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Bon, j'ai bien compris que le suspense était insoutenable, donc voilà la suite :D

Alors, qui va sauver Blanche ? Iroël ? Aaron ? Cornélia ? Faites vos jeux !!

– Laissez-la.

Le temps s’arrêta.

Blanche leva la tête ; les deux anges se redressèrent et contemplèrent celui qui venait de les interrompre. Un sifflement faussement admiratif échappa au tatoué.

– J’y crois pas…

– Bonjour, Michaël. Gabriel.

Iroël traversa le toit d’un pas sûr, sans un regard pour les deux géants.

Sa silhouette svelte passa devant eux. Quand l’ombre du garçon croisa les leurs sur le sol, étirée par les spots de la terrasse, Blanche y discerna comme deux ailes supplémentaires qui se déployaient et s’entremêlaient à celles des jumeaux. Médusée, elle cligna des yeux, mais trop tard ; l’ombre du jeune homme était déjà redevenue humaine.

L’air sombre, Iroël se pencha sur elle et lui tendit une main secourable. Bouche bée, Blanche le fixa un instant, essuya la morve qui lui coulait du nez, avant de la saisir. Il ne frémit même pas et la releva d’un geste doux. La jeune fille trébucha un peu, la gorge encore douloureuse, incapable d’articuler le moindre mot. Par réflexe, elle se cacha dans son dos, avant que sa fierté ne reprît le dessus et qu’elle ne fît face elle aussi aux deux archanges. Elle dut lever le menton pour croiser leurs yeux clairs, et se sentit une nouvelle fois comme un petit insecte ridicule. Aegeus était très grand lui aussi, et plus large que ces deux-là ; mais il possédait une aura calme, forte et paisible, comme un ours ou un roc. Blanche était sensible à ce que dégageaient les gens. Et alors qu’Iroël et Aegeus lui évoquaient des lacs tranquilles, ces hybrides hautains diffusaient la fureur d’un brasier.

– Qu’est-ce que tu fais là, fils de truie ? jeta l’un d’eux.

– Actéon a mis ta tête à prix, renchérit le second, t’étais censé être chez elle.

Iroël haussa les épaules. Blanche ne cessait de détailler son dos mince, imaginant ce qu’il pouvait cacher sous sa veste en cuir, cherchant un signe quelconque ; mais il n’y avait rien. Rien de ce qu’elle avait cru voir dans son ombre, l’espace d’une seconde.

– Et vous ? rétorqua-t-il. Vous êtes chez les humains, ici.

Les deux hommes rirent de son impertinence. Une bouffée d’angoisse noua les tripes de la jeune fille.

– On a un contrat à honorer. T’es avec ce dégénéré d’Aegeus, toi aussi ?

– Ça vous regarde pas, répliqua le garçon. Dégagez.

Un éclair meurtrier passa dans les yeux de l’archange tatoué. Il se pencha vers eux et Blanche recula. Elle se rendit compte à cet instant qu’elle était cramponnée au bras d’Iroël, accrochée à lui de toutes ses forces. Pire : elle réalisa que sa peau à lui était aussi moite que la sienne.

Saisie, elle comprit alors que malgré sa bravade, il n’avait rien d’un preux chevalier.

C’était un gamin apeuré, tout comme elle.

– De quoi ? se moqua l’un des jumeaux angéliques. Fais pas le fier, petit. On t’embarque. Toi, tu vas filer direct chez Actéon, et la petite truie, on va lui tirer les vers du nez.

Il se penchait vers Blanche lorsque le jeune homme reprit, la mâchoire contractée :

– Vous pouvez pas faire ça. Vous avez le tabou.

En un geste si vif qu’il en était inhumain, l’ange le prit à la gorge et le poussa vers le bord du toit, jusqu’à l’appuyer contre la rambarde, en un équilibre précaire qui fit haleter Blanche. Elle lui tenait toujours le bras, terrifiée, comme si leur vie dépendait de ce lien.

– Tu es pitoyable, grinça l’homme. Si je te pousse encore, qu’est-ce que tu vas faire ? Tu peux même pas voler, fils de truie.

Un éclair de défi fusa dans les prunelles sombres d’Iroël.

– Moi, j’ai pas mon nom écrit sur mon bras. Je suis humain maintenant. Je fais partie des porcs. Tue-moi et ta marque va te brûler en entier.

L’ange le trucida du regard, frémissant de haine. Leurs visages étaient si proches que Blanche, d’un œil aiguisé, dénombra en un instant tout ce qui les séparait. De sa peau cuivrée à son nez busqué, de ses épis sombres à ses yeux noirs, de sa mâchoire carrée à ses épais sourcils, Iroël était l’exact opposé de l’homme qui le menaçait, aux traits pâles et délicats.

Et d’un coup, une voix qui n’avait rien à faire là retentit sur la terrasse.

– Hé, les gars !

Surpris, le jeune homme faillit dégringoler dans le vide ; il se retint de justesse au bras de son agresseur, qui le lâcha brutalement. Blanche s’arc-bouta pour le tirer à elle.

– Qu’est-ce que… commença l’ange en se retournant vers la voix.

L’instant d’après, il perdait brutalement l’équilibre, basculait par-dessus la rambarde et chutait du toit dans un hurlement de rage.

Cornélia venait de le percuter de plein fouet.

Bouche bée, les yeux écarquillés, Blanche la dévisagea en se cramponnant au petit chou comme un koala à sa branche. Après dix-huit ans de vie commune, elle pensait avoir déjà vu sa sœur dans tous les états possibles, mais elle s’était trompée. Rouge de colère, ses yeux noisette lançant des éclairs, sa tignasse plus hirsute que jamais et les poings serrés en deux étaux furieux, l’aînée ressemblait à une démone tout droit sortie des limbes, ou à une goule vengeresse. Soudain, Blanche se retrouva catapultée dans ses souvenirs, quand une bande d’enfants la harcelait quotidiennement et que sa grande sœur se changeait en chat sauvage pour la défendre.

– Sale petite…

Le deuxième homme marcha vers elles, le visage terrible, mais soudain un battement d’ailes lourd et puissant résonna dans le silence, propagé par l’air froid comme une onde liquide. Les sœurs levèrent la tête. L’ange que Cornélia venait de faire chuter dans le vide les survolait sans effort. Prise d’une fascination sinistre, même l’aînée oublia un instant ce qu’elle était venue faire là, tant les mouvements amples de l’hybride leur évoquaient une nage gracieuse.

C’était exactement ça. Cet être n’avait rien d’un moineau papillonnant. Il se mouvait dans l’air avec des gestes fluides et ondoyants, parfaitement adapté à ce milieu, caressant le vent de ses longues plumes soyeuses. Bouche bée, elles le regardèrent évoluer dans le ciel d’hiver.

– Toi, tu viens de creuser ta tombe, reprit l’autre en tendant une main vers Cornélia.

Elle esquiva d’un geste brusque et mal maîtrisé qui la fit trébucher sur le pied d’Iroël, puis se redressa in extremis et passa d’un bond dans le dos de l’agresseur. Le temps qu’il se retourne avec un soupir d’ennui – elle ne constituait pas une menace pour lui, aucun d’eux n’en représentait une, et la jeune femme s’en rendait compte avec terreur –, elle balaya le toit d’un regard affolé, cherchant une arme de fortune, une aide quelconque.

Mais il n’y avait rien, bien sûr.

– Courez ! hurla-t-elle en esquivant un nouveau geste nonchalant de l’ange.

Il ne se pressait pas. Il avait même l’air de s’amuser. Chaque fois, il visait sa gorge, et Cornélia l'évitait d’un simple pas de côté, de plus en plus terrifiée. Il prévoyait tous ses mouvements avec un sourire en coin, et elle réalisa qu’il les faisait tourner en cercles lents, qu'il l'acculait de plus en plus près du bord de la terrasse…

– Courez, bon sang ! éructa-t-elle à s’en briser la voix.

Du coin de l’œil, elle vit Blanche et Iroël se tendre comme la corde d’un arc ; sûre à présent qu’ils allaient tenter de déguerpir, elle se crispa elle aussi. Alors que l’ange la faisait reculer une fois encore, toujours plus près du vide, elle ferma les yeux un instant, puis visualisa Oupyre et sa façon de zigzaguer quand elle courait.

Puis elle fonça.

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