Chapitre 11 : Chabawck, vingt ans plus tôt. (2/2)

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Deirane remarqua le regard de Festor. Elle prit alors conscience de sa nudité. Dans le feu de l’action, elle l’avait complètement oubliée. Elle rougit, esquissa le geste de ramener les mains sur sa poitrine, puis sur son bas ventre et finalement resta immobile, ne sachant que faire.

— Allez vous habiller, dit Festor doucement.

Il lui tendit la main pour l’aider à se relever. Elle l’accepta, sachant qu’ainsi elle s’exposait. Elle se rendit compte qu’elle ne détestait pas ça. Festor était… La première fois, quand elle se produirait, elle voudrait qu’il soit comme Festor. Debout, elle cacha ses seins derrière ses mains. Lentement, elle se dirigea vers ses affaires. Elle croisa alors le regard de son père, franchement réprobateur, cependant il garda le silence. Elle enfila une robe. Une fois décente, elle retourna auprès du soldat. Elle fut vaguement déçue qu’il n’ait pas fait davantage attention à elle, tout occupé avec Jalia.

Le stoltzen jeta un coup d’œil attendri à sa compagne endormie. Puis il dit à Jensen :

— Il vaut mieux qu’elle voyage allongée. Je vous la confie. Ne la secouez pas trop.

— Je roulerai comme si je transportais des œufs, répondit Jensen.

Il se dirigea vers le cheval pour l’atteler, tandis que Festor rassemblait les affaires qu’ils avaient déjà dispersées dans l’enclos, malgré leur bref séjour. Deirane remplaça le soldat auprès de la jeune femme. Ainsi endormie, pelotonnée, elle semblait si fragile. Son visage portait des traces de brûlure, heureusement légères, qui lui faisaient de la peine. Elle avait beau savoir qu’elle n’en garderait aucune séquelle, cela l’attristait d’autant plus qu’elle s’en sentait responsable. Si elle n’avait pas insisté pour qu’elle reste auprès d’elle, il ne lui serait rien arrivé.

Jensen aborda Festor.

— Nous avons un problème, dit-il.

Festor leva la tête.

— Grave ? demanda-t-il.

— Mon cheval a été blessé par l’explosion, il ne pourra pas tirer la charrette.

Festor suivit le paysan pour examiner la jambe blessée. Deirane les regarda un moment avant de retourner vers Jalia. Les deux hommes la rejoignirent peu après.

— Alors ? demanda-t-elle.

— Rien de bien grave, une plaie à la jambe arrière, de bonne taille sans complication prévisible, répondit Festor. Ton père à raison, il ne pourra rien tirer avant un moment. Mais il s’en remettra.

— Festor va nous passer le lézard dragon de Jalia, commenta Jensen, elle n’en a pas besoin.

— Il est docile. Je pense pouvoir l’atteler sans problème à votre véhicule. Nous attacherons votre cheval à l’arrière. Nous n’irons pas vite, il pourra suivre.

Deirane jeta un coup d’œil sur les hofecy. Elle eut l’impression de voir deux fauves. Par le passé, leurs grands frères comptaient les stoltzt à leur menu. Leur quasi-élimination avait été la seule bonne chose que les feythas aient apportée à ce monde.

Festor regarda d’un air dubitatif le bandage restant qu’il venait de tirer de sa trousse. Il risquait d’être un peu juste pour un cheval. En revanche, il avait plus de lotion antiseptique que nécessaire. Et par chance, la blessure n’était pas grave. Les tendons n’étaient pas atteints, quelques jours de repos suffiraient à le remettre sur pied. Sauf qu’il ne pouvait se permettre de le laisser se reposer. Festor n’était pas un vétérinaire compétent. Aussi laissa-t-il la place à Jensen.

Le paysan avait l’habitude de soigner ses animaux. Il nettoya la plaie sans laisser aucun éclat de bois ou de pierre, désinfecta abondamment et parvint à s’accommoder de la faible longueur de la bande pour faire un pansement bien plus joli que ceux que Festor avait pratiqués sur sa compagne.

L’attelage de la monture de Jalia ne présenta pas de problème comme l’avait prévu Festor. L’animal baissa la tête pour regarder les entraves qui le maintenaient prisonnier avant de pousser un hurlement pathétique. Néanmoins, cela s’arrêta là. Deirane prit place sur le banc à côté de son père, Festor enfourcha sa monture.

Ils allaient se mettre en route quand un bawck gigantesque surgit devant eux, leur bloquant le passage. Vu sa carrure, il s’agissait certainement du chef. Il n’avait pas d’arme et plus de vêtements. Ainsi campé devant eux, le corps musculeux taillé pour la puissance, il était impressionnant. Il ne dit rien, se contentant de les dévisager. Festor essaya de lui tenir tête. Ce n’était toutefois pas lui que le bawck regardait, c’était Deirane. Il leva finalement un bras vers elle et la désigna du doigt.

— Toi femelle, demanda-t-il, quel est ton nom ?

Elle hésita un moment avant de répondre.

— La femelle Deirane a une dette envers la tribu de Gashon. Elle peut partir libre aujourd’hui, mais Gashon saura la retrouver pour honorer la dette.

Jensen voulut la défendre.

— Deirane n’est pas responsable…

— Deirane humaine a causé les dégâts. Deirane paiera quand Gashon estimer le temps venu.

Jensen allait répondre, Festor le fit taire en lui posant la main sur l’épaule.

— L’humaine Deirane honorera la dette quand le temps sera venu, dit-il, je m’en porte garant. Mais il n’y a pas eu de morts aujourd’hui. En l’absence de sang versé, la femelle humaine ne sera pas mise à mort. De cela aussi je me porte garant.

— Quel est le nom du garant ?

— Je suis Festor de Jetro, grand maître de la corporation des guerriers, lieutenant de la garnison de Kushan.

Le bawck hésita un instant, un court instant.

— Gashon est d’accord, dit-il au grand soulagement du lieutenant, Y a pas de dette de sang. La résolution ne fera pas couler le sang.

Puis, s’adressant au chaman.

— Skayt banni de la tribu tant que la dette n’est pas honorée, dit-il.

— Skayt accepte le jugement de Gashon, répondit le bawck.

Le chef baissa alors le bras.

— Paix et prospérité aux stoltzt d’Helaria.

— Paix et prospérité aux bawcks de Chabawck.

Le bawck inclina légèrement la tête. Festor lui rendit son salut. Puis il dégagea le passage et retourna dans le campement dévasté.

Jensen interpella le soldat avant qu’il ne s’écarte.

— Que s’est-il passé ? demanda Jensen. Que lui avez-vous dit ?

— J’ai fait un marché avec lui, répondit Festor.

— C’est ce que j’ai compris. Quel genre de marché ?

— Il ne tuera pas Deirane et l’Helaria ne détruira pas sa tribu en représailles.

— On peut avoir confiance ? demanda Deirane.

— Sa parole est engagée.

— Et ne pouviez-vous pas l’annuler totalement ?

— Pas sans lui faire perdre la face. Une guerre contre l’Helaria n’aurait alors pas pesé bien lourd face à son honneur.

— Et que se passera-t-il quand il viendra me chercher ? demanda Deirane.

— Les bawcks ont une mauvaise notion du temps. Ils peuvent réclamer la créance dans un ou deux ans, voire dans si longtemps que Deirane sera morte de vieillesse. Il y a des chances pour qu’ils ne viennent jamais te voir. Et s’ils viennent, au moins ils ne te tueront pas. Si tu fais preuve d’un peu d’intelligence, tu te sortiras très bien de cette situation.

— Ils ne demanderont pas d’argent ?

— Plutôt une servitude. L’exploitation d’un talent à leur usage. Je te conseille d’acquérir des talents variés qu’ils puissent en trouver un à leur goût, ça pourra t’éviter de servir de compagne à un individu qu’ils veulent honorer.

— Ils pourraient faire ça ? demanda Deirane avec horreur.

— Ils pourraient. Ils pourraient aussi ne jamais venir. La meilleure solution est à mon avis de te faire oublier pour qu’ils ne pensent jamais à faire appel à toi. Ne repasse jamais par Chabawck et tout devrait aller bien.

— Et quelle compétence me conseillez-vous ?

— Je dirais, la lecture et l’écriture. Ils sont incapables d’apprendre. Quelqu’un sachant interpréter les contrats commerciaux serait bien accueilli chez eux.

— Je ne sais pas lire. Je sais déchiffrer et tout juste écrire mon nom.

— Je ne peux que te conseiller de t’entraîner.

— Les livres coûtent cher. Où une paysanne comme moi pourrait-elle s’en procurer ?

Festor réfléchit un instant.

— Je te donnerai la réponse dans quelques jours, dit-il enfin, j’ai bien un livre sur moi. Seulement, il est écrit en helariamen, ce qui ne te serait pas très utile. Il vaut mieux commencer avec sa propre langue. Ne t’inquiète pas, je trouverai une solution. J’ai cinq jours pour y réfléchir.

Deirane hocha la tête. Elle était d’accord. Elle ne se sentait pas d’apprendre l’écriture de la Pentarchie. Elle posa une dernière question.

— L’Helaria aurait vraiment déclaré la guerre pour moi ?

— À ton avis ?

Festor se dégagea de l’étreinte du paysan. Il put écarter sa monture de la charrette et ils quittèrent enfin le village bawck.

Le lézard était beaucoup plus puissant que les montures auxquelles Jensen était habitué. Il tirait la charrette avec facilité sur le chemin accidenté. Il n’y avait pas de rênes, le guide ne se servait que de mots. La communication se faisait au moyen d’un sabir créé à partir de plusieurs langues, certaines plus vieilles que l’Helaria. Quelques erreurs faillirent envoyer la charrette dans le fossé. Toutefois, l’animal était plus intelligent qu’un cheval. Il lança un cri à destination de son guide et cessa de lui obéir. Il calqua son allure sur la monture de Festor, se chargeant lui-même d’éviter les obstacles qui auraient pu les secouer. Le soldat lui avait parlé dans le creux de son oreille juste avant le départ. Voyant comment il prenait soin de ne pas déranger sa maîtresse blessée, en contournant les ornières ou les cailloux, Deirane se demanda à quel point il était intelligent. Elle soupçonnait qu’il était en dessous du niveau des bawcks, sûrement pas de beaucoup.

Au début, le chaman déchu trottina à leurs côtés. Finalement, il les quitta. Deirane lui jeta un dernier regard alors qu’il s’enfonçait dans les fourrés, certainement pour rejoindre une tribu éloignée. En quelques vinsihons, il avait disparu à leur vue.

Le lendemain soir, ils atteignirent la grande route de l’est, qui reliait Sernos à Nasïlia. Ils prirent alors la direction de l’ouest pour rentrer chez eux.

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