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[Avant toute chose :

1 - Pour ceux qui n'ont pas vu, j'ai écrit un prologue à l'histoire, qui a été posté avant le chapitre 1 8D Il se passe dans la Strate, hehehe

2 - Deux croquis de dragons orchidées vous attendent dans les commentaires :D ]

Le petit dragon ne dérangeait pas Cornélia, puisque ce n’était pas elle qui subissait le principal contrecoup de sa présence. Il ne mangeait rien, passait sa journée à somnoler, et passait inaperçu aux yeux des autres bestioles, même de Greg.

En revanche, la jeune femme se serait volontiers débarrassée d’Aegeus, car elle détestait plus que tout tomber sur lui au coin du couloir quand elle se promenait dans son vieux pyjama ; mais l’homme aux écailles semblait bien décidé à faire comme chez lui.

Elle essaya de faire contre mauvaise fortune bon cœur – après tout, leurs invités indésirables ne volaient rien, ne dormaient pas à l’appartement, ne jouaient pas trop aux pique-assiettes et se contentaient de squatter le canapé ou de tenir des conciliabules secrets à une heure du matin – mais lorsqu’elle se retrouva nez à nez avec deux chats-serpents, un soir, la moutarde commença vraiment à lui monter au nez.

Dans sa chambre ! Elle était sur le point de reconquérir son lit, le basilic se montrant un peu moins sauvage, et voilà que d’autres bestioles venaient squatter aussi !

Ni une ni deux, elle en attrapa un par la peau du cou, l’autre par la queue – ils se débattirent en poussant des sifflements furieux – et alla les agiter sous le nez d’Aegeus, qui étudiait encore sa satanée carte sur la table du salon.

– Oui ? dit-il en levant les yeux vers elle.

– C’est à toi, ça ! gronda Cornélia en lâchant les deux petites créatures sur la carte.

Les darts s’enfuirent sans demander leur reste, avant de filer comme des fusées lorsque Greg les prit en chasse. Un sacré vacarme s’ensuivit lorsqu’ils louvoyèrent dans la salle de bain, dérangeant Oupyre, avant de cogner la porte du cagibi et d’entrer dans la chambre de Blanche.

– Hé, y’en a qui dorment, ici ! se plaignit la cadette d’une voix endormie.

Dans le salon, Cornélia baissa un peu la voix.

– Merde alors, tu t’incrustes ici, d’accord, mais ne commence pas à faire comme Iroël !

Aegeus haussa les épaules sans plus la regarder, penché sur une carte du Brésil, mesurant des distances avec un compas et notant des gribouillis en pattes de mouche au niveau de l’Amazonie.

– Je te parle ! insista la jeune femme.

– Tu acceptes bien les bestioles de ce con, répondit-il enfin. Pourquoi pas les miennes ?

Elle chercha quoi répondre, prise de court par son culot.

– Iroël les sauve dans votre monde, c’est pour la bonne cause ! Et puis, il s’en ira avec quand votre… votre convoi sera prêt.

– Ça tombe bien, je m’en irai aussi avec mes bêtes à ce moment-là. Contente ?

Elle planta les paumes sur la table et carra les épaules, le forçant à la regarder dans les yeux. Il soupira avec exaspération.

– Non ! grogna-t-elle. C’est chez nous ici, pas chez toi ! Pourquoi tu ne restes pas à l’auberge ? Vous avez tout ce qu’il faut là-bas ! Pourquoi vous ne restez pas juste dans votre monde, sans empiéter sur le nôtre ?

– L’auberge coûte cher, rétorqua-t-il du ton très sec qu’il prenait quand il n’attendait aucune répartie. Mon fric, j’en ai besoin pour ce foutu convoi. T’as pas idée des milliers qu’on doit mettre dedans.

– Et alors ? Ça ne nous regarde pas ! Y a pas écrit « hôtel gratuit » ici.

Il se redressa un peu, la surplombant largement, et la toisa de ce regard froid qu’elle continuait de craindre. Elle rejeta ses boucles hirsutes derrière son épaule, puis croisa les bras en essayant de ne pas reculer.

– Bon, écoute, gamine. J’te conseille de fermer ton bec et de te dire qu’on te fait une fleur.

– Une fleur ? grinça-t-elle. Laisse-moi deviner, on devrait ramper devant toi pour te remercier de venir chez deux mochetés comme nous, c’est ça ?

Elle crut que cela le ferait sourire, parce qu’il avait le même sens de l’humour vache et mordant que son bras droit, mais il resta mortellement sérieux. Ses iris reflétaient la lumière comme deux fragments de cristal.

– Non, parce que ta sœur et toi pourriez facilement finir comme vos voisins.

Cornélia en resta interloquée.

– Nos voisins ?

Ils ont quoi, nos voisins ?

Elles ne les connaissaient pas plus que ça. En face de chez elles habitait un quadragénaire taciturne qui se baladait toujours en jogging, et souvent torse nu. Sur la droite, c’était une étudiante, dont la tête de poufiasse donnait de l’urticaire à Cornélia chaque fois qu’elle la croisait.

Aegeus eut un sourire sarcastique.

– Ils sont morts.

Il ramassa sa carte et la roula bien serré.

– Ils sont… bredouilla Cornélia. Ils sont… quoi ?

– Il va nous falloir de la place pour la coulobre, le qilin et les autres, répondit-il. Un dragon, aussi. (Il lui fit un clin d’œil.) Ils gênaient, tes voisins. Assure-toi juste de ne pas gêner de la même manière.

Il contourna la jeune femme et s’en alla dans le couloir, prêt à disparaître sans laisser de traces comme il le faisait toujours. Cornélia ne sentait plus ses jambes. Elles s’étaient changées en une masse cotonneuse

– Je vous aime bien, la naine et toi, lança Aegeus par-dessus son épaule. Continuez de vous montrer accueillantes et tout se passera bien.

***

Elle voulut croire qu’il la faisait marcher.

Mais lorsqu’elle alla sonner chez lesdits voisins, moins d’une heure plus tard, aucun des deux ne répondit.

Incapable de croire qu’Aegeus avait dit la vérité – c’était forcément une blague, d’un mauvais goût certain –, la jeune femme sortit de l’immeuble en trébuchant. Elle profita du soir qui régnait pour aller jeter un coup d’œil discret à travers leurs fenêtres.

Chez l’un, elle ne vit rien qu’un salon obscur, empli de bazar et de paquets de chewing-gum, et chez l’autre, une chambre bien rangée pleine de selfies collés au mur et d’affiches de cinéma. Tout était désert. Une culotte pendouillait sur la tringle de rideaux, visiblement mise à sécher. Bref, rien ne prouvait qu’ils étaient morts.

Rien ne prouvait non plus qu’ils vivaient toujours.

Cornélia se détourna, griffée par les branches des buissons, grelottante dans le froid, et fit crisser les graviers de l’allée sous ses chaussettes.

Juste avant de rentrer dans le hall, alors qu’elle présentait son badge devant le détecteur, elle entendit un petit rien derrière elle. Un souffle, un son infime.

Comme un halètement canin.

Cela l’étonna ; tous les chiens du quartier avaient cartographié cette zone comme étant le territoire de Greg le terrible. Ils ne s’en approchaient jamais, et n’osaient même pas renifler le poteau que le chat aspergeait copieusement, à l’entrée de l’allée, pour dissuader le moindre concurrent de pénétrer en ses terres.

Était-ce un nouveau venu particulièrement téméraire, ou bien dépourvu d’odorat ?

Lorsqu’elle se retourna, encore plongée dans ses pensées sinistres concernant Aegeus et ses meurtres potentiels, elle vit luire dans l’ombre deux disques rougeoyants qu’elle reconnut immédiatement.

Deux braises dans un écrin de nuit.

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