La nuit des petites gens

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La nuit était tombée, Milo et Fradj ne savaient que faire...

Au moment où les villageois s'en étaient pris à Théodule, Eadrom et Noah s'étaient immédiatement interposés... mais Milo avait tout de suite pressenti que ça ne pouvait que mal finir et s'était caché sous le chariot. Il s'était ensuite esquivé en douce pendant l'intervention de la garde. Pour Fradj, ça s'était passé encore plus simplement... il était à l'auberge pendant ces événements et avait tout simplement évité d'en sortir.

Les deux compagnons s'étaient ensuite retrouvés à la sortie du village. Ils avaient suivi les gardes lorsqu'ils emmenèrent leurs prisonniers au manoir, ainsi que leurs montures et le chariot de Théodule. Ensuite, un cavalier avait quitté le manoir et avait pris la route au grand galop.

— Si nos amis ont de la chance, murmura Fradj, ce bonhomme là va prévenir le Sherif du Comté, qui aura la charge de mener une enquête... Théodule sera peut-être inquiété pour négligence ou empoisonnement, mais nos amis seront libérés.

— Et s'ils n'ont pas de chance ?

— Oh, s'ils n'ont pas de chance, il va simplement chercher le bourreau et l'affaire sera tout de suite réglée... j'ai parfois de la sympathie pour les gens du peuple, mais j'ai remarqué qu'ils apprécient particulièrement de voir pendre ou décapiter ceux qui sont plus malchanceux qu'eux... ça les aide à supporter leur médiocrité.

— Charmant ! fit Milo. Qu'est ce qu'on fait maintenant ?

— Heu... on s'en va ?

— Non... NON ! répondit Milo... J'ai une idée ! écoute ! Moi je suis le cavalier sur la route et je me cache pour te prévenir quand il revient ou si quelque chose de spécial se passe. Toi tu rentres dans le manoir, tu te faufiles jusqu'aux prisons, tu assommes le geôlier, tu lui piques ses clés et tu libères nos amis.

— C'est ça ton idée ?

— Ben oui.

— Tu oublies un détail, objecta Fradj. C'est presque la nuit, nous n'avons ni torche ni lanterne, ça ne pose pas trop de problème pour moi parce que mon peuple vit dans les cavernes depuis des générations et que je vois dans l'obscurité presque aussi bien qu'en plein jour, mais toi tu n'y verras rien du tout... Oh, à part ce détail, ton plan est tout simplement génial mais tu ne pourras jamais tenir ton rôle. Je propose donc que ce soit toi qui entre dans le manoir et libère nos amis pendant que moi, n'écoutant que mon héroïsme, je me cacherai au bord de la route et je ferai le guet...

— Heu... Je me demande finalement si ce plan était si bon.

— Bien sûr qu'il l'est ! D'ailleurs, je composerai un couplet en hommage à ton courage.

— Ah ! oui, dans ces conditions... heu... où est-ce que tu vas ?

— Sur la route, répondit le gnome, je vais profiter du peu de lumière qui reste pour arriver au prochain carrefour... je te conseille d'en faire autant parce qu'il fera bientôt noir.

Et c'était vrai. Milo se retrouva rapidement dans l'obscurité totale... et seul !


* * * * *


— DEBOUT SOLDAT !

L'homme se redressa en sursaut de sa chaise,

— Je ne dormais pas sergent ! Je vous jure que je ne dormais pas... J'ai juste fermé les yeux deux secondes... il faut dire que cette garde était tout à fait imprévue.

— C'est normal soldat ! C'est parce que les prisonniers, ça arrive toujours à l'improviste, et quand on n'a pas la bonne idée de les pendre tout de suite, on doit les surveiller. Prends un peu de vin soldat, ça te réchauffera les entrailles. On gèle ici.

— Merci Sergent mais... je préfère éviter de boire maintenant. Le vin me donne envie de dormir.

Le sergent marcha en titubant jusqu'à la table et but à même la cruche de larges gorgées rouges... le soldat ne put s'empêcher de penser que si le vin réchauffait réellement les entrailles, celles de son supérieur devaient être plus chaudes que le feu qui brulait dans le brasero. Il se leva à son tour pour y remettre du bois.

— Tu as entendu, soldat ?

Le soldat s'immobilisa. Même ivre au dernier degré, le sergent avait l'oreille fine, Quelques secondes s'écoulèrent dans le plus grand silence et on entendit un hennissement, suivi de plusieurs aboiements.

— Ça vient de dehors, sergent ! Ce sont les animaux des prisonniers. On aurait dû les mettre à l'écurie... leur présence pourrait attirer des loups.

— Avec quoi tu viens, gamin ! répliqua le sergent. Quand tu auras mon expérience, tu sauras que les loups ne s'approchent jamais des hommes et de leurs habitations, sauf en cas de force majeure. Quand on les traque ou quand ils meurent de faim.

Comme s'il avait attendu ce moment pour contrarier le sergent, un loup se mit à hurler.

— Bon... C'est un loup, fit le sergent.

— C'est curieux, répondit le soldat. Je n'ai jamais entendu un loup hurler de cette façon... mais je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre...

— C'est un loup, je te dis... c'est un loup qui meurt de faim voilà tout. Ne bouge pas soldat ! Je vais voir de quoi il retourne et je vais mettre les bestiaux à l'abri.

Le sergent se leva, et c'est à cet instant qu'un poids sur sa vessie lui rappela qu'il avait des choses plus urgentes à faire.

— Non, vas-y finalement, reprit-il. Moi je... heu... je vais chercher mon arbalète pour le cas où un loup t'attaquerait, je tire mieux que toi.

— J'y vais sergent, et je prends une torche... les loups ont peur du feu. Nous n'aurons pas besoin de votre arbalète, je suis sûr que je m'en sortirai tout seul.

Mais le sergent était déjà parti...

Lorsque le soldat revint, quelques minutes plus tard, sans avoir croisé le moindre loup, le sergent ronflait assis sur une chaise. Il referma la porte derrière lui, le plus délicatement possible pour ne pas le réveiller, mais eut du mal à retenir un juron.

— Bon sang de bonsoir ! Où sont passées les clés ?


* * * * *


Dissimulé dans une ruelle étroite, Fizran guettait.

Depuis plus d'une journée, il ne faisait que ça... lorsqu'il était à Brocéliande, son informateur l'avait immédiatement mis au courant de la ruse montée par les amis d'Antonius pour lui faire perdre sa trace, il avait suivit la Compagnie pendant une partie de la journée, il les avait attaqué pour tester leur résistance. Oh, il avait plutôt été déçu... un homme seulement qui savait se battre et Antonius qui n'avait même pas osé lancé un sortilège qui lui aurait permis de l'identifier.

C'est qu'il avait des principes : il n'était pas question de tuer un autre que sa cible ; sans cela, il aurait pu massacrer tout le groupe et repartir avec la satisfaction du devoir accompli. Mais il n'était même pas certain qu'Antonius faisait partie de ce second groupe, il fallait au moins s'en assurer.

Après la rencontre de la compagnie avec Théodule, il s'était glissé dans la foule, approché de ses victimes et avait empoisonné les fioles de plusieurs acheteurs, juste le nécessaire pour les mettre en colère. Et ça avait marché bien au delà de ses espérances.

L'homme qu'il guettait maintenant était un cavalier parti du manoir une demi-heure plus tôt partir au grand galop en fin de soirée, c'était suffisamment intriguant pour qu'il se décide à le suivre. Le cavalier l'avait entrainé jusqu'à un village voisin où se tenait une garnison, il était entré dans les locaux de la milice locale sans que le gardes ne l'interpellent et l'assassin guettait maintenant son retour.

Car il était certain que l'homme ressortirait le soir même ; dans le cas contraire, il aurait attendu le matin pour partir... Mais l'assassin n'en était pas moins inquiet : si le cavalier revenait au manoir avec un fort parti de soldats, sa mission deviendrait beaucoup plus délicate. Peut-être aurait-il dû tenter de pénétrer dans le manoir et retrouver sa victime... mais il était trop tard et il devait improviser.

Le cavalier ressortit assez rapidement en compagnie d'un homme... un seul homme ? Fizran avait décidément de la chance. L'homme en question était vêtu d'une bure grise et noire, une croix en argent brillait sur sa poitrine : un inquisiteur. Le seigneur avait sans doute estimé plus prudent de prendre l'avis d'un expert avant de statuer sur le sort de ses prisonniers.

Alors que l'inquisiteur et son guide se préparaient à repartir, Fizran galopait déjà dans la forêt, vers l'endroit le plus propice à une embuscade. Cet endroit, il l'avait repéré pendant le trajet aller : c'était un tournant où les pluies régulières avaient déformé le chemin au point qu'on ne pouvait l'emprunter qu'au petit trot. Il trouva une cachette d'où il pourrait surprendre les cavaliers et attendit.

Après une dizaine de minutes, il aperçut une lumière. Le cavalier qu'il avait suivi marchait en tenant d'une main son cheval par la bride et de l'autre une lanterne, éclairant ainsi le chemin de l'homme en bure. Fizran lui même n'avait pas besoin de lumière. Des années plus tôt, un puissant magicien au service de son maître lui avait lancé un sortilège qui lui permettait de voir dans l'obscurité comme en plein jour, et cet avantage avait facilité bien des missions délicates... ce serait encore le cas aujourd'hui.

— Restez dans mes traces et regardez bien la route, messire l'Inquisiteur. Cet endroit est dangereux dans l'obscurité... mon cheval a bien failli trébucher quand je suis passé tout à l'heure.

Cet écuyer était décidément aussi dévoué qu'efficace... l'assassin le visa avec une fine sarbacane, la fléchette s'enfonça dans son bras et il s'écroula. Sa lanterne s'éteignit en tombant au sol.

Fizran prépara une seconde fléchette, mais il n'eut pas l'occasion de s'en servir : une explosion de lumière éclata à quelques mètres de lui et l'aveugla pendant quelques secondes, l'homme en bure venait de faire appel à la magie cléricale.

Lorsque la vue de Fizran revint, la clairière était baignée par une étrange lumière orangée. L'homme en bure était descendu de cheval. Il tenait des deux mains une longue épée dont la pointe désignait le coeur de son adversaire. Son capuchon rabattu découvrait maintenant le visage d'un homme d'une soixantaine d'années. Bien que son maintient était manifestement celui d'un homme en pleine possession de ses capacités physiques.

— Ce qui est pur deviendra lumière, fit l'homme, et ce qui est impur se flétrira et pourrira dans les Abysses !

Sans répondre, l'assassin leva sa longue épée recourbée. Il savait qu'il avait affaire à un vétéran des croisades, un adversaire largement à sa mesure. il savait également que, conformément aux règles de son ordre, le croisé n'attaquerait pas le premier.

Sans un cri, il se jeta sur lui, l'épée haute et le combat s'engagea.

Aucun des deux adversaires n'aperçut dans l'ombre d'un buisson une petite paire d'yeux rouges luisant dans l'obscurité... Fradj ne perdait pas une miette du combat et - peut être pour la première fois de sa vie - il garda le silence.

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