Chapitre 23 : Boulden, de nos jours. (1/3)

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Le lendemain, quand Deirane sortit du consulat, toute une troupe l’attendait. Outre une trentaine de soldats, sans distinction d’espèces ni de sexes, participaient Hester, quelques palefreniers qui devaient rester en arrière avec les chevaux une fois l’expédition engagée dans la jungle et un edorian inconnu qui ne semblait pas à sa place et qu’elle pensa être le sensitif. En tout, un peu moins de quarante personnes. Les Helariaseny étaient en train d’examiner leur monture, ne se préoccupant pas de la nouvelle arrivée. Saalyn n’était visible nulle part. Elle était certainement avec la pentarque pour réviser une dernière fois leur plan d’action.

Ce fut Hester qui sa mère vit le premier et vint la rejoindre.

— Bonjour, dit-il en l’embrassant sur la joue.

Elle lui fit une légère caresse, écartant une mèche de cheveux qui lui cachait le front.

— C’est notre troupe ? Ils ne sont pas un peu nombreux ? Muy ne m’en a promis que vingt-quatre.

— Il y aussi l’escorte de Muy. Elle profite de notre voyage pour rejoindre le port.

— Elle n’a pas confiance en moi. Bien, bien.

— Elle ne t’aime pas, c’est flagrant. Sa méfiance ne va cependant pas jusque-là. J’ai cru comprendre qu’elle veut renforcer son lien avec le sensitif.

— Et eux, ils sont dans quelle disposition ?

— Ils ne partagent pas le sentiment de leur reine, mais c’est leur reine. Tant qu’elle sera là, ils se comporteront avec hostilité. Je pense que les choses changeront dès qu’elle sera hors de leur vue.

— Espérons-le. Je ne comprends pas très bien pourquoi elle me rend responsable de tout ça.

— Je crois qu’elle est folle.

— Tu confonds. C’est Wotan qui est fou. C’est pour ça que l’Helaria est une pentarchie et pas une monarchie.

— À mon avis, les cinq pentarques sont fous. Muy est une tueuse et elle aime ça. Si tu avais vu son visage le soir de la fête, quand elle a tué les agresseurs, tu aurais eu peur.

— Possible. Dargial caltherisy, les jumelles tueuses, c’est ainsi qu’on les surnomme elle et sa sœur. Néanmoins elle est capable.

— Pour un peuple qui prône le pacifisme, ça craint je trouve.

Pour toute réponse, elle se contenta d’un sourire. Elle était du même avis que son fils.

Deirane se dirigea vers son cheval. Quelques jours plus tôt, un Helariasen était allé le chercher à l’écurie des voyageurs à l’entrée de la ville. C’était une jument noire avec des reflets bleutés. On la lui avait offerte quelques mois plus tôt et elles ne s’étaient pas séparées depuis. Un palefrenier s’en occupait, vérifiant son état. Au moins, ils étaient méticuleux. Même ses fontes avaient été préparées et la jument harnachée. Deirane installa son ballot derrière la selle. Cette dernière était luxueuse, avec des arabesques gravées dans le cuir et des dessins en fil de cuivre. Un travail de toute évidence bawck. C’était aussi un cadeau, comme la plupart de ses possessions d’ailleurs. Par acquit de conscience, elle vérifia les sangles, mais elle ne trouva rien à redire.

— Belle bête, remarqua le palefrenier, elle vient de Mustul n’est-ce pas ?

— Elle est de cette race, cependant elle est née dans un élevage à l’est de Sernos.

— Elle est magnifique. Je suppose que cette séductrice a un nom.

— Je vois qu’elle a déjà usé de son charme sur vous, dit Deirane d’un ton rieur. Je l’ai nommée Calen.

— Calen, comme notre Bibliothécaire ?

Le soldat la regarda attentivement.

— Sa robe a en effet la même teinte que les cheveux de notre doyen. À une aussi jolie demoiselle, le nom de la plus belle dame d’Helaria convient parfaitement.

Comprenant qu’on parlait d’elle, la jument releva la tête et fit quelque pas d’un air fier avant de revenir bousculer affectueusement sa cavalière de la tête. Le soldat éclata de rire.

— Quand je vous disais qu’elle était une séductrice.

— Tu devrais avoir honte ma fille, ce n’est pas ainsi qu’une demoiselle se comporte.

Le hennissement qu’elle lança donna l’impression qu’elle comprenait les paroles de sa maîtresse et lui répondait. Deirane lui flatta les naseaux de la main et quand la jument posa la tête sur son épaule, elle appuya la joue contre elle.

Saalyn et Muy sortirent enfin. Le consulat était quasiment vide. Ne restait que le personnel nécessaire pour tout nettoyer avant de fermer derrière eux. Avec la situation actuelle, nettoyer signifiait détruire tous les documents et le matériel qu’ils ne pouvaient emporter faute de moyens. Sans surveillance, le bâtiment serait rapidement pillé. Il ne fallait pas que des secrets de la Pentarchie puissent tomber entre de mauvaises mains.

La monture de la pentarque était un hofec mâle. Sachant la peur que les chevaux éprouvaient pour ces animaux, Deirane y vit tout d’abord une marque d’hostilité. Elle se morigéna, se disant qu’il fallait bien qu’elle reparte avec le moyen qui l’avait amenée, pourtant l’impression demeurait. En tout cas, la petite stoltzin passa devant elle en ne lui adressant qu’un simple salut de la tête, sans aucune parole. Saalyn fut heureusement plus volubile. Elle au moins semblait heureuse de la voir.

— Alors, comment te sens-tu ? demanda-t-elle.

— Nerveuse, répondit Deirane, j’ai presque hâte que ce soit fini.

— Ne t’inquiète pas, nous serons à la hauteur.

Elle aurait continué à parler davantage si on n’avait amené le cheval de la guerrière. Saalyn avait remis une tenue similaire à celle qu’elle avait lorsqu’elles s’étaient rencontrées à la taverne quelques jours plus tôt, une ample chemise beige et un pantalon moulant de cuir brun. Elle semblait avoir retrouvé tout son allant. Aujourd’hui, elle avait un bras immobilisé par une écharpe. C’était son bras d’épée, elle n’avait donc pas d’arme sur elle, elle aurait été inutile. Elle était aussi incapable de monter seule. Le palefrenier lui tint sa monture par les rênes pendant qu’un autre lui faisait la courte échelle pour l’aider à grimper sur le dos de l’animal. Les autres guerriers étaient aussi en train d’enfourcher leur monture. Deirane les imita. Le guerrier commandant le détachement vérifia que tout le monde était prêt. C’était le cas. Il donna le signal du départ.

La route devant le bâtiment était large parce que l’Helaria avait acheté les maisons d’en face et les avait détruites, pour raisons de sécurité. Toutefois pour rejoindre l’avenue, il n’y avait pas le choix, il fallait traverser les venelles de la ville basse. Aucune n’était assez large pour permettre le passage d’une troupe ordonnée. Ils se divisèrent donc en groupes de cinq cavaliers qui en empruntèrent chacun une, en file indienne et lentement. C’était risqué, mais la démonstration de force, quelques jours plus tôt, leur garantissait la tranquillité.

Quelques stersihons plus tard, ils atteignaient l’artère principale, prévue pour les défilés. Ils s’arrêtent juste le temps de se réorganiser. Les deux groupes, guerriers libres et soldats restèrent mélangés. Ils se disposèrent en deux files. Muy prit la tête. À sa grande surprise, elle invita Deirane à la rejoindre.

— Merci de cet honneur, dit-elle.

— C’est un honneur dont je me passerais bien, répondit Muy, mais vu votre rang, je n’ai pas le choix.

— Je vois. Les services de renseignements de l’Helaria sont à la hauteur.

— Les rapports de ma sœur Vespef sont assez fiables en effet. Je sais surtout regarder autour de moi. Je suis surprise d’ailleurs que Saalyn n’ait rien vu. L’amitié qu’elle éprouve pour vous doit l’aveugler.

— Je n’ai pas menti à Saalyn.

Muy ne répondit pas. Elle ne voulait pas discuter avec Deirane.

La pentarque donna l’ordre de marche. La troupe commença à descendre la route, lentement, comme à la parade. Les gens se massaient sur les bords pour les regarder passer. Parmi eux, des nobles qui de toute évidence enviaient la force qui semblait émaner de ce groupe. Deirane comprit soudain que la Pentarchie faisait une exhibition à destination des Bouldenites. Elle voulait marquer durablement les esprits.

Et surtout, elle voulait montrer que les Helariaseny ne partaient pas en vaincus pour essayer de sauver ce qu’ils pouvaient, mais en vainqueurs qui allaient massacrer leurs ennemis et les chasser de leurs foyers. Cela expliquait pourquoi Hester, qui ne savait monter que depuis quelques mois, avait reçu un entraînement intensif de perfectionnement en équitation ; il ne devait pas déparer lors de cette chevauchée.

Il y avait aussi un autre message : les soldats de l’Helaria étaient venus assez nombreux pour s’emparer de la cité, malgré ça Boulden était toujours libre. Quand les Yrianii viendront, ce sera en conquérants.

À la sortie de la ville, les gardes les laissèrent passer sans difficulté. Les portes étaient grandes ouvertes. Instinctivement, ils se mirent au garde à vous et leurs officiers saluèrent les cavaliers. Muy leur rendit leur salut, ce qui sembla en réjouir certains.

Une fois hors des murailles, ils prirent un trot soutenu sans perdre leur ordonnancement. Au bout d’une demi-longe, la plaine environnante laissa place à un marécage. Seule la route dominait les eaux. Le talus qui la supportait avait nécessité le travail de centaines d’esclaves juste après la guerre. À l’époque, les poisons les avaient lentement tués. Ceux qui avaient survécu avaient donné vie à des enfants mal-formés, la plupart étaient mort à la naissance ou en bas âge. Aujourd’hui, leurs descendants continuaient à patauger pour entretenir la chaussée afin d’éviter sa dégradation, la survie de Boulden dépendait de son état. Toutefois l’espérance de vie de ces esclaves avait bien augmenté. Uv-Polin guérissait lentement des blessures qui lui avait été infligées.

Muy rapprocha sa monture de celle de Deirane qui manifesta sa peur. Il fallut toute l’habileté de l’ancienne reine pour calmer Calen.

— Je crois que j’ai été injuste avec toi, dit Muy.

Si les paroles marquaient une certaine contrition, ce n’était pas le cas du ton qui restait dur.

— Je suis heureuse que vous le reconnaissiez, répondit Deirane, qu’est-ce qui vous a ouvert les yeux ?

— Saalyn. Tu as la chance d’avoir une amie comme elle. Fidèle malgré le peu d’empressement que tu as mis à la revoir ces dernières années.

— Saalyn ? Que vous a-t-elle dit pour vous faire changer d’avis ?

— Je me suis fait engueuler. Elle m’a passé sacré un savon. Elle m’a reproché mon comportement à ton égard. Elle n’avait pas totalement tort.

Deirane eut du mal à retenir un sourire.

— Un savon ?

Muy hocha la tête.

— Il y a beaucoup de rois qui n’auraient pas toléré une telle chose dans le monde, remarqua Deirane.

— Je connais ce genre de rois. Personne ne leur dit jamais de choses désagréables, ceux qui osent sont vite remplacés par des flatteurs. Et un jour, ils ont un soulèvement ou bien leur armée se fait écraser au combat et ils ne savent pas pourquoi.

— Je suis heureuse que les choses soient différentes en Helaria. Maintenant, nous allons pouvoir nous apprécier.

— J’ai reconnu mes torts, je n’ai pas dit que je t’appréciais. Partout où tu passes, tu sèmes le chaos. Tu as détruit plus de dynasties et fait plus de morts que toutes les guerres de ces dernières années. Je me sentirais soulagée si tu ne mettais jamais les pieds en Helaria.

Cette accusation mit Deirane en colère.

— Je n’en suis pas responsable. Tu crois que je suis heureuse de tous les crimes qui ont été commis en mon nom ? À aucun moment Je n’ai eu le contrôle de quoi que ce soit. Toute ma vie, je n’ai jamais eu le droit à la parole. J’ai été traitée comme un objet, j’ai été vendue, échangée ou volée, sans avoir eu le moindre choix de mon propriétaire. Des hommes ont tué pour m’acquérir, jamais je n’ai demandé à ce qu’ils le fassent. Tout ce que ça m’a valu, c’est une vie d’esclavage. Quant au seul homme que j’ai aimé, je ne sais même pas où est sa tombe pour me recueillir dessus.

— Je sais. J’ai connu ça aussi, mais pas pendant vingt ans.

Muy écarta son lézard dragon. La conversation était finie. Deirane n’était pas calmée pour autant.

— Et quant à vos beaux principes, votre société soi-disant parfaite où tout le monde est égal et où le pouvoir s’obtient au mérite et pas par la naissance, eh bien sache que j’ai eu des propriétaires helarieal. Oh, ils ont pris soin de ne pas me faire mettre le pied sur le territoire de la Pentarchie. Il n'empêche que certains de vos commerçants entretiennent des harems hors de vos frontières.

Cette dernière tirade semblait avoir ébranlé Muy.

— Est-ce la vérité ?

— Pourquoi mentirais-je ?

La pentarque hésita un instant avant d’ajouter.

— Saalyn sait où se trouve celui que tu cherches, elle était là quand on l’a mis en terre.

Puis elle se referma sur elle-même. Elles n’échangèrent plus un mot de tout le reste de la chevauchée.

La dernière phrase de la petite reine avait coupée Deirane dans son élan. Saalyn savait. Elle ne lui avait rien dit pourtant. Elles n’avaient pas abordé le sujet non plus. Il faudra qu’elle pense à lui demander.

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