Chapitre 14

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Je rentrais quand la nuit commença à tomber. En passant devant la Grande Salle, j’aperçus ma mère, assise à table. Habituellement, je mangeais seule le soir. À table, le repas était prêt, comme j’en avais l’habitude. L’ensemble du personnel semblait être revenu. Avant que je puisse m’asseoir, ma mère se leva. Une femme inconnue venait d’entrer avec Emma. M’ignorant, elle s’approcha de ma mère d’un pas déterminé.


— Je suis venue vérifier les dires de ma fille, commença-t-elle.


Cette femme était donc la mère d’Emma ? Celle grâce à qui j’avais pu avoir une amie, mais surtout quelqu’un à mes côtés pour ne pas sombrer. Cette femme m’impressionnait. Elle avait les cheveux châtains, comme sa fille. Emma était un peu plus grande qu’elle, mais elle se ressemblait beaucoup. Emma devait tenir sa taille de son père.


— Corine, je…


La mère d’Emma gifla la mienne. Les soldats levèrent leurs armes, mais ma mère les arrêta d’un geste. Emma s’approcha immédiatement de moi et entoura mes épaules de ses bras sans un mot. Pour que sa mère ose gifler la mienne, sans ce que celle-ci ne réplique, c’est qu’elle devait se connaitre et elles devaient se respecter pour ne rien dire. Celle qui avait toujours affirmé son autorité au moindre mot de travers venait aujourd’hui d’accepter une gifle.


— Je la méritais, soupira ma mère en baissant les yeux.

— Je ne te le fais pas dire. Ça faisait longtemps que ça me démangeait.

— Je suis désolée. Je ne pourrais jamais me faire pardonner toutes mes erreurs.

— Tu as de la chance que je sais qui tu es réellement Julie. Et que je t’apprécie, même si tu as été odieuse avec ta fille. Tu as de la chance que malgré tout ce que tu as fait à l’encontre de ma famille, j’ai tenu ma promesse et envoyée Emma ici. Si Léo avait été là, Elena aurait été plus heureuse.

— Sauf qu’il n’était pas là !

— La faute à qui Julie ? C’est toi qui là éloigné, en même temps que mon mari. C’est toi qui as détruit nos familles.

— Je n’étais pas moi-même.

— Mauvaise réponse.

— Rah, tu m’énerves !

— Tu n’as pas changé, rigola Corine. Contente que tu sois de retour parmi nous.

— Ça ne va pas durer, soupira ma mère.

— Comment ça ?

— Allons discuter ailleurs. Je n’ai pas tout dit à Elena. Les filles, ont reviens.


Sans nous accorder le moindre regard, les deux femmes s’éloignèrent, nous laissant seules dans cette immense pièce. Je tournais alors la tête vers Emma pour avoir des explications sur ce qu’il s’était passé. Mais je compris, par les expressions du visage d’Emma qu’elle en savait aussi peu que moi. C’est dans un silence pesant, qu’on commençait à manger, que toutes les deux en attendant le retour de nos mères respectives.

À la fin du repas, la mère d’Emma rentra chez elle, Emma quant à elle retourna à ses occupations. Peu avant d’aller se coucher, ma mère m’invita à la rejoindre dans sa chambre. En chemise de nuit, je m’installais dans son lit, comme elle me l’avait demandé, au chaud sous sa douce couverture. Elle me ramena contre elle et me serra dans ses bras.


— Je t’aime, mon bébé, ma fille unique, chuchota-t-elle. Excuse-moi pour tout ce que je t’ai fait subir. Excuse-moi de ne pas avoir été la mère idéale, celle que tu aurais voulu que je sois. J’espère qu’un jour, tu comprendras et que tu pourras me pardonner. Et même si je dois attendre trente ans, j’attendrais que tu sois prête. Que tu reviennes de toi-même vers moi. Je t’aime Elena. Je t’aime plus que tout au monde.


Sur ces belles paroles, sur ses trois mots que j’avais toujours rêvé d’entendre, je m’endormis. Elle avait celle à m’avoir privé d’amour, mais elle était la première à m’avoir dit je t’aime.

Pourtant, je fus réveillée au milieu de la nuit par une impression étrange. Mon cœur se serrait dans ma poitrine et mon estomac se tordait. Ce n’était pas une bonne impression. Comme s’il allait se passer quelque chose. C’était comme si, des centaines d’alarmes c’était déclenché dans ma tête pour me prévenir. Je me retournais dans le lit et remarquais que ma mère n’était pas là. J’allumais la lumière de la chambre qui m’aveugla. J’étais toujours dans celle de ma mère, mais totalement seule. Je sortis du lit et fis un tour par la salle de bain, en espérant que ma mère y soit, en vain. Cette pièce était aussi vide de sa présence que la chambre. En revenant dans celle-ci, mon regard dévia sur le bureau, parfaitement rangé où une lettre avait attiré mon attention. Elle était cachetée du sceau impérial et m’était destinée. Les mains moites, la lèvre inférieure coincée entre mes dents, je m’assise sur le lit et ouvrit délicatement la lettre.


« Elena, ma chérie,

Je t’écris cette lettre au beau milieu de la nuit, seulement éclairée par la lumière de la lune pour ne pas te réveiller. Tu es si belle quand tu dors. Je me rappelle tes premiers jours au château. J’étais incapable de rester loin de toi plus d’une heure. Quand nous travaillons avec ton père, tu étais dans ton berceau au pied de mon bureau. Je pouvais passer des heures à te regarder dormir sans jamais m’en lasser. Tu étais un bébé si calme. J’en ai le sourire rien qu’en y repensant.

Je suis très heureuse de la journée qu’on a passée hier, rien que toutes les deux. J’aurais aimé que cette journée soit le reflet de notre vie commune. Mais je n’ai pas réussi. Je n’ai pas su être assez forte, pour toi, comme pour ton père. Mes deux amours, je regrette de vous avoir fait autant souffrir. Ma chérie, avec tout ce qu’on s’est dit hier, je peux partir en paix. Je suis certaine que pendant au moins une journée, tu ne m’as pas détestée. Cette haine que tu as toujours essayé de cacher au fond de toi-même, elle sortira bien plus vite que je ne le souhaite. Dès que tu prendras la couronne d’impératrice, qui t’attend sur le trône qui est désormais le tien, dès que tu liras toutes les horreurs que j’ai commises, tu me haïras.

Je suis navrée de partir et de te laisser la tâche faramineuse de reconstruire un Empire entier. Je suis navrée de te faire porter le poids de la couronne alors que tu n’y es pas prête. Je suis navrée de t’abandonner le jour où tu aurais eu le plus besoin de ta mère à tes côtés. Mais j’ai confiance en toi, ma chérie. J’ai confiance en ta capacité à faire revenir le soleil sur les terres que j’ai fait sombrer. Terres qui sont aujourd’hui les tiennes. J’ai confiance en ta capacité à t’entourer des bonnes personnes, à sanctionner ceux qui m’ont suivi au lieu de m’arrêter, à trouver le sourire, mais surtout l’amitié et l’amour. Ce dont je t’ai privé si longtemps. Tu sauras être une impératrice juste et aimée, j’en suis certaine. Quoi qu’il arrive, tu ne pourras faire pire que moi.

Comme je te l’ai dit, je pars. Au moment où tu liras cette lettre, je ne serais déjà plus là. Mais ne te fais pas de soucis pour moi. Je serais dans un endroit meilleur, entourée, mais surtout là où je ne pourrais plus faire de mal à qui que ce soit. Il est temps pour moi de me retirer, de te laisser la place. Il est temps que l’Empire d’Eryenne retrouve sa gloire d’antan, grâce à toi.

Je ne te le dirais jamais assez, chérie, mais je t’aime. Je t’aime plus que l’Empire, plus que tout l’or du monde. Plus que le titre d’impératrice qui m’a tant aveuglé.

Prends soit de toi, Elena.

Moi, Julie De Stinley, abdique volontaire et sans contrainte, au profit de mon unique fille et héritière, Elena De Stinley. »


Je restais plusieurs minutes assises sur le lit, incapable de réaliser ce qu’il s’était vraiment passé. Sa lettre restait mystérieuse. Où était-elle partie ? Était-elle seulement encore en vie ? La boule qui se formait dans ma gorge bloqua ma respiration et les larmes coulèrent sur mes joues. Ma mère était partie, elle m’avait abandonnée sans aucune explication, à un monde inconnu. Un monde où je savais ne pas être la bienvenue, où j’étais une étrangère. Tout ceci ne pouvait être qu’un rêve. Ma mère, qui adorait le pouvoir n’avait pas pu abdiquer. Rassemblant tout mon courage, alors que la boule d’angoisse dans ma poitrine grandissait, je sortir de la chambre, lettre à la main et pieds nus.


— Votre Altesse ? Qu’est-ce que…


Les deux soldats présents devant la chambre de ma mère voulurent m’empêcher de me promener dans le château en pleine nuit. Je les ignorais et courus jusqu’à la Grande Salle. Devant le trône, où la couronne impériale était posée, je tombais à genoux. La couronne était bien là, tel que ma mère l’avait dit. Tout ça était trop réel pour être un rêve. Elle m’avait abandonné.


— Votre Altesse !


Prise d’un accès de rage, j’attrapais la couronne et la balançais à travers la pièce. Le bruit du fracas résonna dans cette immense pièce vide. Je venais de réduire à néant la couronne impériale, symbole de la puissance de ma famille. Dans ma poitrine, mon cœur me brulait, il allait exploser si je n’explosais pas d’autre objet. Sur la table, la vaisselle du petit déjeuner était déjà en place. Un par un, contre un mur, le sol ou une fenêtre, chaque objet étaient brisés, comme l’était mon cœur. Quand je n’eus plus rien à jeter, je ne pus qu’hurler. Hurler jusqu’à perdre la voix et réveiller tout le château. J’hurlais jusqu’à ce qu’Emma me prenne dans ses bras et qu’elle me maintienne contre elle. Je restais bloquée dans ses bras pendant plusieurs dizaines de minutes. Je ne parvenais pas à arrêter les larmes qui me brulaient désormais les yeux. Je finis par m’endormir, toujours dans ses bras, épuisés par la vague d’émotions qui avait jailli en moi, tel un tsunami.

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