Chapitre 26 : Sernos, vingt ans plus tôt. (3/3)

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Calen n’était pas d’accord avec la façon de faire de l’ambassadeur. Qu’il ne veuille pas brusquer cette jeune fille – dans la mesure où elle était bien responsable de ces vols – était compréhensible. En revanche, elle estimait qu’il fallait la chercher activement. C’était maintenant qu’elle avait besoin d’aide. Le fait qu’elle ne se soit pas montrée au bout de tant de jours indiquait à quel point sa détresse était grande et son discernement faible. Elle prit la résolution de la trouver. Son handicap l’empêchait de mener les recherches elle-même et elle n’avait aucune autorité sur le personnel de l’ambassade. En fait, si elle donnait des ordres, ils obéiraient. Malgré tout, cela resterait un acte d’insubordination. L’ambassadeur serait obligé de prendre des mesures disciplinaires. Dans quelques jours cependant, la délégation du Mustul arriverait. Elle n’avait officiellement pas plus d’autorité. En pratique elle pourrait les convaincre de l’aider. Et l’ambassadeur ne pourrait exercer aucune sanction sur eux pour désobéissance : ils n’étaient pas Helariaseny.

Sa décision prise, elle se leva. Si les vents étaient favorables, elle avait huit jours à peu près avant qu’ils arrivent, très certainement plus. Elle avait du temps devant elle. Dans l’immédiat, elle résolut d’aller rendre une petite visite à un sculpteur qui travaillait dans le quartier adjacent. Elle espérait pouvoir retrouver sa boutique. Dans le cas contraire, un siècle de cécité lui avait appris à ravaler sa fierté et à demander de l’aide. Elle enfila sa tunique prit sa canne et descendit le long de l’écurie.

Dans la Résidence où elle avait grandi, ou dans son fief de Jimip, elle pouvait se déplacer facilement. Elle connaissait tous les trajets par cœur. Le personnel prévenu prenait soin de ne laisser rien traîner qui aurait pu constituer un obstacle et ses assistants anticipaient les problèmes avant qu’ils ne surviennent. Elle avait de l’assurance dans sa démarche. Le résultat était que ses interlocuteurs mettaient parfois très longtemps à s’apercevoir qu’elle était aveugle.

Il n’en allait pas de même dans l’ambassade de Sernos. Elle était plus hésitante, ignorante de ce qui avait pu changer depuis sa dernière visite ou ce que l’on avait pu abandonner sur sa route. Sans compter les habitants de la ville qui pouvaient entrer librement dans l’enceinte, ils ne la connaissaient pas et pouvaient la bousculer, la faire tomber sans le vouloir, par simple ignorance. C’est pour ça qu’elle préféra longer le mur de l’écurie, le suivant d’une main pour se guider.

Dans un monde où les pluies pouvaient se révéler mortelle, une tuile fendue pouvait contaminer toute une pièce. Aussi, la tendance depuis les soixante dernières années était-elle de faire de nombreuses petites salles plutôt qu’une seule grande. Ainsi, en cas d’accident, la contamination restait limitée. L’écurie, récente, respectait ce principe. Au lieu d’une seule grande, il y en avait plusieurs petites accolées les unes aux autres contenant chacune une douzaine de stalles. La deuxième était vide. L’odeur de paille moisie lui fit comprendre que la toiture fuyait, enlever la litière pourrissante était dangereux sans l’équipement adéquat et s’en débarrasser difficile. Il y avait de fortes chances que cette tâche soit dévolue à un service de la capitale yriani. Et tant qu’ils ne seraient pas venus, aucune réparation n’était envisageable.

Un bruit venu de l’intérieur attira son attention. Il était discret et seule la sensibilité accrue de son ouïe, conséquence de sa cécité, était capable de le remarquer. Elle s’immobilisa devant la porte et écouta. Rien. Elle était sûre de n’avoir pas rêvé. Les chocs des épées de bois des soldats qui s’entraînaient la gênaient. Elle ouvrit la porte, entra et la referma derrière elle. Maintenant qu’elle avait obtenu le silence, elle put se concentrer sur tous les sons qui l’entouraient. Elle n’entendait rien, mais elle était sûre qu’elle n’était pas seule.

— Il y a quelqu’un ? demanda-t-elle en helariamen.

Elle répéta la question en yriani, sans obtenir de réponse. Prudemment, elle avança pas à pas, cherchant les éventuels obstacles avec sa canne. N’importe quoi pouvait se trouver devant elle, un seau abandonné, une selle. Personne ne toucherait à rien tant que les spécialistes n’auraient pas tout nettoyé. Sauf un fou suicidaire. Au bout de quelques pas, sa canne cessa de s’enfoncer dans le sol mou sous la paille pour retrouver un terrain dur. La contamination était visiblement limitée à quelques perches devant la porte.

Elle s’arrêta et écouta à nouveau. Il y avait quelqu’un. Elle entendait sa respiration et les petits gémissements discrets que la peur lui arrachait. L’intrus était dans la dernière stalle à sa droite. Elle se remit en route, lentement, se dirigeant vers l’origine du bruit.

Derrière elle, la porte se rouvrit, un pas lourd écrasa la paille juste à l'entrée.

— Maître Calen, dit une voix, que faites-vous ici ? Vous ne devriez pas être là, c’est dangereux.

D’un geste impératif, elle lui fit signe de se taire. Puis elle reprit sa marche.

L’intensité des gémissements augmentait, signe que la personne commençait à paniquer. Dans cet état, elle pouvait être dangereuse. C’est avec prudence qu’elle fit les derniers pas. Doucement, elle commença à prononcer des paroles rassurantes, en helariamen. Il était possible que son interlocuteur ne comprenne pas, cependant c’était le ton qui comptait, pas les mots.

Brusquement elle entendit quelqu'un s'élancer de la direction qu'elle avait repérée. L'intruse bouscula la stoltzin qui perdit l’équilibre. Elle tenta de se rattraper, en vain. Elle tomba contre une poutre de soutien. Elle sentit plusieurs pointes s’enfoncer dans la chair de son bras et son sang couler avant de toucher le sol. Sous la douleur et la surprise, elle poussa un cri. Les bruits dans la cour cessèrent aussitôt. Tout une foule se précipita vers la porte.

Voyant la sortie bouchée, la fugitive se précipita vers une échelle qui menait à l’étage où le fourrage était entreposé et commença à grimper. Une stoltzin la rattrapa. Elle était furieuse. Elle lui prit la cheville et la tira brusquement. Le choc contre le sol lui coupa la respiration. Puis la stoltzin s’empara de l’outil qui avait blessé la doyenne, une fourche posée contre un poteau de soutènement. Elle allait transpercer la jeune fille qui prise de panique tentait de se protéger le visage derrière ses deux bras. Deux hommes empoignèrent la stoltzin et la retinrent avant qu’elle mette son geste à exécution.

— Arrête Saalyn, regarde-la, s’écria l’un d’eux, c’est une gamine.

Pour la première fois, Saalyn vit réellement ce qu’elle avait capturé. Elle découvrit une jeune humaine d’à peine dix ans complètement terrorisée, sale, vêtue de haillons, le corps couvert d’hématomes. Elle reprit peu à peu son calme.

— Elle a tué Calen, dit-elle au bout d’un moment.

— Je suis bien vivante, dit la voix de la doyenne.

Juste à côté, Calen s’était assise. De sa main, elle pressait son bras blessé. Sa robe était pleine de sang au point que s’en était effrayant, néanmoins nelle était bien vivante. Tout juste un peu pale, sous l’effet de la douleur. Un troisième soldat alla l’aider à se relever.

— Conduisez-moi auprès d’elle, ordonna-t-elle.

Le soldat obéit.

Quand elle s’accroupit auprès de la voleuse, c’est toute la garnison qui les avait rejoints. Elle s’était disposée en cercle autour d’eux. Calen approcha la main pour tâter les contours du visage de la jeune fille. Elle sentit les petits diamants sur les joues.

— Oh, dit-elle, que t’a-t-on infligé là ?

Sans atteindre la réponse, elle continua.

— Comment t’appelles-tu petite ? demanda-t-elle en yriani.

La jeune fille ravala ses larmes.

— Deirane, répondit-elle enfin.

— Bienvenue Deirane, je suis Calen, fille de Jetro et de Sastrim.

— Festor ?

— Tu connais Festor ?

— C’est le nom qu’elle a demandé quand elle s’est présentée, expliqua un soldat.

Le compagnon de Blenys qui était de garde avec elle en conclut Calen.

— L’ambassadeur ne me l’a pas dit, remarqua-t-elle.

— On n’a dû oublier de lui dire, ça n’a pas paru important.

— Festor est mon jeune frère, reprit la stoltzin plus doucement, qu’est-il pour toi ?

— Un ami, répondit-elle.

— Dans ce cas, nous sommes amies aussi.

Elle lui tendit une main que la jeune fille prit. Ensemble, et avec l’aide de quelques guerriers, elle se releva.

— Conduisez-la dans la chambre libre de mon appartement, ordonna-t-elle, nettoyez-la et laissez là se reposer.

Un soldat examinait la fourche.

— Je crois que vous devriez aller à l’infirmerie, dit-il, et faire soigner cette blessure.

— C’est une égratignure, un peu de désinfectant, un bandage et il n’y paraîtra plus rien.

— Cette fourche a servi à manipuler le fumier. Les miasmes peuvent être dangereux si on n’est pas soigné correctement.

Au ton de sa voix, il semblait vraiment inquiet. Cela la fit céder. Et puis l’honnêteté l’obligeait à s’avouer que ça lui faisait sacrément mal. Une pointe de l’outil lui avait traversé le biceps, c’était un peu plus qu’une égratignure.

— D’accord je vais y aller, dit-elle.

Elle avait cassé sa canne dans sa chute. Un soldat la prit par le bras pour la guider à la suite du petit groupe qui s’occupait de Deirane.

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