La Forêt des lutins - 2

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Noah comprit que ce n'était pas son premier "combat singulier" contre un humain et que le chef des lutins craignait de ne pas pouvoir le contrôler. Il n'osa pas imaginer ce qu'il était advenu de ses précédents adversaires. Ses compagnons s'étaient déplacés sur le côté pour assister au combat et Eadrom leva le pouce. Il lui faisait donc confiance... c'était déjà ça.

_ Et bien puisque vous êtes prêts, allez-y !

Et le lutin s'écarta.

Le géant s'avança d'un pas lourd et régulier, son bras s'élança à l'endroit où la tête de Noah se trouvait quelques secondes auparavant, mais il ne rencontra que le vide. Noah esquiva, profita de la lenteur de son adversaire pour lui porter au bras un coup du plat de la main et se mit hors de portée.

Le géant se mit à rire et reparti à l'attaque.

Alors que, faute d'avoir le droit de chanter, Fradj se rongeait les ongles et qu'Antonius se pinçait les lèvres, Eadrom observait le combat d'un air impassible. Il avait compris que la première frappe de Noah n'était qu'un test de la résistance du géant. Le moine esquivait les coups et observait son adversaire pour essayer de déceler son point faible. Le géant de son côté ne semblait pas se poser trop de questions : il avançait vers le moine, frappait sans hésiter et sans réfléchir puis recommençait chaque fois que le moine esquivait. Mais cette stratégie, toute primitive soit-elle, avait de bonnes chances d'aboutir : le moine devait faire plus d'efforts pour esquiver et se mettre à l'abri que le géant pour marcher et frapper, Noah risquait donc de se fatiguer rapidement et le premier coup du géant à atteindre son but marquerait la fin du combat.

Le géant avançait, frappait dans le vide. Noah esquivait, se mettait sur le côté et le manège recommençait. De temps en temps, le moine frappait du poing ou du sabre de la main sur les côtes, le ventre ou le bras de son adversaire, déclenchant à chaque fois l'hilarité du géant.

_ Je savais que ce genre de combat était pour les lutins une partie de plaisir, murmura Fradj, mais j'ignorais que ce serait à ce point.

Eadrom remarqua alors que, de leur côté, les lutins étaient effectivement à la fête, dans leur langue incompréhensible ils commentaient chaque phase du combat, applaudissant bruyamment à chaque passe d'arme. Il ne pouvait s'empêcher de penser que cette ambiance pouvait virer au drame d'une minute à l'autre à la première maladresse du moine.

Après plusieurs passes d'armes, Noah réussit à placer un violent coup de pied dans les côtes. Cette fois, le géant ne rit pas, mais sa riposte fut fulgurante, son poing envoya le moine voler trois mètres plus loin. Le lutin interrompit le combat et s'approcha de Noah qui peinait à se relever.

_ Vous vous êtes bien battu. Abandonner maintenant n'a rien de déshonorant, vous voyez bien que vous n'êtes pas le plus fort.

_ Je continue, murmura Noah en reprenant son souffle.

_ Il faut que je vous dise; pour lui, le combat n'a pas vraiment commencé... C'est seulement maintenant que vous l'avez touché qu'il va commencer à se battre.

_ Moi aussi, répondit le moine.

_ Bon, et bien pour ce que j'en disais...

Et le moine se releva plus décidé que jamais.

Le géant se massait les côtes. Eadrom y aperçut une ancienne cicatrice qu'il n'avait pas remarqué plus tôt. Noah l'avait certainement remarqué lui aussi, il avait trouvé son point faible mais était-il encore en état de l'exploiter ? L'unique coup reçu dans ce combat semblait l'avoir sonné.

Le combat repris. Cette fois, le géant se montra plus prudent : il prenait bien soin de protéger son côté gauche, là où le coup de Noah avait porté. Il essayait d'attraper le bras ou la jambe de Noah chaque fois que ce dernier frappait.

C'est là que résidait pour le moine le plus grand danger : si le géant pouvait le saisir, il pourrait lui briser les os aussi facilement qu'un ouvre une châtaigne avec un casse-noisettes, et sans doute le même bruit.

Et bien sûr, le colosse avait cessé de rire, et les lutins également, ils observaient le combat en silence, sans qu'on sache s'ils s'inquiétaient plus pour la victoire de leur champion ou pour la vie de son adversaire.

Noah avait lui aussi changé de tactique, n'ayant plus à dépenser autant d'énergie pour esquiver les coups du champion des lutins, il était devenu plus offensif : tournant autour de son adversaire, il l'obligeait à se contorsionner pour protéger son côté gauche, déjà touché, et il frappait aux points sensibles. Au lieu de rire, le géant haletait bruyamment à chaque coup porté dans les côtes, même du côté droit. Il avait le souffle court.

C'est sans doute ce qui amena Noah à commettre une erreur. Le géant réussit à lui attraper le bras. Il le souleva du sol et entreprit de lui broyer les os. Les poings et les pieds de Noah semblaient bien dérisoires. Il ne restait aux moine qu'une seule arme : ses dents, et c'est sans la moindre hésitation qu'il planta ses canines dans le bras du géant qui le ceinturait. Le monstre hurla de douleur et lâcha brutalement le moine qui se mit immédiatement hors de portée, d'un pas mal assuré.

Le lutin s'interposa immédiatement entre les adversaires mit fin au combat en étendant les bras. Malgré sa fureur, le géant s'arrêta.

Tandis que Noah se massait les articulations douloureuses, le géant éructait de rage. Sans la présence du lutin, dont la pointe du bonnet atteignait à peine le genou; il aurait certainement réduit le moine en poussière.

_ J'ai commis une erreur, fit le lutin. J'aurais dû interdire explicitement les morsures en énonçant les règles, mais j'ai oublié et c'est trop tard. Et maintenant, il est vraiment en pétard ! Abandonnez, c'est ce que vous pouvez faire de mieux.

_ C'est un ogresque ? demanda Noah.

_ Oui c'est un ogresque, un demi-ogre pour être plus précis. On l'a retrouvé bébé il y a une vingtaine d'années, abandonné par ses parents s'ils n'ont pas été tués, et nous essayons d'en faire un être civilisé, mais évidemment, votre présence ne nous aide pas vraiment.

D'un mouvement de tête, Noah fit craquer ses vertèbres cervicales puis entreprit de se masser les articulations.

De son côté, l'ogre émettait des grognements gutturaux qui n'auguraient rien de bon. Il fixait son adversaire d'un regard meurtrier... on avait du mal à comprendre comment une créature de ce gabarit pouvait être arrêtée par la main levée d'un lutin.

_ Peut-être est-ce vous qui n'utilisez pas la bonne méthode... et pas question pour moi d'abandonner bien sûr, ajouta Noah. Si votre champion est encore en état de se battre, je suis prêt.

_ Oui, il est en état de se battre, répliqua le lutin. Le problème est que moi je ne serai plus en état de l'arrêter si le combat reprend.

_ Merci de m'en avoir informé, on y va ?

Et sans attendre la réponse, il se remit en garde, l'ogre fit de même en poussant un gloussement rageur.

_ Et puis zut ! fit le lutin. Vous êtes aussi timbrés l'un que l'autre.

Il s'écarta, l'ogre chargea aussitôt.

Ce qui se passa alors peut sembler incroyable.

Le moine attrapa le bras de l'ogre, se coucha en arrière sur le sol et fit voler son adversaire au dessus de sa tête, comme un vulgaire fétu de paille.

L'ogre se redressa à demi et c'est à quatre pattes qu'il reparti à l'assaut, poussant un hurlement de rage, la bouche ouverte pour mordre dévoilait une rangé de canines qui trahissaient son ascendance monstrueuse.

La charge fut accueillie par le pied de Noah qui, à trois reprises, tournoya dans les airs pour atterrir une première fois dans la mâchoire de l'ogre, une seconde fois dans sa poitrine alors qu'il tentait de se relever et un troisième fois sur le front. L'ogre tenta à nouveau de lui attraper la jambe, Noah esquiva aisément cette tentative et en profita pour approcher tout près de son adversaire et lui administrer deux coups de poings sur le côté du crâne, juste au dessus de l'oreille.

L'ogre s'écroula enfin. Le combat était terminé.

Noah retourna près de ses compagnons médusés.

_ Finalement, fit-il, c'était plus facile que je ne le craignais.

_ En ce qui me concerne, répondit Eadrom, je n'ai jamais douté de ta victoire. Tu étais bien plus concentré sur le combat que ton adversaire, c'est la clé de la victoire... Est-ce qu'il est... ?

Sans terminer sa phrase, il désigna de la tête l'ogre qui était toujours à terre et autour de qui les lutins se concertaient.

_ Oh il est juste assommé... mais il en a pour un bon bout de temps.

Le chef des lutins revint vers le groupe.

_ Et bien vous avez gagné, fit-il d'un ton hargneux. Et dans les règles encore bien ! Qu'est ce que vous attendez pour filer ? Vous avez le droit de passage à travers la forêt, profitez-en avant que je ne change d'avis, et puisse Nécros vous désosser.

_ Un grand merci, répondit Eadrom en inclinant la tête. Sans vouloir abuser, pourriez vous nous dire si un humain nous a précédé aujourd'hui dans votre domaine ?

_ Ha! bien sûr, glapit le lutin. Je présume que vous pensez à ce bonhomme en noir qui semble si bien vous connaître. Et bien oui il est passé, nous l'avons autorisé à traverser la forêt à condition de ne pas s'arrêter. Vous ne risquez donc pas de le retrouver sur nos terres. Pourquoi est-ce que je vous dit ça ? ça m'amuserait assez de vous voir trembler devant chaque buisson jusqu'à la sortie, mais je préfère encore vous savoir loin d'ici le plus rapidement possible, alors bon vent !

C'est sur ces derniers mots que la compagnie quitta la forêt des lutins.

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