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-- Je suis de retour !! Pour vous jouer un mauvais tour 8D --

– Michaël me tenait et Lucifer coupait.

La jeune fille retint une exclamation devant la vision qui se créait dans sa tête.

– Sur un enfant ! C’est vraiment atroce…

Iroël secoua la tête, grimaçant devant la pitié qui emplissait ses yeux vert bronze.

– De toute façon, mes ailes étaient mal faites. Je pouvais pas voler.

– Mal faites ? Mal faites comment ?

– Trop petites. (Il écarta les bras, englobant un espace que la jeune fille trouva immense.) Trois mètres seulement. Je pouvais juste…

Un sourire léger naquit sur ses lèvres et ses prunelles se mirent à bouger dans le vague, plongées dans ses souvenirs. Blanche sentit son cœur fondre comme une flaque de mélasse.

– Je pouvais juste monter sur la falaise au-dessus du village et sauter dans le vide. (Il retint un rire.) Je planais. Je planais pas bien, mais j’aimais ça. Ma mère détestait. Une fois, je me suis cassé une…

Il désigna son pied et Blanche lui offrit le mot qu’il cherchait.

– Cheville.

– Une cheville, en atterrissant. (Il la remercia d’un sourire, avant de mimer un gros nœud serré d’un coup sec.) Ma mère était comme furie. Elle a ligoté mes ailes avec une corde. Elle voulait m’attacher à mon lit ! Elle détestait vraiment ça.

Il rit à nouveau, et ce son attendri fit naître quelque chose de brûlant dans le ventre de Blanche. Devant ses yeux, le petit garçon brun courait dans sa cambrousse, de gigantesques ailes mouchetées déployées derrière lui.

– D’où viens-tu ? demanda-t-elle doucement. Ton village… Ton accent… Un pays arabe ?

– Non.

Il lâcha un mot si imprononçable qu’elle n’y comprit goutte.

– C’est le nom de ton pays ? Jom… huri… truc ?

Les yeux pleins de chaleur, le jeune homme répéta l’incompréhensible mot, avant de rire lorsqu’elle abdiqua d’un air dégoûté.

– C’est sur Terre ? souffla-t-elle. Ou dans la Mégastructure ? Ou… encore ailleurs ?

Il secoua la tête.

– Dans les vingt-quatre heures. C’est juste mon père qui venait de la Strate. Mais personne connaît, ici… C’est pas grave. C’est très loin.

Elle capta la tristesse qui parasitait sa voix. Instantanément, elle décida que l’instant des secrets était terminé et lui jeta son t-shirt à la figure.

– Ok, bon ben rhabille-toi, espèce de dépravé !

Blanche ne savait pas gérer le chagrin des autres. Dans ce genre de situations, si elle ne mettait pas très vite fin à un épanchement d’émotions, elle se transformait en éponge.

Elle détestait faire l’éponge. Surtout quand il y avait de la tristesse à absorber, cela ressortait inévitablement sous forme de larmes.

Surpris, le garçon rattrapa l’habit au vol et fixa la blondinette un instant. Elle se mordit l’index avec envie lorsqu’il renfila son t-shirt. Il avait les cheveux plus ébouriffés que jamais, et un visage espiègle qui donnait envie de lui sauter dessus séance tenante. Alors qu’il se levait pour partir, elle lui lança :

– Tu as quel âge ?

Il répondit par un mot dans sa langue, avant de le traduire avec difficulté.

– Vingt… Deux.

– Ouah, t’es vieux.

Il haussa les épaules.

– Je suis entré dans la Strate il y a longtemps.

– Ah oui ? Quand tu as perdu tes ailes ? relança-t-elle, incapable de laisser filer de potentielles autres informations.

– Non, à vingt-deux.

Elle fronça ses sourcils dorés, avant de lui lancer un regard suspicieux. Il attendait, patient, qu’elle en tire ses conclusions.

– Laisse-moi deviner, soupira-t-elle. T’es comme Aeg, c’est ça ? Toi aussi, t’es dans la Strate depuis l’an de grâce quinze-cent et quelques ?

Il éclata franchement de rire.

– Non ! Lui, c’est un fossile.

– Ouah, le manque de respect.

Choquée, elle le dévisagea. C’était la première fois qu’elle le voyait taquin, et cette nouvelle facette n’était pas pour lui déplaire.

– Je suis comme ça depuis longtemps, mais moins que lui, reprit-il.

Elle allait renchérir avec une nouvelle question mais il lui plaqua un doigt sur les lèvres, ce qui la fit bégayer bêtement.

– Chut, dit-il doucement.

Il se pencha sur elle ; la température augmenta subitement et la jeune fille se sentit dégouliner jusqu’à la moquette de velours rouge.

Elle crut dur comme fer qu’il allait l’embrasser.

Elle tendait déjà les lèvres lorsqu’il la prit aux épaules pour la retourner, avant de l’asseoir dans la chaise qu’il venait de quitter. Sonnée, elle remit brutalement les pieds sur terre.

– Il veut des caresses, dit-il en indiquant le dragon orchidée qui frétillait dans son pot. Dragons aiment beaucoup les caresses. Moi, faut que j’y aille.

Ils avaient eu chaud.

Iroël avait bel et bien distribué les trois masques qu’il avait fabriqués le jour même. Et à un cheveu près, l’un d’entre eux aurait pu faire une victime.

La petite mamie du deuxième étage écarquilla les yeux lorsqu’elle vit une jeune fille échevelée et un homme de haute taille détaler dans l’escalier en poussant des jurons.

Une fois revenus en bas, Cornélia et Aegeus reprirent leur souffle un instant. L’homme tendit la main pour lui prendre les masques, mais elle l’esquiva.

– Il faut les détruire, gronda-t-il.

– Non, tu ne peux pas faire ça, souffla-t-elle. Il suffit de les cacher. On ne peut pas les… les abîmer. Ils sont si beaux…

Et le petit chou a mis tout son cœur dedans.

Mais elle ne pouvait dire ça à Aegeus. Il les foulerait au pied avec une violence inouïe. De toute manière, il le savait déjà.

– Bon, maugréa-t-il, le regard assombri. Si ça te fait plaisir. Mais cache-les bien, alors. Je te jure que si je les vois traîner quelque part, je les réduis en pièces. Et s’il en refait devant moi, des masques qui ne sont pas destinés au convoi, je les lui bousillerai. Faut qu’il arrête de jouer au con, cet abruti.

Elle fut surprise qu’il respecte son avis. Il la poinçonna du regard, puis s’en alla dans son appartement volé.


***


Quelques heures plus tard, Cornélia s’y dirigea de nouveau, portant d’une main un bol empli de blé et de l’autre, une petite souris blanche à moitié décongelée.

Elle n’avait vu aucun des trois lascars pour le repas du soir. La table lui avait paru étrangement vide, malgré Blanche qui lisait en mangeant ses spaghettis et Greg qui dévorait son assiette de sardines. Ça avait été… très silencieux. Trop silencieux.

Voilà qu’elle trouvait leur absence bizarre, à présent ! On s’habituait vraiment à tout.

Seule Oupyre avait mis un peu d’ambiance en essayant de boulotter Greg, plus par gourmandise que par faim, mais les sœurs avaient depuis longtemps pris le pli : lorsque le wolpertinger était là, elles ne se reposaient jamais vraiment sur leurs lauriers. Une habile giclée de citron dans l’œil avait fait fuir la hase aussitôt. Une heure plus tard, elle boudait toujours, occupée à réduire en pièces la serviette de bain de Blanche.

Avec leur départ tout proche, Aegeus et Aaron devaient sûrement être débordés. Quant à Iroël, il était parti avec son sac. Cornélia le soupçonnait d’être allé fabriquer ses masques ailleurs pour échapper aux pulsions destructrices d’Aegeus.

Elle avait raconté à sa sœur la scène à laquelle elle avait assisté, sa découverte du zonure et de l’éale, ainsi que le meurtre présumé d’un troisième voisin.

– Je ne comprends pas comment c’est possible, avait rétorqué Blanche en fronçant les sourcils. Comment peut-il trucider la moitié de l’immeuble sans que personne s’en rende compte ? (Les meurtres en eux-mêmes ne paraissaient absolument pas l’émouvoir.) Ça fait déjà trois disparitions ! Il y a forcément des proches qui sont venus prendre de leurs nouvelles. Tu crois qu’il y a de la magie là-dessous ? Que les gens… oublient, ou je ne sais pas quoi ?

Cornélia avait levé les yeux au ciel, excédée, en repensant au sourire de squale d’Aegeus.

– De la magie ? Tu parles. Il tue sans doute tous ceux qui viennent frapper à sa porte. C’est sa façon de régler les problèmes, à ce taré. Heureusement qu’il nous a à la bonne.

– Alors cet immeuble va devenir un sacré triangle des Bermudes, avait commenté la cadette d’un ton blasé. Heureusement qu’il s’en va bientôt, sa tranquillité ne tiendra pas très longtemps.

En tout cas, même s’il avait accepté de confier le basilic aux bons soins de sa coulobre, Aegeus n’irait certainement pas jusqu’à le nourrir. Raison pour laquelle Cornélia s’apprêtait à pénétrer de nouveau dans son antre, à contrecœur.

Elle levait la main pour frapper lorsqu’une voix aimable résonna dans le hall derrière elle.

– Bonsoir !

La jeune femme se figea. Elle se retourna lentement, millimètre par millimètre, jusqu’à découvrir la petite mamie du deuxième étage, avec sa choucroute de boucles argentées sur la tête.

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