Chapitre 19

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Depuis que j’étais au pouvoir, la population semblait enfin souffler un peu. Régulièrement, Emma venait régulièrement m’apporter des articles de journaux ou me montrer des vidéos de journal télévisé. À chaque fois, je voyais du soulagement. Comme s’ils avaient attendu ça depuis une éternité. Ce qui était le cas d’ailleurs.

Pendant une semaine, je travaillais sans relâche sur un plan de reconstruction d’un hôpital à la Capitale. Il me fallait tous les indicateurs économique, médical et humain avant de proposer ce projet au Conseil. Pour cela, je devais d’abord mettre en place un programme de financement plutôt complexe. En effet, si l’Empire payait la totalité de la reconstruction, la population l’aurait pris comme un acte de possession, d’envahissement.

C’est ainsi que j’eus besoin de retravailler le système des impôts, pour qu’il soit plus équitable et juste, mais surtout plus transparent. Je voulais que chaque habitant de l’Empire paie ses impôts en toute connaissance de cause, en sachant à quoi cela servirait concrètement. Et par la même occasion, les habitants participeraient au financement de l’hôpital, mais aussi à sa construction, créant ainsi de nouveaux emplois. Du point de vue humain, c’était beaucoup plus compliqué. Il y avait très peu de médecins qualifiées et je n’arrivais pas à savoir pourquoi.


— Les études de médecine, ça coûte cher Elena, m’expliqua Emma. Au temps de ta mère, seuls les riches pouvaient se payer cette formation de luxe ou proposer des bourses d’études à des gens lambda.

— Qu’est-ce que tu appelles, gens lambda ?

— Ma sœur, Jeanne, la troisième, a eu la chance d’être repérée par un riche mécène. C’est lui qui paie ses études de médecine. En échange, il lui demande juste de devenir le médecin de la famille impériale.

— Juste le médecin impérial ? Mais ce n’est pas du chantage ça ? Qu’est-ce qu’il se passerait si elle ne devenait jamais… mon médecin ?

— J’ai peur qu’il fasse annuler tous ses diplômes et lui demande de rembourser l’intégralité.

— Heureusement que sa sœur est la meilleure amie de l’Impératrice. J’ai besoin d’un médecin de toute façon.

— Non, Elena. Elle est encore trop jeune et n’a pas fini ses études. Si elle doit devenir ton médecin attitrée, ne le fais pas par piston, mais parce qu’elle l’a mérité.

— C’est promis. Il faudrait aussi que je mette en place un système de bourse pour les études du coup. Merci pour ton aide.

— De rien.


Grâce à Emma, j’avais désormais une ressource humaine, mais à long terme. Il me manquait toujours des médecins qualifiés dès l’ouverture de l’hôpital. J’avais la chance que la construction prendrait pas mal de temps. Peut-être que l’unique solution était l’ouverture des frontières aux royaumes voisins. Mais était-ce une bonne idée ? L’empire avait vécu isolé pendant plus de trente ans et je ne savais rien de ses voisins. Étaient-ils hostiles à l’Empire ? Savaient-ils que la dictature de ma mère avait pris fin ? À chaque fois que je résolvais une question, dix de plus se présentait. J’allais devoir travailler sans relâche pour redresser l’Empire.

En fin de journée, je m’allongeais sur mon lit, mon téléphone à la main, je voulais comprendre son fonctionnement. Je savais déjà comment envoyer un message, mais j’étais sûr que je pouvais faire plein d’autres choses avec. C’est ainsi que je me retrouvai sur internet. La dernière fois que j’avais fait des recherches, c’était avec le vieil ordinateur de la bibliothèque, à l’insu de ma mère, et ma connexion avait été coupée peu de temps après. Quand mon téléphone fit la même chose, je compris que ce n’était pas l’appareil le problème, mais internet lui-même.

Ma mère avait-elle mis une surveillance ? Était-ce une personne qui me coupait l’accès à internet en fonction de mes recherches ou un simple problème technique ? J’avais deux personnes à qui demander des réponses. Emma ou Océane. Pendant plusieurs minutes, j’hésitais à appeler la deuxième. Elle avait repris les études et je ne voulais pas la déranger pour rien. Même si j’étais resté occuper toute la semaine pour ne pas penser à elle en boucle, son absence était pesante. Elle me manquait plus que je ne l’aurais cru. Je décidais finalement de lui envoyer un message pour savoir si elle était disponible pour un appel. Heureusement pour moi, elle l’était et m’appela pratiquement aussitôt. On prit des nouvelles de l’autre pendant environ cinq minutes avant de lui poser la question fatidique.


— Dis-moi, est-ce que tu saurais pourquoi ma connexion internet est coupée dès que je fais des recherches sur l’Empire ou sur les royaumes voisins ?

— Je n’en suis pas sûr, mais j’ai toujours suspecté ta mère d’avoir installé des logiciels espions dans tous les appareils de communication. C’est pour ça qu’elle aurait rendu l’achat de ses appareils accessible à tous, même au plus démuni.

— Pour pouvoir vous espionner et savoir tout sur tout.

— Exact. Quant à internet en lui-même, il parait que ta mère avait des informaticiens pour contrôler la moindre recherche. Si tu me laisses quelques minutes, je peux vérifier si ma connexion est coupée aussi.

— Je peux attendre.


Pendant deux minutes, je n’entendis que le cliquetis d’un clavier d’ordinateur. Le même bruit que le celui de la bibliothèque.


— Je te confirme que c’est la même chose de mon côté. Soit c’est un logiciel qui vérifie tout et qui n’a pas été éteint après la disparition de ta mère, soit elle avait vraiment des informaticiens et ils sont toujours à son service.

— Comment peuvent-ils être à son service alors qu’elle n’est plus là ?

— Peut-être qu’ils ne le savent pas.

— Logique. Je sais où chercher, merci, Océ.

— De rien. J’espère que tu auras trouvé d’ici demain pour qu’on en parle en face à face, après le Conseil.

— J’ai hâte d’être demain aussi. Tu… mais je laissai ma phrase en suspens, ne sachant même pas quoi dire.

— Je quoi ?

— Non, rien. À demain.

— À demain, Elena.


Je raccrochais et me rallongeais sur le lit. Pourquoi était-ce si dur de formuler à voix haute ce que je ressentais ? Pourquoi n’avais-je pas réussi à lui dire qu’elle me manquait ? Était-ce ça l’amour ? Perdre ses moyens, ne pas savoir quoi dire ni comment le dire ? Et pourquoi agissais-je comme ça avec Océane alors que je n’arrivais pas à savoir ce que je ressentais exactement pour elle ?

Toutes ces questions sans réponses, c’était encore plus pesant que les autres. Si j’en parlais à Emma, elle ne me répondrait pas. Si j’en parlais à Océane, j’avais peur de ne même pas savoir quoi dire et je craignais sa réaction. De toute façon, je n’aurais su quoi dire à Emma, incapable de mettre le moindre mot sur tout ce qu’il se mélangeait en moi.

Pour éviter de tomber dans une boucle de questionnement, je me levais et récupérais la boite que la servante de ma mère avait posée sur mon bureau. Les soi-disant journaux intimes de ma mère. C’était une boite de métal rouillé. À l’intérieur, il y avait une vingtaine de livres avec des dates. Tous rangé par ordre croissant. Certains remontaient même à avant ma naissance. Je récupérais le premier, celui avec la date la plus ancienne, soit d’il y a vingt-neuf ans et m’installais à nouveau sur mon lit.

Ma mère évoquait sa rencontre avec mon père. Alors qu’il s’était promené dans un village au large des côtés océaniques de l’Empire, le jour de la fête impérial, ma mère l’avait invité à participer à la soirée organisée par son village. C’était ainsi que naquit l’amour entre mes parents. Dans ce premier journal, il n’y avait rien de compromettant. Rien ne montrait toutes les atrocités que ma mère avait ensuite fait subir à l’Empire ni ce qu’elle était devenue. Ici, c’était simplement une jeune femme heureuse, libre et qui se contentait de ce qu’elle avait. Elle avait connu l’amour avant de faire disparaître ce sentiment, de sa vie comme de la mienne. Comment pouvait-on imaginer que cette jeune femme pût devenir un jour une dictatrice avide de pouvoir et d’argent ? Je lus deux journaux supplémentaires, qui évoquaient encore la relation entre mon père et ma mère.

Je compris rapidement qu’il me faudrait lire beaucoup de journaux avant d’arriver à ceux qui répondraient à mes questions. Mais je me devais de tous les lire, dans l’ordre, pour connaître celle qui avait toujours fait partie de ma vie. Pour connaître celle qui prétendait être ma mère sans n’avoir jamais joué ce rôle.

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