Chapitre 24 : Boulden, de nos jours. (2/3)

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L’edorian préposé à l’ouverture alla faire son rapport à Levander.

— J’ai déjà jeté un coup d’œil sur le cadenas. Une bonne mécanique, solide. Et une chaîne bien épaisse. Je n’ai pas le matériel ici.

— De quoi as-tu besoin ?

— Pour ouvrir le cadenas sans le détruire, il me faudrait un matériel spécial. Si nous ne voulons pas le conserver, une bonne tenaille me permettra de couper la chaîne.

— J’envoie quelqu’un.

Il se dirigea vers une stoltzin.

— Il faudrait que tu ailles chercher quelque chose au navire.

— Lourd ?

— Une tenaille.

— Ça devrait aller. Autre chose ?

— Demande à Lorelden s’il a besoin de plus. Peut-être un assortiment de vêtements.

La femme hocha la tête. Elle alla prendre des consignes supplémentaires auprès de l’edorian.

Les guerriers firent barrage pour que les pilotes ne puissent pas voir ce qu’elle faisait. Autant que possible, les capacités nautiques des stoltzt devaient rester secrètes. À l’abri derrière le mur de corps, elle se déshabilla. Elle s’enduisit le corps de graisse pour mieux glisser dans l’eau mais surtout pour se protéger des poisons qu’elle contenait. Puis elle se laissa glisser hors du bac, maintenue par deux solides gaillards qui la lâchaient progressivement. Aussitôt elle plongea. Quand elle émergea pour prendre son souffle, un bon calsihon plus tard, elle avait déjà parcouru la moitié du chemin.

Quatre calsihons plus tard, alors que le bac était au milieu du fleuve, en plein dans le courant et dérivait vers le sud. Elle rejoignit le bord. Toujours en la masquant, deux stoltzt la prirent par une main et la hissèrent à bord. Elle avait tout ce qu’on lui avait demandé. Elle tendit la tenaille à Lorelden qui se précipita pour accomplir sa mission, passa un sac étanche à Saalyn et se laissa tomber assise par terre pour reprendre son souffle. Un de ses compagnons l’enveloppa dans une serviette bien épaisse. Elle lui envoya un regard reconnaissant avant de s’adosser contre le plat bord et de fermer les yeux.

Le sac étanche ne s’était révélé en fin de compte pas si étanche que ça. Les vêtements qu’il contenait étaient mouillés. Ils devaient d’abord être rincés et séchés avant d’être portés. En attendant, les esclaves eurent à leur disposition plus de capes et de couvertures chaudes qu’il n’en fallait pour tout un régiment. Après avoir été coincées dans un espace aussi étroit, leurs muscles s’étaient ankylosés ; elles étaient incapables de tenir debout. Il fallut les soutenir. Les deux adolescentes disparurent bientôt au milieu d’un tourbillon de soldats attentionnés qui cherchaient à les vêtir, à les réchauffer, leur donner à boire ou à manger. Elles semblaient affolées et en même temps soulagées. La mère manifesta le désir de rester seule. Une guerrière l’aida à s’asseoir dans un coin tranquille. Elle surveillait ses deux filles qui ne savaient plus où donner de la tête. Elle avait enfin cessé de s’inquiéter sur leur sort, elle pouvait se détendre.

Saalyn la rejoignit et s’assit en tailleur en face d’elle. L’ancienne esclave s’était enveloppée dans une cape chaude, pour se protéger du vent froid qui descendait des montagnes, en aucun cas pour protéger sa pudeur. Sinon elle aurait ramené le morceau de tissu sur une cuisse bien tentante pour les mâles qui les accompagnaient. Habitude ou résignation, la guerrière ne sut le dire. Elle lui tendit une tasse d’infusion bien chaude que la femme accepta avec reconnaissance.

— Mon nom est Saalyn, se présenta la guerrière en yriani, je suis le chef de cette troupe pour la mission en cours.

— Il m’a semblé avoir entendu ce nom, dit-elle d’une voix lasse. Vous êtes la Saalyn d’Helaria, la justicière qui défend les faibles.

Elle avait utilisé l’helariamen pour répondre, un helariamen impeccable, avec un léger accent, inconnu de la stoltzin. C’est dans cette langue que la discussion continua.

— C’est ce qu’on dit de moi ? Je n’ai rien d’une justicière vous savez ? Je vais là où on me dit, je remplis les missions que l’on me donne, rien de plus.

— Vous aviez pour mission de me délivrer ?

— Non, ça c’est un bonus. Tout Helariasen aurait fait la même chose.

La femme n’ajouta rien, son expression en disait long. Saalyn ne répondit que par un petit sourire.

— Et maintenant ? reprit l’ancienne prisonnière.

Elle lança un regard de défi à Saalyn. Cette dernière la regarda se réchauffer les mains au contact de la tasse. Il ne faisait pas si froid que ça pourtant. En fait, il faisait même plutôt chaud, un temps normal pour la saison. Sans le vent d’ouest, elle aurait même adopté une tenue plus légère.

— Maintenant quoi ? demanda Saalyn.

— Qu’allez-vous faire de moi ?

— Moi ? Rien.

L’esclave leva un regard étonné vers la guerrière.

— Ai-je le droit de faire quelque chose de vous ? reprit Saalyn. Je ne pense pas, les décisions qui vous concernent vous appartiennent. Que voulez-vous faire de vous ?

— Je ne sais pas. Il y a moins d’une douzaine, cette question n’aurait eu aucun sens.

— Elle en a un maintenant. Réfléchissez-y. Quoi que vous choisissiez, nous vous aiderons dans la mesure de nos moyens.

La beauté noire esquissa un sourire triste.

— Ces derniers temps, on m’a fait beaucoup de promesse qui n’ont pas été tenues.

— En général, je tiens les miennes.

Alors que Saalyn prenait appui sur le sol pour se relever, la femme dit :

— Je m’appelle Aster.

— Aster, c’est un mot helariamen, il signifie ...

— Troisième, je sais. Dans mon royaume on utilise l’helariamen comme langue.

— En général les humains utilisent l’yriani.

— Mon peuple était constitué de réfugiés, anciens esclaves pour la plupart. Nous venions d’horizons divers et parlions différentes langues. Nous avons choisi la vôtre parce qu’elle est très facile à parler, et aussi parce que vous n’avez jamais eu d’esclaves, ni chassé un paysan de ses terres. Et puis, quel pays porte un plus beau nom qu’Helaria ? Liberté.

— Helar signifie libre. Et liberté se dit helarnin. Helaria n’a aucune signification. Ce n’est qu’un prénom à l’origine, et même pas helarieal.

— C’est quand même un nom magnifique. C’est un bon présage.

— Mon pays porte ce nom parce que son fondateur s’appelait ainsi. Et si lui portait ce nom c’est uniquement parce que ses parents l’avaient nommé ainsi.

Après un instant de réflexion, Saalyn ajouta.

— Je ne connais qu’un seul royaume humain qui utilise l’helariamen comme langue officielle. Fraker. Ce n’est pas sur notre chemin, mais nous pourrions vous y ramener après notre mission. Le désirez-vous ?

— Inutile, Fraker n’existe certainement plus. Ferleren y a veillé.

— Je suis désolée.

Saalyn se rassit.

— Vous savez que Ferleren a détruit un royaume par le passé. Il s’appelait Vornix. Ce sont les survivants de ce royaume qui ont fondé l’Helaria quelques siècles plus tard.

— Je l’ignorais. Ça fait un autre point commun entre l’Helaria et Fraker.

— Que savez-vous faire ? Je pourrais vous aiguiller vers un endroit qui pourrait vous convenir.

— Vous avez parlé d’une mission. Dites-m’en plus.

— Nous allons délivrer une esclave retenue prisonnière par un drow.

— Vous aurez à vous battre ?

— C’est probable.

— Je préférerais tenir mes filles à l’écart d’une bataille.

— Nous devons laisser une partie des nôtres en arrière pour préparer notre repli. Vous y serez à l’abri pendant le déroulement des opérations.

— C’est parfait. Mes filles resteront en arrière. Moi je vous accompagne.

Saalyn hésita un moment.

— Les hommes que l’on m’a confiés sont des soldats d’élite. Pour nous accompagner, vous devez faire partie des meilleurs. Vous savez vous battre ? demanda-t-elle, utiliser une épée ?

Aster hocha la tête.

— J’étais garde du palais de l’archonte de Fraker. Donnez-moi une épée, je vous prouverai ma valeur.

— Garde du palais de Fraker.

Saalyn connaissait cette troupe. Elle était célèbre par son efficacité. Elle se demanda comment une telle combattante, si elle ne vantait pas, avait pu se retrouver esclave. La réponse était évidente. Les filles bien sûr. Il avait suffi de s’en emparer pour neutraliser leur mère.

— Je n’ai pas très envie de me battre contre vous. Pour me faire ridiculiser devant mes hommes. Même si j’ai une bonne excuse ces temps-ci.

De la main gauche, elle désigna son bras d’épée immobilisé dans son écharpe.

— Que vous est-il arrivé ? demanda Aster.

— Un carreau d’arbalète. Il m’a cloué au mur.

— Ça aû être douloureux.

— Je n’y ai pas porté attention. Quand c’est arrivé, mes assaillants étaient en train de m’ouvrir le ventre.

D’un geste coulé elle se releva, laissant la femme stupéfaite. Voilà qui allait encore ajouter à sa légende. Saalyn, la guerrière qui considère les blessures mortelles comme une simple contrariété. La stoltzin retourna auprès de ses hommes pour préparer le débarquement qui approchait.

Les pilotes s’étaient révélés excellents. Quand le bac atteignit la rive, il n’était qu’à moins de cent perches du ponton. Ils laissèrent le courant les entraîner sur le reste de la distance. Sur la rive, un edorian réceptionna l’aussière que lui lança un des pilotes et arrima l’embarcation. La passerelle mise en place, le débarquement commença.

Une fois à terre, la charrette des esclaves fut dételée. Un palefrenier examina le cheval. Ce dernier ne bronchait pas. Saalyn vint aux nouvelles.

— Quel est son état ? demanda-t-elle.

— Il ne portera plus personne ni ne tirera plus aucun attelage. À part peut-être des enfants. Il est vieux et malade. Il devrait être dans un pré à finir tranquillement sa vie.

— Il pourra nous suivre ?

— Oh, ça oui, si on ne lui donne aucun chargement.

— Très bien, alors il vient avec nous. Je ne laisserai pas le moindre être vivant à cet esclavagiste.

Le palefrenier hocha la tête. Il passa une longe à l’animal qu’il fixa à la selle de sa propre monture.

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