Chapitre 29

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Je suis assise à table, du côté droit de ma mère, mais en plein milieu de la table qui me parait immense. À ma droite se trouve un Roi, selon ma mère et sa femme à sa propre droite. En face de moi, une jeune fille aux cheveux rose à peine plus âgée que moi. Je ne veux pas être ici, mais ma mère m’y a forcée. Je mange donc en silence en ne regardant que mon assiette.


— Votre fille est très belle, commenta le Roi. Quel âge a-t-elle ?

— Huit ans, répondit ma mère froidement.

— La mienne en a neuf. Nos filles pourraient s’entendre si vous acceptiez qu’elles jouent ensemble.

— Ma fille n’a pas besoin de jouer. Relevez la tête Elena, vous n’êtes pas à la foire !


Serrant mon couteau à bout rond dans ma main droite du plus fort que je peux, je relevais la tête sans jamais regarder la fille aux cheveux rose. Je savais que je n’aurais jamais l’autorisation de lui adresser la parole.


— Mère ? demandais-je timidement tout en regardant mon couteau.

— Vous ai-je donné la parole, jeune fille ? Je ne crois pas.


Refoulant les larmes qui montaient dans mes yeux, je les replongeais dans mon assiette et affaissais les épaules.


— Pourquoi ne la laissez-vous pas parler ? demanda la Reine d’une voix douce et apaisante.

— L’éducation de ma fille ne vous regarde pas ! Occupez-vous plutôt de la vôtre. Redressez vos épaules, Elena ! s’énerva-t-elle ce qui me fit rentrer les épaules encore plus.

— Ça suffit ! intervint la Reine. Laissez cette jeune fille tranquille ou nous annulons tout accord commercial.


Est-ce qu’une personne était enfin capable de m’aider ? Je relevais la tête et regardais la Reine dans les yeux. Elle était déterminée à me protéger de ma mère. En avait-elle seulement le pouvoir ? Boosté de confiance en moi par l’intervention de cette Reine, en ma faveur, je me levais et attrapais le couteau pointu le plus proche, celui de ma mère. Je pointais alors le couteau en direction de la gorge de ma mère, plus que jamais déterminé à en finir avec elle. En cet instant, je n’étais plus terrifiée par elle. Derrière moi, il y avait deux personnes prêtes à tous pour me protéger et même à défier ma mère.


— Laissez-moi partir avec eux où je vous tranche la gorge !

— Pauvre idiote, tu crois vraiment qu’une misérable gamine comme toi peut me tuer ? Je suis l’Impératrice Elena, j’ai tous pouvoirs !

— Vous êtes une dictatrice ! s’exclama alors le Roi, derrière moi. Si vous souhaitez conserver ses accords commerciaux, nous demandons votre fille. Nous sommes plus aptes à la protéger et à l’aimer que vous.


Je voulus ajouter quelque chose, mais elle me gifla tellement fort que j’en lâchais le couteau en m’écroulant. Complètement sonnée, je ne pus même pas me relever.


— Personne n’est plus apte à protéger ma fille que moi ! Et surtout pas le misérable Roi d’un désert de glace !

— Je ne vous permets pas ! Stephania, rejoins ta mère immédiatement. Une femme qui bat sa fille ne mérite ni d’être mère ni d’être impératrice !

— Mais j’ai tous les droits, Majesté, cracha-t-elle.

— En frappant cette jeune fille, vous venez de nous déclarer la guerre !

— Je vous fais la promesse qu’un jour, je viendrais libérer votre fille, s’exclama alors la Reine. Et si ce n’est pas moi, ce sera ma fille !


Je me réveillais en sursaut, complètement déboussolée. Ma chemise de nuit était trempée et je ne cessais de trembler. Ayant besoin de respirer et de canaliser ma fureur, je courus pied nu jusqu’à la salle de bal et mis la musique le plus fort possible. J’en profitais pour crier le plus que je pus, couverte par la musique avant de m’écrouler par terre. Une vingtaine de minutes plus tard, Emma arriva en courant, baissa la musique et me prit dans ses bras.


— Je suis là, Elena, je suis là, tenta-t-elle de me réconforter en vain.


Je pleurais toujours plus dans ses bras. Je croyais qu’elle était la seule personne qui ne m’avait jamais accordé le moindre intérêt alors qu’en réalité, il y avait toute une famille qui avait voulu me protéger de ma dictatrice de mère. Je restais dans ses bras, pleurant pendant une bonne dizaine de minutes avant de me calmer enfin.


— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Quand j’avais huit ans, Stephania et ses parents sont venus au château pour établir des accords commerciaux. Mais quand ils ont appris ce que ma mère me faisait subir, ils ont voulu prendre ma défense. Le Roi a essayé de négocier. Moi contre les accords. Ma mère a refusé, déclenchant une guerre entre nos deux territoires. Une guerre à cause de moi.

— Ce n’était pas ta faute Elena. Ils ont défié ta mère pour te protéger. Même si on n’offre pas un enfant contre des accords commerciaux, c’était un geste noble de leur part.

— La Reine, la mère de Stephania, a fait la promesse qu’elle viendrait me sauver de ma mère un jour ou l’autre. Elle ou sa fille.

— Mais sa mère est décédée quand elle avait douze ans ! Elle ne doit même pas savoir que cette promesse existe.

— Emma, j’ai peur que ma mère soit responsable de sa mort. Elle a fait tellement de mal qu’elle en serait capable.

— Je suis sûr que non. La Reine Stephania a dit hier que sa mère était morte d’un cancer.

— Et si ce cancer a été provoqué par un empoissonnement ? Ma mère était tellement démoniaque qu’elle était prête à tout pour me tenir à l’écart de tout le monde, quitte à tuer ceux qui voulaient me protéger d’elle.

— Je suis sûr que tu divagues.

— C’est malheureusement la vérité, intervint une voix derrière Emma. Ma mère n’est pas morte d’un cancer, elle a été empoisonnée au cyanure.

— Votre Majesté ?

— Je me souviens de ce jour où mes parents ont pris votre défense, continua la Reine Stephania. Je me souviens de votre regard terroriser tout au long du repas. Pas une seule fois vous ne m’avez regardé. Je me souviens que vous avez pris le couteau de votre mère et l’avez menacé pour qu’elle vous laisse partir avec nous. Et je me souviens aussi de la promesse de ma mère.

— Est-ce que c’est pour ça que vous êtes là aujourd’hui ? demandais-je en séchant mes larmes

— En partie. J’ai appris par votre lettre que vous vous étiez enfin libérée d’elle, seule. Je n’ai pas tenu la promesse que ma mère vous a faite alors je suis venu pour m’assurer que vous alliez bien.

— Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ?

— Vous sembliez avoir oublié. Je ne voulais pas raviver de mauvais souvenirs.

— C’était le cas, j’avais oublié. Comme tout ce que ma mère a bien pu me faire.

— Pendant combien de temps vous a-t-elle battu ?

— Jusqu’à la fin. Jusqu’à ce que je sois obliger de prendre la couronne.

— Vous devriez aller vous recoucher, Majesté, ajouta Emma. Il n’est que cinq heures du matin. Je m’occupe d’Elena.

— C’est aimable à vous, mais ça ira. C’est à moi de m’occuper d’Elena maintenant. Je tiendrais la promesse de ma mère, coûte que coûte.

— Merci, Votre Majesté.

— Pouvez-vous nous préparer un petit déjeuner ?

— Bien sûr.


Emma déposa un baiser sur mon front avant de me laisser avec Stephania. Elle me tendit sa main que j’attrapai et fini par me relever.


— Que dites-vous d’aller nous promener dans les jardins avant d’aller manger ? Me demanda-t-elle en essuyant mes larmes du bout des doigts.

— Pourquoi pas.


On partit chacune dans notre chambre se changer avant de se retrouver dans la cour. Je mis une légère robe beige courte jusqu’aux genoux et à bretelle et me fit une queue de cheval.


— Votre domestique qui vous tutoie, c’est assez surprenant, commença-t-elle.

— Ma mère a engagé Emma il y a cinq ans environ. Elle était ma mère de substitution en quelque sorte.

— Et à ce que j’ai vu et entendu, elle l’est toujours.

— C’est vrai. En réalité, deux ans après votre passage, j’ai essayé de me suicider. Mais je n’ai pas réussi. Je n’en pouvais plus de vivre dans l’ignorance et l’indifférence de ma mère.

— Je suis navrée de l’apprendre. Vous avez souffert avec elle, on dirait.

— Plus que vous ne pouvez l’imaginer. J’étais sa prisonnière, non sa fille. Tous les soirs, elle m’enfermait dans ma chambre et je n’avais rien le droit de savoir sur l’Empire ou sur son gouvernement.

— J’aurais aimé pouvoir vous venir en aide plus tôt. Mais je ne suis sur mon trône que depuis un an et mon pouvoir n’était pas encore assez fort pour que je puisse défier une femme comme votre mère. Même mes parents n’y sont pas arrivés.

— Personne n’y est arrivé. Elle…est partie d’elle-même au beau milieu de la nuit.

— Quand on a discuté hier soir, j’ai cru un instant que vous alliez bien. Rien dans votre attitude, ne montrez à quel point vous êtes traumatisée par votre mère.

— Je ne le montre tout simplement pas. Je veux tourner la page. Son départ ma libérée, en quelque sorte.

— Pourtant c’est en pleurs que vous vous êtes réveillé.

— Comme à chaque fois que des souvenirs reviennent.

— Ça vous est déjà arrivé ?

— Oui. La dernière fois, ma mère était encore là. J’ai revécu mon dixième anniversaire. Une fête sublime du point de vue des invités, des habitants, mais un cauchemar pour moi. C’était peu de temps avant ma tentative de suicide.


Pendant une heure, je continuais à lui avouer tout ce que j’avais sur le cœur. Tous ce que je n’avais jamais pu dire ni à Emma ni à Océane. Aucune des deux ne pouvait comprendre.


— Dites-moi si la question est indélicate, mais j’aimerais savoir, pourquoi votre mère a-t-elle essayé de prendre ma défense ce jour-là ?

— Ma mère était une enfant battue elle aussi. Elle vivait dans un orphelinat, où le directeur utilisait les enfants comme main-d’œuvre.

— Mais c’est horrible !

— En effet. Quand elle a eu seize ans, mes grands-parents l’ont recueilli et fait pupille de la Nation. Mon père, âgé de dix-neuf ans, était tombé amoureux d’elle en un regard. Pour éviter que le Prince de Carandis n’épouse une vulgaire orpheline, ce sont les termes de mes grands-parents, ils l’ont en quelque sorte adoptée.

— Et ensuite, vos parents se sont mariés. C’est une belle histoire.


On s’assit sur un banc pour regarder le soleil se lever. Elle se tourna ensuite vers moi et prit mes mains dans les siennes. Elles étaient aussi douces que celles d’Océane.


— Et si on parlait de cette fameuse amie ?

— C’est… compliqué.

— L’amour c’est toujours compliqué, peu importe les circonstances.

— Est-ce que, en tant qu’Impératrice, j’ai le droit d’aimer et d’épouser qui je veux ?

— Évidemment. Après tout, c’est nous qui créons les lois.

— Même si c’est une femme et qu’elle vient du peuple ?

— Si vous l’aimez, vous en avez parfaitement le droit, peu importe ce que dit votre peuple. Pour que votre peuple soit heureux, il faut que vous le soyez aussi.

— Je n’arrive pas à lui dire ce que je ressens et je ne sais jamais comment interpréter ses paroles ou ses gestes. Je vais avoir l’impression qu’il y a quelque chose de réciproque entre nous et l’instant d’après, c’est comme si nous n’étions qu’amies.

— Pourquoi ne lui dites-vous pas ? Il n’y a que comme ça que vous saurez.

— Je ne peux pas. J’ai trop peur de la perdre.

— Vous finirez par y arriver un jour ou l’autre, ne vous inquiétez pas pour ça. Si vous n’y arrivez pas maintenant, c’est que ça ne doit pas de faire tout de suite. Peut-être qu’il vous faut établir une amitié solide avec elle avant d’envisager plus.

— Vous avez sans doute raison.

— J’ai appris hier soir par une de mes domestiques que vous vouliez me faire visiter votre Capital. Si vous le voulez, on peut aller manger un peu avant cette visite.

— Avec plaisir.


On rentra au château, toutes les deux avec le sourire. À table, Emma me servit un bol de chocolat pendant que je beurrais mes tartines. Vers sept heures quarante, le Dr Langstone entra dans la Grande Salle et fus surpris de voir une autre Reine en me compagnie.


— Votre Majesté, je n’avais pas eu vent de votre venue ici, commença-t-il.

— Vraiment ? Je suis là depuis hier soir.

— J’ai été pas mal occupé.

— Comment va-t-elle ? demandais-je alors au Dr Langstone en parlant de Juliette.

— Elle est prête pour l’opération.

— Combien de temps cela va-t-il durer ?

— Plusieurs heures, Votre Majesté. C’est une opération très complexe.

— Mais vous êtes le meilleur, c’est pour ça que j’ai fait appel à vous.

— Exactement. Je me dois cependant de vous demander ce qu’il se passera si par malheur, ça se passe mal.

— Tout se passera très bien ! intervint Emma.

— Je m’occuperais de tout, Docteur. Du début à la fin, comme c’est prévu depuis le début.

— Non, Elena ! C’est ma sœur et…

— Et tu es ma meilleure amie Emma ! Je ne vais pas te laisser t’endetter à cause de la maladie de ta sœur. Viens avec nous au village.

— Je ne vais pas aller me promener alors que ma sœur se fait opérer.

— Tu ne pourras rien faire de plus. Profites-en pour aller voir ta famille.

— Bon, très bien, soupira-t-elle impuissante.

— Appelez-moi dès que vous aurez fini, Docteur.

— Évidemment, Votre Majesté.


Quand le Dr Langstone quitta la Grande Salle, je trempais ma tartine dans mon bol et la croquais. Tout en discutant, on fini de déjeuner avant d’aller dans nos chambres respectives pour se préparer à cette sortie. Emma me coiffa et m’attacha les cheveux en multiple tresse avant de faire un chignon et de quitter la chambre. Je troquai mes chaussures pour des sandales blanches ouvertes. J’attrapai ensuite mes lunettes de soleil et ma couronne et fut intercepté par Emma.


— On a un problème.

— Qu’est-ce qu’il y a ? m’inquiétais-je

— Les robes de la Reine Stephania sont trop couvertes pour sortir par cette chaleur.

— Fais-la venir. Les miennes seront plus adaptées, souris-je.

J’eus à peine fini ma phrase que Stephania apparut dans le cadre de la porte.

— Entrez, je vous en prie.

— Vous avez une garde-robe magnifique, commenta-t-elle.

— J’espère qu’au moins l’une d’entre elles sera à votre taille.

— Je suis gênée de devoir vous emprunter une robe.

— Ne le soyez pas. On va dire que c’est pour vous remercier pour ce matin. La salle de bain est par là.

— Merci.


Je sortis de ma chambre pour la laisser avec ses domestiques. J’attendis dans la cour, assise sur les marches extérieures. J’attendis une vingtaine de minutes avant que Stephania n’apparaisse devant moi. Elle avait pris une robe rose longue jusqu’aux genoux et à bretelle. Pratiquement identique à la mienne, seul le col en V, plus grand que le mien différait. Une robe que je n’avais jamais mise. Des sandales blanches à ses pieds, un collier de rubis et des boucles d’oreille appareillées. Un rouge à lèvres et du fard à paupières rose eux aussi. Ses longs cheveux détaché et bouclé tombaient sur ses épaules et sa magnifique couronne d’or délicatement posé sur sa tête.


— Cette robe vous va à ravir, Stephania.

— Et elle est très légère.

— Nous allons aller à Glenharm en voiture. C’est assez éloigner.

— C’est parfait.

— Dites-moi, quel temps fait-il chez vous ?

— La moitié de mon territoire est composé d’un désert de glace.

— La chaleur d’ici doit vous paraitre étouffante. Déjà que même moi j’ai chaud, je n’ose pas imaginer pour vous.

— C’est vrai qu’il fait chaud, mais je m’habitue vite.


On discuta durant tout le trajet, principalement de géographie. En sa compagnie, j’apprenais à la fois ce qu’il y avait au-delà de me terre mais aussi ce qu’elle avait vu en Eryenne.

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