Chapitre 37 : Sernos, de nos jours. (1/5)

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Le lendemain, Deirane se leva tôt. Elle sortit sur l’esplanade humide de rosée pour profiter de la fraîcheur de la matinée. À cette heure, le soleil éclairait déjà le palais alors que Sernos, cinquante perches plus bas, était encore dans la pénombre. Elle s’approcha du bord que ne protégeait aucun garde-fou et regarda en contrebas. À cette altitude, elle avait une vue plongeante sur la ville, le fleuve et la plaine au-delà. Elle devinait même dans la brume, à l’horizon, les monts qui protégeaient la région des pluies de feu.

Les choses avaient changé depuis sa dernière visite vingt ans plus tôt. Dans la ville même, le grand bouleversement se situait dans l’ambassade d’Helaria. La construction de la nouvelle aile avait brisé, temporairement, l’ordonnance des lieux. La guerre ayant arrêté les travaux, l’endroit semblait abandonné, presque en ruine, malgré les bâtiments neufs de la caserne. Pour l’heure, elle était occupée. On reconnaissait, malgré la distance, les couleurs de l’Yrian sur les soldats, ce qui ajoutait à l’impression d’abandon.

Autrefois, au-delà du fleuve, la plaine était en grande partie couverte d’arbres et sillonnée de nombreuses rivières. Les quelques champs étaient riches de blé. Aujourd’hui, aussi loin que portait la vue, les arbres avaient tous disparu. Et les paysans avaient dû mettre en place un système d’irrigation depuis le fleuve pour suppléer à l’assèchement des rivières.

Elle entendit un bruit de pas derrière elle. Elle jeta un bref coup d’œil, c’était Vespef, qui la rejoignait. La pentarque était habillée d’un justaucorps qui moulait étroitement ses formes de sylphide. Elle était essoufflée comme si elle venait d’accomplir un effort, pourtant elle n’était pas en sueur. Les stoltzt ne transpiraient pas.

— Tu as l’air bien pensive, dit la pentarque.

— Je regardais. Les choses ont bien changé depuis que j’étais enfant.

— C’est triste. Cette plaine était si belle, ils l’ont massacrée.

— Les gens doivent bien manger.

— C’est faire un mauvais calcul que de trop défricher pour cela. En Helaria on plante des arbres au lieu de les couper. Toute la vallée du Kush a pu être restaurée. La ville de Kushan ne s’en porte que mieux. Finies les alternances d’inondation et de sécheresse. Le niveau de l’eau s’est stabilisé et les champs sont plus productifs. Et l’eau est redevenue aussi limpide qu’avant la guerre.

Deirane se tourna vers la pentarque.

— Dites m’en plus là-dessus, demanda-t-elle.

— Ce n’est ni le lieu, ni le moment. Je te ferai un cours sur l’écologie un peu plus tard si tu y tiens. Mais je n’y connais pas grand-chose, c’est Wotan qui s’occupe de ce projet. Comme de tous les projets de ce genre d’ailleurs. Pour le moment le roi nous attend.

— Maintenant ?

— Au lever du soleil. Par politesse, il nous invite à sa table pour le repas du matin, conformément à nos usages plutôt qu’aux siens.

— Je sais, j’ai vécu parmi vous pendant huit mois.

— Alors allons nous préparer. Le roi a fait apporter des robes pour nous. Et des costumes pour les hommes. Je vous rejoins.

Vespef s’écarta de Deirane et repartit pour un tour des bâtiments au pas de course.

En entrant dans le dôme, Deirane entendit les cris d’excitation des filles qui provenaient de l’étage. Quelques jours plus tôt, lors de leur rencontre, les trois adolescentes s’étaient liées d’amitié et depuis elles ne se quittaient plus. La veille, elles avaient découvert les possibilités ludiques offertes par le bâtiment. Depuis elles semblaient être sorties de leur mutisme.

Deirane connaissait les distractions que les feythas avaient laissé derrière eux, uniquement par ouïe-dire, sans jamais en avoir vu auparavant. Elle les rejoignit un moment. Les trois filles avaient tenté de l’entraîner, ainsi qu’Aster dans leur amusement, cependant les deux femmes, si elles trouvaient cela époustouflant, n’adhérèrent pas à leur plaisir. Par contre la pentarque s’oublia en compagnie des trois jeunes filles. Si son rang les avait impressionnées au début, cela ne dura pas. Elle les avait quittées tard dans la nuit pour aller dormir. Par contre, Cleindorel et ses amies ne s’étaient pas couchées.

Les feythas étaient des ingénieurs extraordinaires. Leur civilisation était de plus très orientée vers le plaisir. Le leur, pas celui des autres. Les autres peuples n’étaient là que pour les servir. Quand les rois d’Yrian s’étaient emparés de la ville, ils avaient hérité d’une arène qui avait vu mourir des dizaines de milliers de gladiateurs pour le seul amusement des tyrans. Qu’ils aient laissé quelque chose d'aussi inoffensif qu'un jeu à base d'images animées tel que celui que les filles avaient déniché était donc une bonne surprise.

Hélas, personne ne comprenait leur technologie. Les objets s’usaient et ces jeux n’échappaient pas à la règle. Ces dômes étaient en place depuis presque cent ans et nul ne savait depuis combien de temps auparavant les objets qui les remplissaient avaient été construits. Ils tombaient en panne et c’était irréversible. Et un jour, la centrale cesserait de fonctionner et la haute technologie disparaîtrait d’Uv-Polin, certainement pour des siècles. Pas définitivement : c’était la mission que s’était donné Wotan, le pentarque seconde d’Helaria – avait expliqué Saalyn – de faire en sorte qu’elle revive un jour. Et la tâche était immense.

Deirane passa sans s’arrêter devant l’escalier pour entrer dans sa chambre. Deux servantes l’y attendaient. Elles s’inclinèrent aussitôt. Deirane n’avait pas été reine suffisamment longtemps pour s’être habituée à être servie. Tant de déférence la mettait mal à l’aise, même si elle avait appris la bonne façon de réagir. Elle leur demanda de se relever.

Elles avaient apporté une robe qu’elles avaient étalée sur le lit. Un instant, elle avait craint que le roi, par curiosité pour son tatouage si particulier et de par son rang, ne lui choisisse une tenue ne valant guère mieux qu’un pagne. Ce n’était pas le cas. En fait, c’était la première fois qu’elle avait une robe de prix aussi habillée. Si c’était un cadeau, elle l’appréciait. Elle espérait que s’en était un.

C’était une robe longue à manches courtes, de coupe simple au décolleté carré. Elle était blanche, sans aucune décoration à l’exception d’un liseré doré au col. Son tissu était soyeux au toucher, aux reflets irisés. Deirane ne parvint pas à l’identifier. Ce n’était ni de la soie, ni aucune fibre végétale qu’elle connaissait. Peut-être ce tissu en soie d’araignée, si rare et si cher.

Deirane commença sa toilette par prendre une douche. La baignoire qu’ils avaient essayée la veille était commune à tous les appartements et elle pensait qu’elle avait à l’origine une fonction sociale plutôt que d’hygiène. En revanche, chaque chambre avait sa propre douche. Elle était aussi élaborée que celles que fabriquaient les Helariaseny. La technologie aidant, elle disposait de plus d’avantages, comme des jets surpuissants et directionnels qui massaient en plus de laver. Deirane avait découvert ce système la veille avant d’aller dormir. Elle en avait largement profité. Et en y retournant à l’instant, elle se dit qu’elle pourrait bien se faire à la vie au palais de Sernos.

Elle imaginait déjà Vespef décrivant le système aux ingénieurs helarieal et ceux-ci tentant fébrilement de le reproduire. Le savon, aussi était différent, il lui laissait la peau douce sans avoir besoin d’utiliser des crèmes. Quand elle coupa l’eau, des jets d’air chaud la laissèrent totalement sèche. Elle s’enveloppa dans une robe de bain confortable et repassa dans la chambre où l’attendaient les deux chambrières qui lui avaient été affectées.

Les deux Yrianii se montrèrent efficaces. Avec diligence, elles habillèrent Deirane, la coiffèrent et la maquillèrent. Elles papotaient sans se rendre compte que leur invitée les comprenait. Elles ignoraient qu’elle était née paysanne à quelques dizaines de longes plus au nord seulement. Quand elles eurent fini, Deirane s’examina dans le miroir. Elles lui avaient remonté les cheveux en une coiffure élaborée qui retombait en cascade sur ses épaules. Sa robe tombait en plis souples sur ses chevilles, une ceinture dorée lui ceignait la taille. Des sandales aux lanières dorées complétaient sa tenue. Comme seuls bijoux, elle n’avait que ses deux bracelets en bronze. Et naturellement, son tatouage. Ce dernier, masqué par la robe, était à peine visible. Quand elle rajouta le camée que lui avait donné sa sœur et que Saalyn lui avait restitué, les chambrières se récrièrent. C’était un faux bijou, indigne d’elle et de son hôte. Mais elle fut intransigeante. Elles se calmèrent toutefois quand elle sortit sa paire de boucles d’oreille. Elles étaient authentiques et à peine moins anciennes que le camée. Les seuls vrais bijoux à lui avoir été offert par amitié de toute sa vie. Elle avait réussi à les conserver toutes ces années malgré toutes ses pérégrinations.

Dans l’entrée, elle trouva ses compagnons qui l’attendaient. Vespef avait revêtu une robe assez semblable à la sienne, si ce n’est qu’elle possédait un décolleté plus large. Saalyn par contre avait eu droit à une robe intégralement noire qui lui laissait le dos nu. Mais pour Aster, il avait fait preuve d’imagination : une jupe longue et un bandeau autour de la poitrine, de couleur noire, bordée d’un liseré doré et une cape dans le même ton retenue par une chaîne en argent. Même Gonrak était élégant avec son plastron en cuir aux incrustations d’argent. Hester était plus traditionnel avec une tenue Yriani très sombre égaillée par une large ceinture vivement colorée, quant à Öta il avait revêtu un costume helarieal constitué d’une jupe d’homme qui tombait à mi-cuisse fermée sur le devant et une tunique de peau. Les trois adolescentes qui n’avaient pas l’habitude du luxe, faisaient des commentaires à voix basse sur leur propre tenue et sur celles qui les entouraient.

— Que fait-on ? demanda Deirane.

— On attend, répondit Vespef.

— On attend quoi ?

— Que l’on vienne nous chercher.

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