrées. Vous nous mettez en danger. D’abord les anges et les archanges…

– On vous a sauvées alors qu’on aurait pu s’abstenir, estimez-vous heureuses, soupira-t-il. Ne me fais pas regretter mon élan d’altruisme. Un merci te ferait si mal ?

Son sang ne fit qu’un tour. Remercier celui qui était justement la cause de ce bordel ? Elle frotta son menton blessé, furieuse.

– Merci, dit-elle d’un ton qu’elle aurait pris pour dire « Va mourir. » Et maintenant, des armes ! Des mitraillettes et des…

À court de mots, elle désigna les canons courts et massifs qui s’amoncelaient sur le plancher.

Glock 18, lui apprit-il aimablement. Pistolets-mitrailleurs.

Elle grinça des dents et jeta un œil vers les autres, espérant trouver du soutien, mais peine perdue : Blanche étudiait la constitution d’une des armes avec précaution, Iroël s’était remis à la fabrication de ses masques et Aaron dormait à moitié sur le canapé, roulé en boule dans un plaid, sa veste ensanglantée tournant dans la machine à laver.

– Vous êtes complètement dingues ! enchaîna-t-elle. Tu te rends compte de ce qu’on va prendre si quelqu’un trouve ce genre de choses chez nous ? Tu es un danger public !

L’homme désigna Oupyre qui découpait un bout du tapis avec ses dents, apparemment enchantée à l’idée de l’emporter dans son antre morceau par morceau.

– Si quelqu’un vient, je pense que vous aurez bien d’autres chats à fouetter, sans vouloir t’offenser. Et même des lapins avec.

– La faute à qui ? fulmina-t-elle. Il est hors de question que vous établissiez votre QG ici ! Pas avec des armes et alors que des psychopathes incluant chiens et anges veulent vous faire la peau ! Laissez-nous tranquille, retournez vivre à l’auberge. Ton convoi part bientôt, non ? C’est pour ça que tu reçois ces… ces choses ici ?

– Il nous reste encore certaines choses à planifier avant de lever le camp, dit-il en faisant rouler sa nuque – elle grimaça en l’entendant craquer. Mais oui, tu as raison, le départ est proche. Et je compte bien rester ici jusque-là. Les anges et les chiens ont Morta dans leur viseur ; je vais retourner à l’auberge chercher mes bêtes, mais j’ai pas intérêt à rester là-bas. Je vais rendre la chambre. (Il leva ses yeux miroir vers la jeune femme. Ils étaient emplis d’une désarmante franchise.) Je vous déconseille de sortir de nuit, maintenant. Ils vous ont repérées, ta sœur et toi.

Il termina de vider le carton, puis vérifia le chargeur de la dernière arme avec les gestes d’un habitué.

– Et maintenant, ils savent que s’ils vous attrapent, il y a des chances que je me pointe pour vous sauver la mise, donc ils vont essayer de remettre ça. (Il la poinçonna du regard en souriant.) Sauf que je ne viendrai plus vous chercher, c’est compris ? Ma peau vaut trop cher par rapport à celle de deux gamines. Donc ne vous faites plus avoir.

– Que… quoi ? s’étrangla-t-elle. Tu vas continuer de nous mettre en danger et en plus, tu nous laisseras crever s’ils remettent ça ? Tu es sérieux ? Il faut que tu t’en ailles avec Aaron ! Maintenant !

Mais plus elle s’énervait et plus elle réalisait – une fois de plus – qu’elle n’avait aucun, strictement aucun moyen de le convaincre, de l’obliger ou de le forcer à faire quoi que ce soit.

Souviens-toi des voisins…

Comme s’il avait entendu ses pensées, il leva la tête à nouveau.

– T’es toujours en vie, Corny, de quoi tu te plains ? (Elle rougit violemment, de honte et de colère, un peu troublée aussi par le surnom.) On s’en va bientôt, alors tiens le coup ou déménage. Ce que je veux, c’est votre appartement, mais je peux me passer des deux fillettes qui sont dedans. Je te l’ai déjà dit. Ça me saoulerait de vous donner en pâture à mes bêtes après m’être cassé le cul pour vous sauver les miches, parce que je vous aime bien, mais je le ferai si besoin. Donc ne me cherche pas. Compris ?

Elle se contenta de le fusiller du regard.

– Ne m’appelle pas Corny.

– Ouais, renchérit Blanche derrière elle. J’ai posé un copyright sur ce surnom quand j’avais dix ans. Paie-moi des royalties si tu veux l’utiliser, Aeg.

Aegeus et Cornélia en restèrent comme deux ronds de flan, le premier à cause du surnom ridicule, la seconde parce que Blanche n’était pas une seule fois intervenue dans leur discussion pour la soutenir. Jusqu’à ce moment-là.

– Ne m’appelle pas Aeg, rétorqua-t-il sèchement.

– Pourquoi ? J’aime bien, moi, ça rime avec Greg.

Mila dieus, c’est encore pire !

– Je trouve ça seyant, conclut-elle en haussant les épaules. Tu n’as pas de goût, Aeg. (Elle lui lança un coup d’œil malin.) Tu vas les utiliser pour quoi, tes mitraillettes ?

Cornélia eut envie de s’arracher les cheveux. Cela lui arrivait beaucoup trop souvent ces derniers temps. Elle en avait plus qu’assez. Quand Aegeus les traitait de gamines ou réquisitionnait leur appartement en faisant comme chez lui, quand Blanche soutenait leurs hôtes sans se soucier des conséquences et du danger qui les menaçait, quand l’aînée avait l’impression d’être la seule à posséder une once de logique et de sens commun, elle se sentait comme une foutue cocotte-minute sur le point d’exploser.

S’ils restent ici, la frustration me tuera plus vite que les anges.

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